Florence Graveline est chef du Service des Etudes Juridiques et CIL de la Sacem, Membre du Jury du Prix de l’innovation en management juridique 2016. Lauréate du Prix de l’innovation en management juridique 2015, elle se prononce sur l’importance de l’innovation au sein des entreprises et plus spécifiquement au sein des directions juridiques.
Clarisse Andry : Quels doivent être les principaux objectifs d’une innovation en management juridique ?
Florence Graveline : L’objectif principal est de créer des méthodes, procédures, outils, ou tout autre moyen nouveau qui soient au service, non seulement du juriste en l’aidant dans son travail, mais qui participent également au service que le juriste rend aux opérationnels. Une innovation doit permettre au juriste d’être encore plus proche de son « client » interne qui le sollicite pour des questions juridiques. Elle doit par exemple faciliter l’échange, permettre une optimisation de la communication, un gain de temps, une réduction des coûts, … L’objectif est d’améliorer le fonctionnement, de trouver des solutions aux principales difficultés que peut rencontrer une direction juridique (manque de visibilité, saisie trop tardive dans la stratégie, dossiers chronophages, etc.) et qui perturbent le travail du juriste dans sa fonction d’expert. Une innovation en management juridique, c’est réussir à optimiser cette fonction « expert » du juriste dans toutes ses facettes.
C.A : L’innovation passe-t-elle obligatoirement par la mise en place d’outils technologiques ?
F. G :Non, pas nécessairement. La technologie va très souvent aider le juriste, mais l’innovation doit avant tout être dans la conception et l’optimisation de son travail ainsi que dans le rôle qu’il souhaite jouer auprès des opérationnels, de la direction ou à l’extérieur.
Mais les technologies sont de formidables leviers pour favoriser l’innovation. Nous avons en effet de plus en plus de technologies à disposition que nous pouvons exploiter. En revanche ce n’est pas un passage obligé pour réussir une innovation en management juridique. La technologie ne pourra jamais se substituer au travail intellectuel du juriste, qui est son cœur de métier. Les technologies ne remplacent pas l’expertise juridique, mais peuvent l’optimiser.
C.A : Vous avez gagné le Prix du Jury du management juridique l’année dernière : quels bénéfices en a retiré votre direction juridique ?
F.G : Les bénéfices ont été à deux niveaux. D’abord, il y avait une fierté des juristes d’appartenir à un département qui avait permis à la Sacem de remporter un prix – le premier qu’elle recevait dans son histoire. Cela a aussi contribué au changement d’image opéré par le département juridique ces dernières années. Au sein de la Sacem, nous réfléchissons et travaillons beaucoup sur l’innovation pour optimiser notamment la collecte et la répartition des droits d’auteur afin de défendre au mieux les intérêts de nos membres. Il était donc d’autant plus important de montrer que l’innovation vient aussi du juridique. Nous avons prouvé que nous faisions partie des clés de l’innovation.
C.A : Votre innovation a-t-elle évoluée depuis ? Ou de nouveaux projets sont-ils en cours ?
F.G : Actuellement, l’innovation qui a été primée l’année dernière est en cours de maturation, pour évoluer et s’adapter au Règlement européen sur les données personnelles qui a été adopté et qui sera applicable dans deux ans. Nous avions justement conçu l’innovation par anticipation de ce Règlement. Maintenant que le texte définitif a été voté, nous savons dans quelle direction aller et nous avons ces deux années pour mettre en œuvre tous ces changements.
Ensuite, nous avons toujours le souci d’optimiser notre travail dans toutes ses facettes (communication, formation, etc.). Cette innovation a donné à l’équipe l’envie de réfléchir à d’autres évolutions ou améliorations qui s’intégreraient dans la stratégie de l’entreprise. Nous essayons de dépasser le simple rôle de conseil support, pour être un acteur à part entière dans l’évolution des projets.
C.A : Comment doit évoluer la fonction juridique à l’ère du digital ?
F.G : La digitalisation modifie la fonction juridique car le service rendu aux opérationnels n’est plus tout à fait le même en terme de réactivité et de modes de communication. Elle impacte les opérationnels sur le terrain, ce qui fait que tout, y compris le conseil juridique, doit aller plus vite. Alors qu’avant nous pouvions avoir davantage de temps pour réfléchir, aujourd’hui nous sommes souvent dans une immédiateté, et toujours dans une sorte d’urgence qui nécessite de se challenger.
Il y a aussi un décalage entre l’évolution technologique dans laquelle intervient notre société et l’évolution législative et réglementaire. Le fossé ne cesse de se creuser, et le juriste devient souvent une sorte d’équilibriste qui doit jongler avec des règles qui ne sont plus forcément adaptées aux nouveaux cas qu’il rencontre.
Je pense que la digitalisation peut aussi permettre au juriste d’être un vecteur de confiance. Le secret de la réussite du juriste est d’arriver à être impliqué en amont des projets, plutôt que d’être saisi à la fin, quand tout a déjà été décidé. Au lieu d’être un frein, il va pouvoir être un acteur de la sécurisation, en expliquant à ses interlocuteurs quelles orientations peuvent prendre leurs projets tout en respectant le cadre légal. Le juriste va alors permettre aux opérationnels de développer leurs projets dans un cadre sécurisé.
Cette confiance joue aussi pour les clients. En effet, une entreprise qui maîtrise le cadre légal dans lequel elle intervient et sécurise ses process rassure.
C’est pourquoi aujourd’hui beaucoup de labels qualité et de certification se créent, car les clients ont besoin de fiabilité. Le juriste peut par exemple aider l’entreprise à adopter une bonne éthique en matière de protection des données, et les clients seront alors rassurés de savoir que l’entreprise ne fait pas n’importe quoi avec leurs données.
C.A : Les directions juridiques sont-elles déjà conscientes de ces problématiques ?
F.G : Je pense que la prise de conscience est générale, mais les directions juridiques sont plus ou moins concernées selon le secteur d’activité. Cela a d’ailleurs été un débat avec les autres membres du Jury lors des soutenances cette année : pour évaluer l’innovation, il faut aussi prendre en considération l’environnement dans lequel intervient la direction juridique et son entreprise. Certaines directions ne sont pas autant impactées par la digitalisation, ou par un mode de fonctionnement où tout se fait dans l’urgence.
Mais ce n’est pas parce qu’un département juridique ne se retrouve pas dans un secteur à la pointe de la technologie qu’il ne va pas procéder à une innovation importante par rapport à son secteur d’activité ou son entreprise. Même si toutes les directions juridiques n’évoluent pas de la même manière, à la même vitesse, elles ont toutes une pleine conscience que le métier de juriste doit évoluer et que la posture doit changer.
Ce Prix de l’innovation en management juridique en est une très belle illustration. Tous les candidats de cette nouvelle édition 2016 avaient cette étincelle d’oser se remettre en question pour changer et innover, une détermination et une envie de défendre leurs projets. Ces soutenances ont été très enrichissantes à tous les niveaux : la qualité des projets et des présentations, les échanges avec les candidats et les débats entre membres du Jury qui ont été passionnants. J’ai hâte d’assister à la présentation finale lors de la Journée du management juridique, le 30 juin prochain, pour voir la réaction du public à ces innovations.
Propos recueillis par Clarisse Andry.
Interview initialement paru dans le Journal du Management Juridique n°52.