« Les villes portent les stigmates des passages du temps, occasionnellement les promesses d’époques futures. » Marguerite Yourcenar
Les « Smart Cities » ou villes intelligentes constituent des réalités concrètes et tangibles auxquelles sont confrontés – ou plutôt associés – les individus en tant que résidents, contribuables, citoyens, usagers, administrés, par exemple, à travers l’utilisation des réseaux intelligents (e.g. compteurs intelligents), la domotique, l’administration électronique, le « smart transport », les « stades intelligents », etc.
1. Qu’est-ce qu’une ville intelligente ?
« Smart Cities », « Ville connectée », « Ville numérique », « Ville digitale », « Ville durable », « Eco-City »… Il existe une multitude de notions mais il est possible de dégager des caractéristiques communes.
Le concept de la ville intelligente consiste en effet à mettre en relation les acteurs du milieu urbain (résidents, usagers, collectivités locales, entreprises publiques, entreprises privées, etc.), d’organiser l’échange et l’étude de données et d’améliorer la prise de décision collective pour ce qui concerne la gestion des services tels que la distribution de l’eau, l’énergie, les transports, la santé, l’éducation, l’administration, etc.
Une ville intelligente peut ainsi se définir comme une ville dont l’objectif est de régler des questions intéressant la chose publique sur la base d’une gouvernance participative et grâce aux technologies de l’information et de la communication, en particulier celles issues de la révolution numérique (e.g. web, téléphones portables, réseaux sociaux, internet des objets, « big data », etc.).
Les villes intelligentes sont appelées à occuper un rôle fondamental dans la réponse à apporter aux grands défis du XXI ème siècle, compte tenu notamment des projections en termes d’augmentation de la population urbaine ou encore de consommation d’énergie.
2. Quelles sont les principales caractéristiques techniques des villes intelligentes ?
Une ville intelligente peut employer des technologies innovantes différentes mais elle repose tout d’abord sur la connectivité (e.g. fibre, capteurs sans fils, etc.).
En effet, une ville intelligente est tout d’abord une ville connectée. C’est une ville qui sait tirer bénéfice de cette connectivité, pour permettre à sa population, à son administration, aux entreprises et à l’ensemble des infrastructures d’interagir ensemble.
Une ville intelligente repose également en grand partie sur les infrastructures, sur le partage de données ou encore l’interopérabilité, c’est-à- dire sur la capacité pour des éléments hétérogènes à fonctionner ensemble, par exemple sur la base de standards communs.
Dans un rapport rendu en janvier 2014, la commission Industrie, Recherche et Energie du Parlement européen s’est efforcée de distinguer les villes intelligentes selon un « degré de maturité » de 1 à 4.
Dans ce même rapport, cette commission retient différentes caractéristiques permettant - selon elle - d’identifier une ville intelligente :
- « Smart Governance »,
- « Smart Economy » ;
- « Smart Mobility » ;
- « Smart Environment » ;
- « Smart People » ;
- « Smart Living ».
3. Quelles sont les principales villes intelligentes ?
De nombreuses initiatives visant à créer des villes intelligentes ex nihilo ont vu le jour dans le monde entier, par exemple :
- Masdar aux Emirats Arabes Unis ;
- Songdo en Corée du Sud ;
- Dholera en Inde ;
- Kashiwa-no- ha et Fujisawa au Japon ;
- Babcrock Ranch aux Etats-Unis.
Des villes déjà implantées peuvent également faire le choix de la « smartization ».
Il en est ainsi notamment de :
- Singapour ;
- Barcelone en Espagne ;
- Peterborough ou Londres au Royaume-Uni ;
- San Francisco aux Etats-Unis ;
- Oslo en Norvège ;
- Tel-Aviv en Israël ;
- Lyon ou Issy-les- Moulineaux en France.
S’agissant de Paris, la ville s’est dotée en mai 2015 d’un plan destiné à en faire une capitale « intelligente et durable » d’ici 2020. Ce plan repose sur trois piliers :
- « ville ouverte » : l’objectif poursuivi consiste à favoriser le développement d’écosystème(s) contribuant à l’innovation et au financement de projets ;
- « ville connectée » : il s’agit de développer le réseau et de multiplier les points d’accès ;
- « ville ingénieuse » : il s’agit d’assurer la transition énergétique, de réhabiliter des bâtiments « énergivores », de développer des systèmes et réseaux intelligents en matière d’eau, d’énergie, de transports et de déchets, développement de mode de transports plus écologique, etc.
Il serait opportun de faire converger ce projet de ville intelligente avec le projet destiné à organiser les jeux olympiques en 2024 (« Paris 2024 ») ou à organiser l’Exposition universelle en 2025.
4. Quels sont les défis rencontrés pour une ville intelligente ?
Les principaux défis susceptibles d’être rencontrés par les villes intelligentes ou celles qui aspirent à le devenir ont notamment trait :
- aux coûts initiaux des technologies intelligentes – notamment au niveau des infrastructures – qui peuvent être particulièrement élevés ;
- à la faiblesse des fonds disponibles et au besoin de modèles de financement innovateurs ;
- aux contraintes liées à certaines réglementations spécifiques ou à l’absence de réglementation sectorielle par exemple dans le domaine des télécommunications ;
- aux problèmes de propriété des données ;
- à la collecte, à la gestion, au transfert de données et à la coordination des différents systèmes de traitement ;
- à la coordination entre technologies, réseaux, autorités gouvernementales et acteurs du tissu économique ;
- à la résistance et à la conduite du changement.
5. Quelles sont les principales problématiques juridiques rencontrées ?
Les principales problématiques juridiques rencontrées par les villes intelligentes résident essentiellement dans :
- la mise en place du cadre juridique applicable (e.g. adoption d’une réglementation, identification des standards techniques, etc.) ;
- la planification, le mode de gestion et la stratégie liée à la gouvernance du projet ;
- la mise en concurrence des acteurs impliqués dans le projet (e.g. appel d’offres, dialogue compétitif, « built own operate transfer », etc.) ;
- la collecte, la gestion et le traitement et les transferts de données à caractère personnel ;
- de sécurité des systèmes d’information ;
- la mise en place des montages contractuels (e.g. contrats de fourniture, d’approvisionnement, etc.) ;
- la prévention, la gestion et la résolution des litiges ;
- la structuration du mode de financement, etc.
Les juristes et les avocats sont bien évidemment amenés à jouer un rôle clef dans l’accompagnement et la coordination de l’ensemble des acteurs susceptibles d’être impliqués dans les projets de villes intelligentes, qu’il s’agisse des autorités publiques, des institutions financières, des opérateurs télécoms, des fournisseurs, des gestionnaires de parcs, etc.
6. Quels sont les enjeux financiers attachés à la mise en place d’une ville intelligente ?
La création d’une ville intelligente nécessite d’importants financements qui peuvent provenir à la fois d’investissements publics, d’investissements privés voire même de partenariats publics- privés.
La création du « partenariat d’innovation » – introduit par décret n° 2014-1097 du 26 septembre 2014 – qui permet d’optimiser la passation de marchés publics à visée innovante pourrait également favoriser l’émergence d’investissements en R&D dans le cadre de projets de villes intelligentes en France.
Annabelle Richard et Guillaume Morat, avocats Pinsent Masons
« Article initialement publié dans le JMJ n°53 »