Lors de l’adoption de la loi Sapin II, en précisant qu’une simple négligence ne pourrait désormais plus permettre d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant d’une société en liquidation judiciaire, le législateur avait entendu favoriser l’entreprenariat et le rebond des dirigeants après une liquidation.
Néanmoins, faute d’avoir lui-même défini la simple négligence, le législateur a laissé aux juridictions le soin d’y procéder et ce faisant de fixer l’ampleur de sa réforme.
Jusqu’à la loi du 9 décembre 2016, dite loi Sapin II, un dirigeant pouvait voir sa responsabilité personnelle engagée pour une simple négligence commise dans la gestion de la société, dès lors que celle-ci avait participé à l’insuffisance d’actif d’une société en liquidation. Il pouvait alors être condamné, sur son patrimoine personnel, à verser à la liquidation de la société une indemnité égale à tout ou partie de l’insuffisance d’actif constatée.
Considérant les conditions de cette action trop sévères pour les dirigeants, le législateur, par la loi Sapin II, a modifié l’article L651-2 du Code de commerce ; il faut désormais que le dirigeant ait commis une faute d’une plus grande gravité que la simple négligence pour engager sa responsabilité dans le cadre d’une insuffisance d’actif.
Le but de la réforme était donc d’« encourager la création d’entreprises, et favoriser le rebond des dirigeants de société à la suite d’une faillite, il faut éviter que des condamnations patrimoniales puissent être prononcées pour simple négligence dans la gestion d’une société ».
En l’absence de définition légale de la négligence, les travaux parlementaires tentaient d’en esquisser les contours en indiquant que, selon la doctrine, il s’agit des « méprises, inadvertances, relâchements d’attention, réaction malheureuse à un évènement etc. » [1].
Ces mêmes travaux parlementaires illustraient, en citant trois arrêts, les comportements qui ne devraient pas donner lieu à condamnation tels que :
Le choix de s’entourer de collaborateurs incompétents ;
S’être « (…) désintéressé de la gestion administrative de la clinique malgré ses fonctions de gérant, qu’il s’en est remis sans aucun contrôle à l’autre gérante lui signant même des chèques en blanc qui ont ainsi permis à cette dernière de contourner la règle de la double signature, qu’il a toléré une rémunération excessive de la cogérante malgré la diminution très nette du chiffre d’affaires (…) » ;
Une négligence dans la surveillance de la comptabilité.
A défaut de définition légale plus précise, il revient à la jurisprudence, de définir la frontière entre simple négligence et faute susceptible d’engager la responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant.
La Cour de cassation a très vite indiqué qu’elle entendait contrôler la qualification opérée par les juridictions du fond sur ce point en exigeant de celles-ci qu’elles adoptent des motivations suffisamment explicites pour permettre de caractériser « des fautes qui ne soient pas de simples négligences dans la gestion de la société » [2].
L’analyse des premières décisions rendues depuis l’entrée en vigueur de la loi Sapin II permet de recueillir quelques indications quant aux éléments de faits qui sont retenus pour apprécier cette gravité.
La méconnaissance d’une disposition légale n’est pas en elle-même suffisante pour engager la responsabilité du dirigeant.
Bien que l’article L.631-4 du Code de commerce impose au débiteur de déclarer sa créance dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements, la Cour de cassation a jugé que le fait qu’un dirigeant n’ait pas procédé à cette déclaration dans les délais requis, et ce alors même qu’il connaissait cet état de cessation des paiements, ne suffit pas à établir qu’il a commis une faute dépassant la simple négligence [3] .
Une condamnation ne requiert pas la démonstration du caractère intentionnel de la faute.
Même non intentionnel, un acte peut constituer une faute excédant la simple négligence. A l’inverse, lorsque l’intention est établie, celle-ci serait incompatible avec une simple négligence [4].
Une simple inaction peut suffire à engager la responsabilité du dirigeant.
Le fait que le reproche formulé à l’encontre du dirigeant ne soit pas un acte positif, mais une abstention, une inaction, est insuffisant à le qualifier automatiquement de simple négligence. En effet, une inaction peut constituer une faute dépassant la simple négligence.
Dans ces situations toutefois, le Tribunal recherchera si le dirigeant était informé ou conscient de la situation, ce qui peut ressortir des faits de l’espèce, notamment lorsque les sommes en jeu sont importantes (par exemple pour le non-paiement des cotisations sociales sans réaction du dirigeant [5]).
La répétition ou la continuation d’un fait est un indicateur de la gravité du comportement du dirigeant.
Pour exclure la qualification de simple négligence, de nombreuses décisions s’attachent à vérifier la durée ou la répétition des faits critiqués, une trop grande répétition ou une situation qui perdure trop longtemps étant de nature à exclure la qualification de simple négligence.
Ainsi, ont par exemple pu être relevés :
Le caractère persistant de l’inaction du dirigeant [6] ;
La poursuite d’activité pendant plus d’un an malgré l’état de cessation des paiements [7] ;
L’absence de déclaration de cessation des paiements pendant plus de neuf mois [8] ;
Le fait de laisser une situation s’aggraver pendant plus d’un an et demi alors que cette inertie ainsi que l’omission de déclarer la cessation des paiements ont augmenté le passif [9].
L’absence de rémunération du dirigeant est sans incidence.
Si la responsabilité du mandataire de droit commun (article 1992, alinéa 2 du Code civil), doit être appliquée, selon ce texte, moins rigoureusement lorsque le mandat est exercé à titre gratuit, la Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler que, s’agissant de la responsabilité pour insuffisance d’actif fondée sur l’article L.651-2 du Code de commerce, la gratuité du mandat est sans importance sur l’appréciation de la gravité de la faute ou de la responsabilité du dirigeant [10].
La démonstration de la faute, même grave, d’un co-gérant ne permet pas d’engager automatiquement la responsabilité de l’autre cogérant.
Dans une affaire où l’un de deux co-gérants d’une société avait fait établir une comptabilité irrégulière, et ce au détriment des créanciers, une Cour d’appel avait retenu, pour condamner également l’autre co-gérant, que ce dernier était au fait des conditions d’exercice de l’exploitation, que les faits dénoncés ne relevaient pas d’une gestion correcte et que leur caractère fautif au regard des règles de droit commercial se trouve parfaitement établi.
L’arrêt a été cassé, la Cour de cassation [11] considérant que ces motifs étaient impropres à caractériser, à la charge personnelle du deuxième co-gérant, des fautes qui ne soient pas de simples négligences dans la gestion de la société.
Les juridictions semblent distinguer faute et négligence, moins selon la nature des actes ou abstentions commis, qu’en fonction des circonstances les ayant entourés.
En effet, en fonction de ces circonstances (caractère volontaire, répétition, situation qui perdure, conséquences particulièrement graves etc…) un même fait pourra sans doute être qualifié tour à tour de simple négligence ou au contraire de faute suffisamment grave pour engager la responsabilité personnelle des dirigeants.
Dans ces conditions, si la réforme a offert la possibilité aux juridictions de faire preuve de bienveillance en permettant à des dirigeants d’échapper à des sanctions qui auraient été prononcées de façon quasi automatique auparavant, elle ne permet toutefois pas aux dirigeants d’anticiper sur la nature ou non condamnable de leur comportement.
Prudence et diligence restent donc de mise pour les dirigeants dont l’attitude générale sera sans doute davantage analysée, en particulier dans les périodes précédant l’ouverture d’une procédure collective, pour évaluer la qualification des actes commis.
L’accroissement des procédures collectives que l’on peut craindre à l’issue de la crise sanitaire permettra d’apprécier si les objectifs du législateur de la loi Sapin II ont été atteints notamment s’agissant de « favoriser le rebond des dirigeants de société à la suite d’une faillite ».
Pierrick Jupile-Boisverd,
Avocat au Barreau de Paris
Article initialement publié sur Le Village de la Justice.