A l’heure où l’urgence climatique et sociétale bouleverse les modèles économiques, la question se pose d’envisager une restructuration d’entreprise sous l’angle de la RSE.
Le PSE est-il encore la solution ? Peut-on concevoir la restructuration d’entreprise comme socialement responsable ?
Le 20 novembre 2020, Emmanuel Faber emblématique patron du groupe Danone et fervent défenseur d’une stratégie engagée « RSE » déclarait en même temps qu’il annonçait un plan social :
"J’assume complètement la décision qu’on est en train de prendre. J’ai dit que nous avions un devoir d’utopie en tant que dirigeant, mais on a un devoir absolu au pragmatisme, et c’est l’équilibre entre les deux qu’il faut trouver".
Se prévalant de "la confiance" du conseil d’administration du groupe, il disait ne pas avoir peur de perdre son poste : "j’ai peur de mal le faire".
La suite, tout le monde la connait. Aujourd’hui Emmanuel Faber n’est plus le patron du groupe Danone et le plan social concernant près de 1 200 emplois en France est en passe d’être mis en œuvre.
Comment concilier, à l’aune de la révolution environnementale que les incendies estivaux ne manquent pas d’attiser, la nécessité de la transition écologique et numérique avec l’héritage de ce capitalisme débridé que l’on rend aujourd’hui responsable des turpitudes de la planète ?
Comment les Dirigeants, RH et Directions financières des entreprises, comment leurs actionnaires, comment les salariés, prestataires et fournisseurs vont mener de front la nécessaire transformation de leur entreprise pour assurer cette transition que le monde appelle et que la norme impose ?
Des pistes sont aujourd’hui explorées :
révolution énergétique,
révolution numérique,
décroissance,
croissance verte…
Tous ces concepts reconnaissent l’urgence du mouvement sans donner de direction.
Le politique s’est naturellement emparé du sujet et la crise sanitaire constitue une magnifique opportunité pour faire du soutien aux entreprises le moyen de leur imposer la nécessité de la transition.
Mais les mesures qu’imposent le changement pourront s’avérer impopulaires tant elles auront des effets dévastateurs pour nombre d’actifs qui verront leur emploi emporté par cette transition.
Ces mêmes politiques envoient aujourd’hui leurs meilleurs experts pour nous alerter sur l’importance mais aussi sur les risques que sous-tend un tel changement.
Jean Tirol, prix Nobel d’économie, et Olivier Blanchard, ancien chef économiste du FMI, remettaient le 21 juin dernier au Président de la République un rapport portant sur les grands défis économiques auxquels la France aura à faire face au regard de l’urgence climatique et ne manquent pas d’évoquer les impacts sociaux majeurs que la nécessité de la transformation devrait imposer.
Or, transformation en langage d’entreprise se traduit par restructuration.
Alors ! Cette transition peut-elle être socialement responsable ?
La RSE peut elle s’inviter dans le monde de la restructuration d’entreprise dont la violence des impacts contredit l’esprit de bienveillance du concept ?
La réponse est non !
Qui d’entre nous acceptera de considérer légitime de perdre son emploi ?
Qui d’entre nous acceptera de considérer que l’emploi qu’il occupe ne sert plus à rien, pire ! nuit à l’environnement et la planète ?
Qui d’entre nous acceptera de considérer que les années d’études qu’il aura effectuées ne servent finalement à rien et qu’une reconversion s’impose ?
Qui d’entre nous acceptera tout simplement de perdre tout ou partie de sa seule source de revenu ?
Le concept de Restructuration Socialement Responsable peut il trouver sa place alors que les enjeux environnementaux s’imposent à tous, à l’entreprise au même titre qu’à l’automobiliste parisien ?
Ne doit-on pas finalement passer par la contrainte et considérer la contrainte comme un renoncement aux principes même de la RSE ? Je ne le pense pas.
Penser que l’enjeu climatique suffit à légitimer une restructuration serait une erreur. Finalement on peut sans doute avancer que la démarche RSE trouvera surtout sa place dans la manière dont une restructuration peut être pensée, menée et surtout anticipée.
Ce n’est pas par hasard si la Loi portant lutte contre le dérèglement climatique et le renforcement de la résilience face à ses effets prévoit quelques dispositions qui permettent d’éclairer la manière dont le législateur entend traiter l’impact de la transition écologique sur l’emploi.
Informer et consulter les instances du personnel sur les questions environnementales.
Alimenter la Base de données économique sociale et environnementale (BDESE) sur les enjeux environnementaux de l’entreprise.
Mobiliser les dispositifs de Gestion Prévisionnelle des Emplois et des compétences pour anticiper les impacts sociaux de cette transition.
Faire de la formation un outil au service de la mobilité professionnelle.
C’est donc autour de l’anticipation que le législateur a entendu orienter son curseur. Pour autant, ce même législateur nous laisse sur notre faim lorsque l’ensemble de ces outils ne parviennent pas à répondre aux exigences du changement.
Il est encore trop tôt pour se prononcer sur l’impact de ces dispositions sur la manière dont les entreprises vont traiter leur transition alors que la Loi Climat n’est entrée en vigueur que le 24 août dernier.
Il ne fait en tout cas plus le moindre doute que l’entreprise se doit d’agir à la fois en transparence et de manière anticipée pour traiter de l’impact des questions environnementales sur l’emploi.
D’abord car ces questions dépassent largement le seul cercle de la gestion des ressources humaines et imposent aux entreprises de fixer des engagements clairs en matière de réduction significative de leur impact négatif sur le climat.
Les Directions Financières se sont emparées du sujet et la future Directive Européenne sur les engagements extra financiers des entreprises ne fera que renforcer la prédominance des enjeux RSE dans la construction et la gestion des données comptables et financières des entreprises tant au niveau des groupes que des entreprises de taille intermédiaire.
Un dialogue devra donc s’engager entre les Organisations syndicales, les élus du personnel, les Directions des Ressources Humaines et la Direction Financière afin que les questions environnementales et leurs impacts sur l’emploi donnent lieu, de manière plus anticipée, à :
L’élaboration de données unifiées et partagées avec l’ensemble des salariés de l’entreprise ;
L’anticipation de l’impact environnemental sur les emplois présents et futurs ;
Et enfin et surtout l’élaboration des moyens tant humains que financiers pour accompagner ces transformations.
Or, après un démarrage dans la douleur, la BDES désormais baptisée BDESE doit constituer l’outil central du partage de l’information avec les représentants du personnel. On pourrait, à ce propos, en étendre l’accès à tous les salariés de l’entreprise.
Mais la question de la transition sociale doit aussi alimenter les indicateurs de performance des entreprises (KPI) en ce compris leur capacité à gérer la reconversion de leurs salariés et permettre une uniformisation des données tant sociales qu’environnementales dans des outils commun BDES/Rapports annuels RSE… permettant un suivi efficace et partagé des enjeux sociaux et environnementaux et de leurs conséquences sur l’emploi.
En outre, la négociation dans l’entreprise doit permettre de dégager les moyens nécessaires à la gestion de la mobilité professionnelle des salariés, rendue nécessaire par l’évolution ou la disparition de leur emploi, ce qui nécessite que les partenaires sociaux acceptent une bonne fois pour toute d’être des acteurs constructifs de cette transition professionnelle.
Pour autant, et au risque de finir mon propos sur une note un peu pessimiste, il n’est pas sérieusement envisageable de se contenter d’une vision angélique de cette « Restructuration Sociale et Environnementale » que j’appelle de mes vœux.
Comme le disait Emmanuel Faber, l’utopie n’exclut pas le pragmatisme et la contrainte en fait partie.
Or, en droit du travail, la contrainte s’exprime pour l’essentiel en termes de licenciement fondé sur un motif que les juges ont plutôt tendance à reconnaître dans les seuls cas ou l’entreprise rencontre des difficultés avérées d’ordre économique et financier.
Si les dispositions de l’article L1233-3 du Code du travail admettent que les mutations technologiques ou la sauvegarde de la compétitivité de l’entreprise constituent un motif économique de licenciement, leur interprétation par les juges ne garantit nullement la sécurité juridique d’un licenciement rendu nécessaire du fait des contraintes environnementales auxquelles les entreprises pourraient être confrontées.
Certes, les accords de performance collective permettent, dans une certaine mesure, de contourner cette difficulté en faisant de l’accord lui-même le motif du licenciement et il n’est pas impossible de considérer qu’une restructuration liée à des considérations environnementales justifie le recours à ce type d’accord.
Cependant, le législateur serait bien inspiré s’il venait à reconnaître qu’un refus de mobilité ou une suppression de poste - rendue nécessaire par les contraintes environnementales qui pèsent sur l’entreprise - constitue un motif économique autonome. Il pourrait ainsi être introduit, par ce biais, une forme de contrainte dans la manière dont l’entreprise entend mener sa restructuration.
Nous n’en sommes pas là et devrons encore nous contenter de l’existant. Gageons en tout cas que dans ces circonstances, l’anticipation, la transparence et la qualité de l’information transmise aux salariés, mais aussi les moyens mis en œuvre par l’entreprise pour faire de la contrainte du licenciement une solution ultime devront nécessairement être pris en compte par la jurisprudence pour reconnaître une légitimité à des licenciements auxquels l’entreprise et ses salariés ne sauront échapper.
Bruno Courtine,
Avocat au barreau de Paris.
Article initialement publié sur le site Le Village de la Justice.