C’est une petite musique qui monte sur les réseaux sociaux, et pas qu’en France d’ailleurs, partout en Europe : un appel des commerces et restaurateurs à braver le confinement, et à ouvrir en dépit des mesures d’interdiction administratives. Ce pourrait être le cas pour certains, dès aujourd’hui, 1er février, pour le service du midi.
C’est un sujet éminemment sensible et le but de cette note n’est absolument pas de prendre parti dans cette bataille, mais simplement de faire un état des lieux des conséquences juridiques qui pourraient résulter de telles décisions.
Nul ne sait d’ailleurs ce qui pourrait réellement advenir, ni si les autorités décideraient ou non de poursuivre les restaurateurs récalcitrants, ni si elles feraient ou non preuve de sévérité dans l’application d’éventuelles sanctions. Sur ce point, le Premier Ministre a tout de même indiqué lors de son discours du 29 janvier dernier : « les dérives de quelques-uns ne sauraient ruiner les efforts de tous. Une consigne de particulière fermeté sera donc appliquée pour ceux qui fraudent les règles en vigueur ». Nous verrons ce qu’il en résultera dans les faits.
Sur un plan strictement juridique, si l’on s’en tient à l’analyse des risques auxquels s’exposent les contrevenants, les conséquences pourraient être à la fois pénales, administratives, civiles et éventuellement financières.
Au niveau pénal d’abord, deux infractions au minimum pourraient, nous semble-t-il, être reprochées aux restaurateurs « frondeurs ».
La plus grave, le délit de mise en danger de la vie d’autrui. C’est l’infraction prévue par l’article 223-1 du Code pénal, dont on rappelle les dispositions :
« Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende ».
Autre délit pénal auquel on pense : l’article L3352-6 du Code de la santé publique, qui incrimine spécifiquement le fait de « ne pas se conformer à une mesure de fermeture d’établissement », fait passible d’une peine de deux mois d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende.
On rappellera que les peines encourues par les personnes morales peuvent être multipliées par 5 par rapport à ce qui est prévu pour les personnes physiques, conformément à l’article 131-38 du Code pénal :
« Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction ».
Or la plupart des restaurants sont exploités sous forme de société (SARL, SAS, etc.).
C’est donc le montant majoré fois 5 de ces amendes, qui pourrait s’appliquer, sans d’ailleurs que cela n’exclue l’amende pour les dirigeants-personnes physiques. Ce cumul entre les peines subies par les dirigeants et leur société est en effet prévu par l’article 121-2 du Code pénal alinéa 3 :
« La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3 ».
Le risque pénal auquel s’exposent les contrevenants est donc important, même s’il est impossible de savoir quelle serait la sévérité des magistrats éventuellement saisis de leur application.
A côté du risque répressif, il y a le risque administratif.
En effet, la mairie et la préfecture pourraient toutes deux considérer que l’ouverture du restaurant en pleine crise sanitaire représente une atteinte à l’ordre public, à raison des risques suscités pour la santé et la sécurité. Le Maire et le Préfet pourraient ainsi décider de prononcer des mesures de fermeture administrative pouvant aller jusqu’à 6 mois.
La question qui se pose évidemment est de savoir si ces mesures seraient pertinentes alors qu’il s’agit d’établissements qui sont, par définition, déjà fermés.
Toutefois, ces décisions de fermeture administrative seraient nécessairement pénalisantes pour les restaurateurs qui se trouveraient viser : d’abord, car elles les empêcheraient de pouvoir pratiquer de la vente à emporter, ensuite parce qu’elles pourraient s’étendre au-delà de la période où les établissements seraient autorisés à rouvrir.
Se pose en outre la question de savoir si la mesure de fermeture administrative pourrait être décidée de manière décalée dans le temps, afin d’être effective à la réouverture des restaurants. Sur ce point, il n’existe malheureusement pas de jurisprudence précise, puisqu’il s’agit en l’occurrence d’une situation inédite.
Autre risque : celui d’un recours des salariés à l’encontre du restaurateur en sa qualité d’employeur. On rappellera en effet les dispositions de l’article L4121-1 du Code du travail, qui imposent à l’employeur de prendre des mesures pour
« assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».
On pourrait donc imaginer le recours contre le restaurateur, de salariés qui considéreraient avoir été exposés à des risques, obligés de travailler en dépit des risques sanitaires.
Dans le même ordre d’idée, on peut imaginer que les clients éventuellement contaminés à l’intérieur de l’établissement pourraient décider de poursuivre le restaurateur qui les aurait accueillis.
Cela peut paraître paradoxal, puisque les clients eux-mêmes peuvent être verbalisés en cas de non-respect du confinement (135 euros). Mais, juridiquement, cela ne les empêcherait pas de se retourner contre le restaurateur en cas de contamination (cluster), sur le fondement de la responsabilité civile délictuelle (1240 du Code civil).
Reste que le restaurateur pourrait légitimement faire valoir, pour se défendre, que ces derniers sont venus de leur plein gré dans l’établissement.
Autre possibilité : l’action civile en concurrence déloyale que pourraient mener d’autres restaurants concurrents à l’encontre de l’établissement « frondeur », considérant que cette ouverture confère un avantage déloyal, avec captation de la clientèle de l’établissement fermé par celui ouvert. Sur un plan strictement juridique, une telle action ne paraît pas dénuée de fondement.
Enfin, reste la question complexe de savoir si les restaurateurs frondeurs pourraient perdre leurs aides.
Jusqu’à ce jour, c’était une question complexe dans la mesure où les aides d’Etat, le fonds de solidarité, n’étaient pas conditionnées au respect des mesures de confinement. Les seules conditions étaient économiques : taille de l’entreprise, nombre de salariés, chiffre d’affaires, etc.
Conscient de l’impact que des sanctions financières pouvaient avoir, le Gouvernement vient de trancher. Les restaurateurs qui décideraient de rouvrir en dépit des restrictions administratives pourraient se voir exclus du bénéfice du fonds de solidarité, pour un mois, voire définitivement dans les cas les plus graves, a annoncé ce matin sur France Info le porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal.
Dans tous les cas, les restaurateurs disposeraient de recours pour contester ces différentes sanctions. Mais il n’en demeure pas moins que ces recours prendraient du temps, comme toute procédure. Et s’il s’agissait d’une suppression des aides, le temps de ces procès serait quoiqu’il arrive pénalisant et préjudiciable sur un plan économique pour ceux qui le subiraient.
Baptiste Robelin - Avocat au Barreau de Paris
NovLaw Avocats
Article initialement publié sur Le Village de la Justice.