Dans un arrêt du 25 novembre 2020 (n° 17-19.523), la Cour de cassation a admis, comme preuve des faits motivant le licenciement pour faute grave d’un salarié, des données obtenues de façon illicite. Cette décision intéresse tant l’employeur que le salarié.
1/ L’arrêt.
Un salarié de l’AFP, dont l’ancienneté remonte au 9 septembre 1991, est licencié pour faute grave, par lettre recommandée avec AR du 23 mars 2015, pour usurpation de données informatiques.
Il lui est reproché d’avoir adressé à une entreprise - concurrente de l’AFP - cinq demandes de renseignements par email, en usurpant l’identité de sociétés clientes.
L’AFP rapportait la preuve des faits au moyen d’un constat d’huissier et d’un expert informatique ayant identifié, grâce à l’exploitation des fichiers conservés sur les serveurs, l’adresse IP à partir de laquelle les messages litigieux avaient été émis.
Estimant qu’une déclaration préalable de l’utilisation des fichiers de journalisation et adresses IP n’était pas nécessaire, la Cour d’appel de Paris avait jugé le licenciement justifié.
La décision est cassée sur ce chef, la Cour de cassation rappelant que les adresses IP, qui permettent d’identifier indirectement une personne physique, sont des données à caractère personnel, de sorte que leur collecte par l’exploitation du fichier de journalisation constitue un traitement de données à caractère personnel devant l’objet d’une déclaration préalable auprès de la CNIL.
La Cour de cassation fonde son arrêt sur les dispositions des articles 2 et 22 de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004, dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur du Règlement général sur la protection des données (RGPD).
En revanche, et c’est ici se situe l’originalité de la décision, la Cour juge que l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance :
le droit au respect de la vie personnelle du salarié ;
et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié ;
à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ;
En effet, la Cour de cassation retient les motifs suivants :
En application des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde de droits de l’homme et des libertés fondamentales, l’illicéité d’un moyen de preuve, au regard des dispositions de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 (…) n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats, le juge devant apprécier si l’utilisation de cette preuve a porté atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit au respect de la vie personnelle du salarié et le droit à la preuve, lequel peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
2/ L’évolution.
Auparavant, la Cour de cassation considérait que les informations collectées par un système de traitement automatisé de données personnelles, sans déclaration à la CNIL, constituaient un moyen de preuve illicite.
A titre d’illustration, était sans cause réelle et sérieuse le licenciement d’un salarié auquel il était reproché une utilisation excessive de sa messagerie professionnelle à des fins personnelles, l’employeur se fondant sur des éléments de preuve obtenus à l’aide d’un dispositif de contrôle individuel des flux des messageries sans déclaration à la CNIL [1].
Cette jurisprudence avait été réaffirmée depuis, notamment dans une décision du 2 novembre 2016 [2], de laquelle il résulte que :
La mise en place d’un système d’enregistrement des données permettant à l’employeur de connaitre le nom de la personne entrée dans l’entreprise et l’heure précise de cette entrée du fait de l’attribution à chaque salarié d’un code différent permet un contrôle automatisé de l’activité des salariés ;
Ce dispositif nécessite, dès lors, d’une part, une déclaration auprès de la CNIL et, d’autre part l’information et la consultation du CE (aujourd’hui « CSE ») ;
A défaut, un tel dispositif est illicite et les documents qui en résultent doivent être écartés des débats.
Certes, la Cour de cassation admettait que l’employeur puisse produire en justice les emails d’un salarié issus de sa messagerie professionnelle, même en l’absence de déclaration préalable auprès de la CNIL [3].
Toutefois, dans cet arrêt, la Cour de cassation prenait le soin de noter le salarié ne pouvait ignorer que les emails litigieux étaient enregistrés et conservés par le système informatique de l’entreprise.
L’arrêt de la Cour de cassation du 25 novembre 2020 va plus loin, posant pour principe que
« l’illicéité d’un moyen de preuve n’entraîne pas nécessairement son rejet des débats ».
Dans son avis, Mme l’Avocat général écrivait d’ailleurs que
« cette démarche suppose un infléchissement de votre jurisprudence car à ma connaissance, vous n’avez pas encore, en ce domaine, opéré de la sorte ».
Notons que la Cour de cassation a récemment jugé que le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi [4].
Dans ce dernier arrêt, la Cour a précisément retenu les motifs suivants :
« Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi ».
Il semble donc que la Cour de cassation admette plus souplement la preuve des faits justifiant le licenciement du salarié, lorsqu’est en jeu le « droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondanc » (article 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales).
Il reste à savoir si la Cour de cassation adoptera la même solution lorsque le salarié souhaitera établir que son licenciement est sans cause réelle et sérieuse (ex. au moyen d’un enregistrement audio de l’entretien préalable sans information de l’employeur).
En effet, les articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales visent « la personne » et non telle ou telle personne.
Tant l’employeur que le salarié sont donc concernés.
Xavier Berjot, Avocat.
Article initialement publié sur Le Village de la Justice.