Avec son Plan de relance pour les transports, le Gouvernement a mis le turbo sur la rénovation du rail et la promotion du vélo, nouveau roi des villes. Le secteur routier passe encore une fois loin derrière alors que trois Français sur quatre doivent prendre le volant chaque jour pour se rendre au travail. Un vrai paradoxe.
C’est vrai, le réseau ferroviaire a besoin d’un lifting et la SNCF de boucher les trous dans ses finances. C’est vrai aussi que les plus citadins d’entre nous cherchent en permanence de nouvelles pistes cyclables. C’est peut-être pour ces raisons que le Gouvernement, au moment de dévoiler son Plan de relance en septembre dernier, a surtout insisté sur ces deux points. À la fois dans les montants alloués et dans les discours. Le rail se taille en effet la part belle avec 4,7 milliards d’euros, dont 1,8 milliards pour la recapitalisation de la SNCF [1]. Dans ses cartons, le ministre délégué aux Transports Jean-Baptiste Djebbari, souhaite par exemple la relance des trains de nuit, « une dizaine d’ici 2030 » suivant les axes Bordeaux-Marseille, Dijon-Marseille, Paris-Toulouse et Tours-Lyon via l’Ile-de-France, et la préservation des petites lignes régionales [2]. De bonnes idées certes, mais très éloignées des préoccupations de dizaines de millions de Français qui subissent chaque jour les aléas de la route. Pour leurs déplacements quotidiens, le Plan de relance n’a prévu que deux milliards d’euros [3].
Le paradoxe des choix gouvernementaux.
Côté pouvoirs publics, cet effort sur le train et le vélo se justifie par la Loi d’orientation des mobilités (LOM), votée en 2019, qui prône l’amélioration des déplacements quotidiens dans le souci de la préservation de l’environnement. Se cachaient aussi dans ce texte d’autres dispositions pouvant être avantageuses pour les infrastructures routières : incitation au développement du covoiturage, installation de bornes de recharge pour voitures électriques et place prépondérante des régions dans la politique d’aménagement du territoire, celles-ci endossant le rôle d’Autorités organisatrices de la mobilité régionale (AOMR) [4]. Des prérogatives que certaines régions avaient même devancées, à commencer par la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (PACA) présidée par Renaud Muselier qui a fait de la mobilité durable, depuis son élection en 2017, l’un de ses chevaux de bataille. Mais dans les faits, la LOM a connu quelques retards à l’allumage [5]. Et c’est dommage.
Pour se convaincre de l’importance du secteur routier en France, il suffit de jeter un œil aux chiffres. Selon les données du ministère de la Transition écologique dirigé par Barbara Pompili, « 7 Français sur 10 se rendent au travail en voiture, 1 Français sur 4 a déjà refusé un emploi faute de solution pour s’y rendre et, sur 80% du territoire, aucune collectivité ne propose de solution pour les transports du quotidien » [6]. Les déplacements en voiture sont même le premier poste de dépenses des ménages (18% du budget en moyenne), devant l’alimentation et le logement. Autant dire qu’il est vraiment paradoxal, de la part du Gouvernement, de ne pas appuyer sur le champignon pour penser et développer les routes de France. Car les innovations sont à portée de main.
En route vers la route du futur.
Parmi les objectifs majeurs de la période actuelle, deux horizons s’imposent : 2040 et la fin de la vente des voitures à moteur thermique [7], 2050 et le but ultime d’une société à zéro émission de gaz à effet de serre (GES) [8]. Évidemment, pour y arriver, la route sera longue – sans mauvais jeu de mots – et le défi principal à relever connu : faire chuter la part des transports dans les émissions de CO2 (30% en France).
Les premiers jalons posés sont prometteurs. Parmi eux, la petite révolution de l’autoroute bas carbone dont les contours ne relèvent en rien de la science-fiction : généraliser les bornes de recharge ultrarapides, développer les modes de transports multimodaux, réserver des voies aux transports en commun sur autoroute, recycler totalement les revêtements [9]… Selon Pierre Coppey, PDG de Vinci Autoroutes, les autoroutes constituent « un levier significatif à actionner pour atteindre les objectifs fixés par les Accords de Paris (…) L’autoroute est une infrastructure d’avenir, car elle n’est pas seulement un mode de transport, mais une infrastructure flexible et évolutive, capable d’accueillir des modes de transport variés. Elle constitue donc un terrain propice au développement de nouvelles solutions de mobilité collective, partagée et décarbonée. L’autoroute peut ainsi être un accélérateur de transformation des usages, pour susciter des mobilités durables ». Le verdissement des autoroutes est en marche grâce aux investissements privés.
Ces nouvelles solutions décarbonées sont déjà en application dans certaines régions de France, comme dans le Sud, via des partenariats public-privé [10]. Dès 2019 par exemple, Renaud Muselier en PACA a signé une convention avec Vinci Autoroutes pour accélérer la tendance : « Les transports représentent près de 30% des émissions régionales de gaz à effet de serre, et la transformation de nos modes de transports permettra de répondre à des enjeux environnementaux et de santé publique », s’est engagé l’élu régional.
Décideurs politiques et privés regardent également plus loin, à l’horizon 2040. De nombreuses entreprises sont en train de concevoir la route de demain, qu’elle soit susceptible d’accueillir des véhicules autonomes ou de générer de l’énergie, comme la Power Road développée par Eurovia [11]. « Nous avons fait en sorte que Power Road ait toutes les caractéristiques d’une vraie route en lui ajoutant des fonctions, explique Ivan Drouadaine, directeur Recherche chez Eurovia. En mode capteur solaire thermique, dit “mode estival”, l’énergie thermique captée en été peut être stockée dans le sol ; cette source d’énergie renouvelable peut alors alimenter les bâtiments et infrastructures qui jouxtent la route pour les chauffer en hiver. » Une idée parmi d’autres qui fera certainement notre quotidien demain.
Sans oublier d’évidents besoins de réhabilitation.
En attendant demain, le Gouvernement doit aussi relever un défi très concret dès aujourd’hui : remettre à niveau les routes secondaires dont l’État a laissé la charge aux départements. Trop souvent, sur le bord des routes de campagne, les automobilistes découvrent des panneaux « Trous en formation », comme si les pouvoirs publics avaient baissé les bras. En 2018, le ministère des Transports a lancé un audit des routes françaises [12].
Bilan inquiétant : 17% d’entre elles sont dans un « état de dégradation plus ou moins important » tandis que 7% des grosses infrastructures (ponts et tunnels) méritent d’être rénovées. De plus, selon Pierre Chasseray, délégué général de l’association 40 Millions d’automobilistes, ces dégradations seraient responsables de 47% des accidents de la route ! En cause : le budget en chute libre des sociétés de maintenance dont les commandes ont baissé de plus de 30% ces dix dernières années. Un chantier prioritaire donc, surtout pour la sécurité routière dont l’un des slogans est, faut-il le rappeler, « Tous responsables ». Tous, à commencer par l’État.
Jean-François Vincentini,
Consultant indépendant pour les entreprises.