La nature juridique des cryptomonnaies virtuelles comme le bitcoin continue de faire encore débat.
Rappelons que les bitcoins sont stockés sous forme de données sur l’ordinateur d’un utilisateur ou d’un prestataire tiers et transférés uniquement sous forme électronique. Ils n’ont pas d’émetteur spécifique, mais ils sont créés par un algorithme sur Internet programmé en 2009 par l’énigmatique Satoshi Nakamoto, Les bitcoins ne sont prévus nulle part au monde comme moyen légal de paiement, étant même illégaux dans certains États comme la Russie, mais pouvant néanmoins utilisés pour des transactions entre particuliers ou entreprises commerciales.
Leur cours est très volatile et alimente les spéculations, d’autant qu’ils sont fort prisés par certains acteurs peu recommandables opérant dans les tréfonds du darknet.
Il ne s’agit donc pas vraiment d’une monnaie, mais plutôt d’un protocole technique et d’une unité de compte circulant sur un réseau peer-to-peer, une sorte d’actif immatériel non fongible (cf Hubert de Vauplane in Lexbase Revue n°567 17 avril 2014). La technologie sous-jacente dite "blockchain" permet leur inscription sur un registre infalsifiable partagé entre tous les utilisateurs qui assure leur traçabilité permanente.
Alors monnaie virtuelle peut-être, mais actif imposable certainement !
Pragmatique, l’Administration est en effet rapidement venue préciser le régime fiscal des bitcoins et ses congénères (dogecoin , litecoin ou Ethereum).
Le bitcoin est ainsi considéré par le fisc comme "une unité de compte virtuelle qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif".
Le Bulletin officiel des Finances Publiques nous apprend donc que, depuis le 11 juillet 2014, les gains tirés de la vente d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique (notamment les "bitcoins"), lorsqu’ils sont occasionnels, sont soumis à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC).
Si l’activité est exercée à titre habituel, elle relève du régime d’imposition des bénéfices industriels et commerciaux (BIC).
Par ailleurs, les unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique entrent dans l’assiette de l’impôt de solidarité (ISF) définie par l’article 885 E du code général des impôts (CGI) et doivent ainsi figurer dans la déclaration annuelle d’ISF des redevables qui en possèdent.
Les transmissions à titre gratuit d’unités de compte virtuelles stockées sur un support électronique sont également, en vertu des dispositions de l’article 750 ter du CGI, soumises aux droits de mutation à titre gratuit, sous réserve de l’application de conventions internationales.
Concernant une activité habituelle d’achat-revente de bitcoin, c’est le BOI-BIC-CHAMP-60-50-20140711 qui précise (§ 730 et 740) que conformément aux dispositions de l’article L. 110-1 du code de commerce qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre, l’achat-revente de bitcoins exercée à titre habituel et pour son propre compte constitue une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en application de l’article 34 du CGI.
En revanche, les produits tirés de cette activité à titre occasionnel sont des revenus relevant des prévisions de l’article 92 du CGI (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40 au XXIX § 1080).
L’activité de "minage" n’est pas oubliée. Ainsi, un contribuable, membre actif d’une coopérative de "mineurs", peut acquérir du matériel informatique spécialisé dans les opérations nécessaires au "minage" de bitcoins. Grâce à cette installation dédiée, il va pouvoir collecter de manière régulière des bitcoins attribués gratuitement à raison des blocs de transactions en bitcoins auxquels il a contribué à la validation et cède les bitcoins ainsi acquis sur des places de marchés en ligne en fonction du cours du jour.
Le résultat imposable tiré de cette activité sera déterminé conformément aux règles de droit commun applicables aux bénéfices industriels et commerciaux, étant précisé que la valeur d’acquisition retenue pour le calcul du résultat imposable est nulle lorsque les bitcoins ont été attribués gratuitement.
Rappelons que si le bitcoin a perdu la moitié de sa valeur sur l’année 2014, due en grande partie aux scandales Mt Gox et Bitstamp, il se positionne aujourd’hui à un cours moyen au dessus de 500$, avec des prévisions haussières affirmées sur 2016.
Mais, il n’y a pas que le fisc français qui s’intéresse aux cryptomonnaies, le droit fiscal européen s’y intéresse aussi !
La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) s’est en effet également prononcée le 22 octobre 2015 sur le régime de TVA applicable aux échanges euros/bitcoins, dans le cadre de l’affaire opposant David Hedqvist au fisc suédois.
Il s’agissait d’un ressortissant suédois qui envisageait d’exercer sur Internet la vente et l’achat de la monnaie virtuelle « Bitcoin » en échange de couronnes suédoises. Le prix respectif des bitcoins devait reposer sur le cours de change indiqué sur un portail d’échanges déterminé, majoré ou minoré d’un certain pourcentage à titre de rémunération de change.
Avant de débuter son activité, M. Hedqvist avait donc sollicité un avis préalable de la commission suédoise du droit fiscal (Skatterättsnämnd) afin de savoir s’il devait acquitter la TVA sur les opérations de vente et d’achat de bitcoins décrites.
Selon la commission, l’achat et la vente de bitcoins ont été considérés comme des prestations de services effectuées à titre onéreux mais néanmoins exonérées, puisque les bitcoins constituent, selon la commission du droit fiscal, un moyen de paiement utilisé comme un moyen de paiement légal. L’administration fiscale suédoise a toutefois formé un recours contre cet avis préalable.
L’affaire a alors été portée devant la Cour de justice de l’Union européenne à Luxembourg.
Le 16 juillet 2015, l’avocat général Mme Kokott s’est prononcée en faveur d’une exonération, en vertu de l’article 135 de la directive 2006/112/E du 28 novembre 2006 et la CJUE a suivi son argumentation dans sa décision d’octobre 2015.
En substance, la jurisprudence First National Bank of Chicago (n°C 172/96, EU:C:1998:354, points 25 à 35) doit également s’appliquer aux bitcoins. En tant que telle, leur transfert ne constitue pas un fait générateur d’imposition.
En conséquence, l’échange d’un pur moyen de paiement contre un moyen de paiement légal, ou l’opération inverse, sur lequel est perçue une rémunération que le fournisseur de cette prestation intègre lors de la détermination du cours de change, constitue une prestation de services effectuée à titre onéreux au sens de l’article 2, paragraphe 1, sous c), de la directive 2006/112/CE du Conseil, du 28 novembre 2006, relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée : de telles opérations sont exonérées en vertu de l’article 135, paragraphe 1, sous e), de la directive 2006/112.
En résumé, le bitcoin n’étant qu’un instrument d’échange, il ne peut donc être considéré comme un bien soumis à la TVA, selon la Cour européenne.
Celle-ci considère que le bitcoin, bien que ne constituant pas un moyen de paiement légal, au sens de l’article 135 §1 de la Directive TVA (transposée dans l’article 261 1°C du CGI), n’a pas d’autre finalité que celle d’un moyen de paiement accepté par les deux parties d’une transaction.
A noter que l’ordonnance du 28 avril 2016 relative aux bons de caisse vient de donner pour la première fois valeur légale à la blockchain en l’inscrivant dans les articles L 223-12 et 13 du code monétaire et financier qui la définissent comme "un dispositif d’enregistrement électronique partagé permettant l’authentification" d’opérations (pour le moment limitée aux minions).
Cette reconnaissance en France de la technologie blockchain (applicable à compter du 1er octobre 2016) va indubitablement pourvoir permettre le développement des cryptomonnaies et de l’Economie 4.0
Thierry Vallat,
Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Thierry Vallat
www.thierryvallatavocat.com
Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°52.