La légende veut qu’en matière de société, les dirigeants imaginent que dans l’hypothèse où la société se trouveraient en difficulté, puis in fine liquidée, ils seraient protégés par le truchement de la personnalité juridique de la société et donc leur patrimoine personnel protégé ; c’est une erreur répandue et extrêmement coûteuse.
En temps « normal » les dégâts provoqués par cette ignorance sont importants ; par temps de Covid-19 ils seront, à n’en pas douter, phénoménaux. D’abord, parce que nombres d’entreprises qui se trouvaient en difficulté avant la crise sanitaire sont biberonnées au « cash » dont une partie est constituée par des aides publiques et, l’autre partie, par le PGE qui n’est autre que de la dette. Ensuite parce que les conditions actuelles ne permettent pas aux dirigeants d’anticiper une reprise partielle ou totale de leur activité.
C’est donc l’espoir d’une reprise avec un horizon plus ou moins lointain - en fonction des annonces du gouvernement - qui guide ces mêmes dirigeants dans leurs choix, au mépris souvent de la situation financière réelle de leur entreprise, dont le passif a nécessairement augmenté dans des proportions variables au cours des derniers mois.
Or, si le droit des procédures collectives a été adopté au début de la pandémie pour répondre à l’urgence, entre autres, en offrant aux dirigeants qui seraient tombés en état de cessation des paiements pendant la période d’état d’urgence sanitaire, un délai pour déposer le bilan allant jusqu’à 3 mois à compter de la fin dudit état d’urgence (soit jusqu’au 10 octobre 2020), force est de constater que cette disposition n’a pas été reconduite.
Par conséquent, les dispositions légales s’appliquent de nouveau : dès lors qu’un état de cessation des paiements est constaté par le dirigeant il dispose, légalement, d’un délai de 45 jours pour le déclarer au tribunal.
Quel rapport avec l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif ?
L’action en responsabilité pour insuffisance d’actif n’est ouverte - et c’est on ne peut plus logique - que dans le cadre d’une procédure de liquidation judiciaire faisant apparaître un actif insuffisant pour faire face au passif déclaré à la procédure.
Dans cette hypothèse, le liquidateur et/ou le ministère public, voire la majorité des contrôleurs dans certaines conditions, ont la possibilité de poursuivre le dirigeant de la société liquidée pour obtenir sa condamnation personnelle (sur son patrimoine) à supporter tout ou partie de l’insuffisance d’actif constaté [1].
Les conditions cumulatives posées par les textes sont : 1) une faute de gestion, 2) un préjudice : l’insuffisance d’actif et 3) un lien de causalité : c’est-à-dire une faute de gestion ayant contribué en tout ou partie à l’insuffisance d’actif.
Et l’une des fautes de gestion les plus répandue est l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal de 45 jours !
Il faut cependant nuancer immédiatement en ajoutant que depuis la loi n°2016-1691 du 9 décembre 2016
« en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée ».
L’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal pourrait-elle être qualifiée de simple négligence ?
Tout est affaire de circonstances.
On notera cependant que dans un arrêt très récent et publié au bulletin, la Chambre commerciale a jugé que [2]
« l’article L651-2 du Code de commerce, qui permet, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, à un tribunal, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d’actif, de décider que le montant en sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion, écarte cette faculté en cas de simple négligence du dirigeant dans la gestion de la société, sans réduire l’existence d’une simple négligence à l’hypothèse dans laquelle le dirigeant a pu ignorer les circonstances ou la situation ayant entouré sa commission ».
On retiendra donc que la connaissance par le débiteur de l’état de cessation des paiements de son entreprise et l’absence de déclaration dans le délai légal de 45 jours ne s’opposent pas nécessairement à la qualification de « simple négligence » ; sans doute faut-il y voir la volonté de protéger le comportement de certains dirigeants essayant, de bonne foi, de redresser la situation financière de leur entreprise, ce qui était le cas en l’espèce.
Mais là encore, aucune conclusion rapide ne devrait être tirée ; la chambre commerciale ayant déjà jugé qu’un dirigeant ne pouvait s’exonérer de ses fautes de gestion en faisant valoir
« qu’il espérait une amélioration de la situation [..] » [3].
On notera enfin que la même chambre dans un arrêt de février 2020 [4] (tout juste un an) a pu approuver une Cour d’appel qui avait retenu une faute de gestion en raison de l’absence de déclaration de cessation des paiements dans le délai légal et d’une connaissance par les dirigeants de la personne morale de la situation financière et de l’endettement de la société ; hypothèse similaire à l’arrêt de février 2021 mais solution radicalement différente…
Les dirigeants seraient donc bien avisés de ne prendre aucun risque en la matière et de saisir, dès lors que l’état de cessation des paiements est constaté ou, même mieux, dès lors que de sérieuses difficultés apparaissent, le Tribunal de commerce pour, dans la meilleure des hypothèses, redresser son entreprise et, dans la plus défavorable, liquider « proprement » cette dernière sans risquer de mettre en jeu son patrimoine personnel.
La crise de la Covid-19 est exceptionnelle ; gageons que les conséquences pour les patrimoines personnels des dirigeants ne le soient pas également.
Guillaume Lasmoles
Avocat en Droit des Affaires
Barreau de Montpellier
Article initialement publié sur site Le Village de la Justice.