Par une ordonnance de référé du 13 mai 2016, le Tribunal de grande instance de Paris (« TGI ») a condamné la société Google Inc. à supprimer un référencement qui « a directement porté atteinte au droit à la protection » des données personnelles d’une personne physique (« Monsieur X »), « sans que cette atteinte soit légitimée par le droit à l’information légitime du public ».
Monsieur X a constaté qu’en entrant ses nom et prénom dans « Google.fr », le premier résultat était un lien qui renvoyait à une page web dont le contenu était : « Scandale : Mr X (…) impliqué dans une affaire sexuelle envers mineure ». Après avoir déposé plainte auprès de services de police, obtenu une fin de non-recevoir de l’hébergeur du contenu litigieux, adressé un plainte en ligne auprès de la CNIL, et mis en demeure la société Google France de déréférencer les liens vers le contenu litigieux, monsieur X n’a pas obtenu gain de cause ; « l’équipe Google » refusant le déréférencement au motif que les pages spécifiées « contiennent des informations ( …) qui sont pertinentes et à jour » et que « la référence à ce contenu (…) est justifiée par l’intérêt du grand public à y avoir accès ». Il a donc assigné Google France en référé pour obtenir le déréférencement des adresses URL litigieuses.
Le Tribunal a repris une argumentation qui est maintenant rodée depuis 2014, et surtout depuis l’arrêt « Google Spain » (CJUE 14 mai 2014-affaire C-131/12). Cette argumentation se retrouve à l’identique, mot pour mot, dans les ordonnances du TGI de Paris du 24 novembre 2014 (n°14/58075) ; du 8 décembre 2014 (n°14/59590) ; du 10 juillet 2015 (n°15/54641) ; et du 5 janvier 2016 (n°15/55733) (1). Rappelons les principales étapes de l’argumentation :
Google France ne peut être retenue comme responsable du traitement de données à caractère personnel car Google France n’est pas le représentant ou le mandataire de la société Google Inc. en France ; en conséquence il n’y a pas lieu à référé à l’égard de Google France SARL ;
l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que les articles 7 et 8 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et l’article 9 du code civil sont invoqués en premier : toute personne a droit au respect de sa vie privée ;
l’article 40 de la loi « informatique et libertés » (n°78-17 du 6 janvier 1978) est ensuite cité : il permet le droit de rectification ;
sont également cités : l’article 6 de la même loi qui énumère les conditions que doit satisfaire un traitement de données personnelles ; l’article 7 qui vise le consentement de la personne dont les données sont collectées ou « la réalisation de l’intérêt légitime poursuivi par le responsable du traitement » ; l’article 38 relatif au droit d’opposition ;
ces textes doivent s’interpréter au regard de la directive 95/46 et de la jurisprudence de la CJUE ;
les droits fondamentaux à la vie privée et à la protection des données personnelles doivent se concilier avec les droits, eux-aussi fondamentaux, à la liberté d’expression et d’information.
Ainsi la nouveauté n’est-elle pas dans la reprise d’une argumentation désormais fixée, mais bien dans le résultat. Dans les affaires citées ci-dessus (1), les demandeurs avaient tous été déboutés. Ici, le demandeur obtient gain de cause au sujet du déréférencement du lien vers le site permettant l’accès au contenu litigieux. Trois raisons sont mises en avant par le tribunal : « le caractère gravement attentatoire à la réputation du requérant » des termes utilisés ; la mise en rapport de la situation professionnelle de Monsieur X avec le scandale sexuel dénoncé, alors qu’aucun lien n’existe entre ces deux éléments ; l’intention de satisfaire « une vindicte personnelle » ; et le fait que Monsieur X n’a jamais été condamné pour un des faits dénoncés dans le contenu litigieux et que son casier judiciaire est vierge.
Il est permis de se demander, au vu de la jurisprudence passée, et de cette décision, si le TGI de Paris ne fait pas preuve d’une exigence excessive. Faut-il vraiment que ces raisons soient cumulées pour que Google Inc. puisse être condamnée à déréférencer ou supprimer un lien vers un site ? Faut-il qu’il s’agisse nécessairement de propos « gravement attentatoires » à la réputation du demandeur pour que ce dernier obtienne gain de cause ? Alors même qu’il est réaffirmé que le fondement de l’action n’est pas le droit de la presse, mais bien le droit au respect de la vie privée et de la protection des données personnelles, ces décisions donnent à penser que la balance penche plutôt en faveur de la liberté d’expression que de la protection, au sens large, de la vie privée.
Auteur : Patrick Boiron, avocat of counsel KGA Avocats, département propriété intellectuelle et droit des technologies de l’information