Dans une société de plus en plus numérisée, la dématérialisation des registres de l’entreprise est une évolution logique, nécessaire et incontournable.
Il existe depuis de longue date une véritable volonté politique de moderniser la gestion sociétaire et notamment de permettre la dématérialisation de la gestion des titres financiers des sociétés. En effet, dans les années 80, le décret du 2 mai 1983, pris en application de l’article 94-II de la loi du 30 décembre 1981, entérine la dématérialisation des valeurs mobilières, enterrant ainsi définitivement l’émission des titres-papier ; la propriété des valeurs mobilières résultant dorénavant d’une inscription sur les comptes de la société émettrice.
Cette volonté politique affirmée de dématérialisation offre aux dirigeants d’entreprise l’opportunité d’une gestion sociétaire en toute transparence et sécurité, leur assurant à la fois gain de temps et d’espace. Elle sert dans le même temps l’objectif politique de lutte contre la fraude.
La technologie « Blockchain » émerge avec le « Bitcoin » au début du 21ème siècle, avec l’objectif clair de supprimer l’intermédiation. Très rapidement, l’essor de cette nouvelle technologie et ses applications financières en ont fait un outil performant et particulièrement adapté aux objectifs de numérisation et de dématérialisation en entreprise.
La législation favorisant la dématérialisation est parachevée depuis fin 2018. La technologie Blockchain s’est largement démocratisée. Les prestataires de services offrant des solutions pratiques fondées sur cette nouvelle technologie au service de l’entreprise se sont multipliés.
Une législation parachevée et opérationnelle.
La loi dite « Sapin II » [1] du 9 décembre 2016 habilite le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnances et à prendre les diverses mesures nécessaires à la dématérialisation des process sociaux. Deux ordonnances et deux décrets majeurs sont pris en ce sens.
Des assemblées dématérialisées. L’ordonnance du 4 mai 2017 [2] suivie de son décret d’application du 28 février 2018 [3] traduisent la volonté affirmée du Gouvernement de renforcer l’attractivité des entreprises françaises en encourageant notamment le recours aux technologies numériques dans le fonctionnement des organes sociaux. Ainsi, s’ouvre désormais aux sociétés anonymes [4] et aux sociétés en commandite par actions la possibilité de tenir leurs assemblées générales d’actionnaires exclusivement par visioconférence ou par conférence téléphonique, dès lors que ce procédé électronique permet l’identification des participants et à condition que cette faculté soit prévue dans leurs statuts et qu’un droit d’opposition soit ménagé en faveur des associés représentant au moins 5% du capital, avant ou après leur convocation et pour les seules assemblées générales extraordinaires.
Cette mesure s’applique également aux sociétés à responsabilité limitée [5], à deux nuances près : d’une part, la loi exclut la tenue dématérialisée des assemblées générales visant à délibérer sur les documents comptables sociaux et les comptes consolidés et, d’autre part, le droit d’opposition est une option qui, si elle est retenue, doit figurer dans les statuts.
Quant aux sociétés par actions simplifiée [6], elles restent entièrement libres de prévoir dans leurs statuts les formes et conditions de la prise de décisions collectives par leurs associés.
Cette dématérialisation passe aussi par la faculté laissée aux sociétés, quelle que soit leur forme, de procéder à la signature de leurs procès-verbaux d’assemblées ou d’autres organes délibérants par voie électronique et également au vote électronique, dès lors que celui-ci est prévu dans les statuts.
Dématérialisation de l’inscription des titres financiers. La loi Sapin II a en outre ouvert la voie à l’utilisation d’un dispositif d’enregistrement électronique partagé (DEEP) pour permettre de représenter et transmettre les titres financiers des sociétés. Ainsi, l’ordonnance du 8 décembre 2017 [7] et son décret d’application du 24 décembre 2018 [8], donnant lieu à l’adoption des articles L228-1 du Code de commerce, L211-3 et L211-4 Code monétaire et financier, autorisent officiellement la dématérialisation des titres financiers.
Cette législation instaure un principe d’équivalence entre l’inscription en compte des titres et leur inscription dans un DEEP au nom d’un ou de plusieurs titulaires, propriétaires des titres financiers. Equivalence donc entre le registre matériel et le registre électronique, sous réserve que les garanties, en particulier en matière d’authentification, soient suffisantes et au moins équivalentes à celles présentées par l’inscription manuscrite. Ces textes ne créent pas d’obligation nouvelle et n’allègent pas non plus les exigences préexistantes. Ils ont simplement assuré une adaptation des dispositions relatives aux titres financiers pour permettre le recours à la dématérialisation et à l’utilisation d’un DEEP, dont l’usage est pour l’heure limité aux seuls titres non cotés.
La « Blockchain », également appelée « Dispositif d’enregistrement électronique partagé » ou « Technologie de registre distribué », fait désormais partie du paysage juridique français et joue un rôle déterminant dans le processus de dématérialisation actuellement en effervescence.
La « Blockchain » : une technologie adaptée à la numérisation.
La « Blockchain » est une technologie, pas si récente [9], qui instaure pour la première fois un système de certification totalement décentralisé : finie la dépendance aux autorités centrales de certification. Elle connaît cependant son véritable essor et une réelle démocratisation, lorsqu’à partir de 2009, elle sert de base à la création de la cryptomonnaie « bitcoin » [10]
Il s’agit d’un registre [11] informatique, protégé par cryptographie, qui permet de partager des informations et de faire circuler des jetons (token) représentant des valeurs ou des droits. Cette révolution technologique, découverte à l’occasion de l’invention des bitcoins, a révélé la possibilité de dématérialiser les actifs. L’idée de sa transposition dans d’autres secteurs, tel que notamment le droit des sociétés, s’est naturellement imposée.
La Blockchain, un DEEP reconnu pour ses propriétés intrinsèques. C’est un protocole de registre décentralisé, chargé de mettre en œuvre de manière infaillible un système de règles et leur exécution, qui contient la liste de tous les échanges effectués entre ses utilisateurs depuis sa création. Le registre stocké sur les serveurs des utilisateurs, sans faire intervenir d’intermédiaire, constitue un historique infalsifiable des échanges.
Les intérêts de la Blockchain pour la dématérialisation sont multiples. Elle permet de se passer d’un tiers de confiance pour authentifier les intervenants d’une transaction, ce qui a pour effet d’accélérer le déroulement des transactions et d’en réduire le coût. Son caractère infalsifiable permet de répondre à la problématique de l’authenticité. Elle est donc particulièrement utile pour assurer l’intégrité des actes, documents ou transactions financières. Facile d’utilisation et d’accès, elle assure un partage rapide et sécurisé des données.
Pour les sociétés utilisatrices ou désireuses de l’être, c’est la promesse d’une automatisation et d’une simplification des process internes sociaux, d’une meilleure maîtrise et d’une transférabilité facilitée de l’information sociale.
Des solutions pratiques pour simplifier la gestion de la vie sociale.
La dématérialisation en pratique, un large panel de services modulables. Le marché offre aujourd’hui de nombreuses prestations en matière de dématérialisation via un Intranet pré-paramétré composé de modules individualisés pouvant faire l’objet d’une offre parfaitement personnalisée en fonction des besoins réels de chaque société :
La gestion électronique des registres sociaux (registres d’assemblées et autres organes délibérants, de mouvements de titres, registre unique du personnel, …), avec l’option de reprise par numérisation de l’historique disponible sur les registres papier. Ce service inclut l’horodatage des opérations et des procès-verbaux et la faculté d’ancrer définitivement une copie des registres à une date donnée avec émission d’un certificat d’ancrage ;
La convocation en ligne et le vote électronique des participants pour les assemblées générales ou les réunions d’associés ou d’autres organes sociaux de contrôle ;
La signature électronique avancée prévoyant l’authentification préalable de l’identité des signataires, pour répondre à l’exigence légale ;
La gestion automatisée des registres de mouvements de titres, avec la génération automatique des ordres de mouvements (ODM) et des imprimés cerfa correspondants et la mise à jour instantanée des comptes d’actionnaires ;
La gestion individualisée des accès aux données avec des droits distinctifs (lecture, écriture, administration) qui peuvent être attribués à des utilisateurs divers (associés, dirigeants, mandataire, administrateurs, …) ;
Un coffre-fort numérique permettant de stocker tous les actes et documents sociaux considérés comme importants.
La gestion internalisée de la dématérialisation. Pour les structures de taille modeste avec très peu d’associés (TPE-PE) qui souhaitent garder la pleine maîtrise de leurs process sociaux et qui disposent en interne de la ressource nécessaire capable de gérer la prise en main d’un outil de dématérialisation et de gérer au fil de l’eau des opérations en nombre limité (peu d’assemblées ou de réunions, de rares opérations de haut de bilan), la solution la plus adaptée semble être celle de la souscription auprès d’un prestataire de services d’un abonnement qu’elles pourront moduler à souhait.
La voie de l’externalisation, désignation d’un mandataire. Pour les structures de taille moyenne ou de grande taille, avec un nombre conséquent d’actionnaires et pour les groupes de sociétés comptant plusieurs filiales qui génèrent de nombreuses opérations à l’année (réunions des associés, réunion des organes de contrôle de toute nature, opérations de haut de bilan et/ou de restructuration), il peut être préférable de déléguer la mise en œuvre et la gestion de la dématérialisation à un mandataire expérimenté afin de pouvoir se focaliser sur leur cœur de métier et bénéficier d’économies d’échelle.
Désormais, pour les décideurs des entreprises, la question ne se pose plus de savoir s’ils vont dématérialiser les registres sociaux, mais bien quand et comment ils vont y procéder.
Marie-Christine Combes
Avocat associé
Roseny Apatout Dugachard
Avocat collaborateur
Barreau de Lyon
Article initialement publié sur le site Le Village de la Justice