La majorité des entreprises étant fortement touchées par la crise sanitaire, la Covid 19 semble être la première véritable épreuve qui permettra de tester la solidité des dispositifs anticorruption déployés par les entreprises. Ces dispositifs survivront-ils à la pression économique qui poussera les entreprises à retrouver les indicateurs d’avant Covid ? Que peuvent faire les entreprises pour s’assurer que les trois années de déploiement des programmes anticorruption Sapin II ne soient pas sacrifiées lors de ce premier test ?
« Un bateau dans un port est en sécurité, mais ce n’est pas pour cela qu’il a été construit ».
Les entreprises doivent mettre en place des systèmes de prévention de la corruption à suivre en tout temps, y compris pendant les crises. Sans être correctement testés en période de volatilité, marquée par des chocs économiques majeurs, aucun système de prévention de la corruption ne peut prétendre à l’efficacité. La crise de Covid 19, et en particulier la période qui suivra immédiatement après, peut devenir le premier crash test des dispositifs anticorruption Sapin II.
Les crimes économiques, y compris la fraude et la corruption, semblent fleurir pendant et après les récessions. Au Royaume-Uni seulement, on estime qu’après la crise de 2009, le pourcentage des pertes liées à la fraude est passé de 4,57% des dépenses totales à 5,47%.
Les mêmes tendances ont été observées pour les autres grandes récessions au Royaume-Uni [1].
Entre la déclaration du milieu de l’été 2020 de la Banque mondiale, selon laquelle la crise de Covid 19 va plonger les économies dans la pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale [2], et les résultats plus optimistes de la fin 2020, comme observé par l’OCDE [3], la réalité est que la majorité des entreprises seront tout de même confrontées à des défis financiers importants. Par conséquent, cette période pourrait elle aussi être marquée par des risques accrus de corruption et de fraude. Ceci est principalement dû à deux facteurs :
sous la pression des enjeux économiques, les entreprises et leurs employés chercheront, sinon à gagner de nouvelles affaires, du moins à maintenir les positions antérieures à la Covid 19 dans la conjoncture très compétitive. La tentation de le faire par des pratiques illégales sera plus forte que jamais ;
avec un nombre important d’employés en télétravail [4], les capacités de surveillance offertes à leurs managers sont plus limitées. Cette situation est un terreau fertile pour celles et ceux qui seront enclins à gagner les affaires coûte que coûte, même si parfois cela coûte un remerciement passé dessous-de-table.
Tout cela crée des conditions idéales pour la corruption. Les entreprises véritablement désireuses de mettre en place une culture de conformité forte doivent s’assurer que leurs dispositifs anticorruption ne seront pas anéantis par cette tempête. Pour ce faire, elles peuvent :
actualiser leurs cartographies des risques de corruption. Un certain nombre d’entreprises étant obligées de modifier leur modèle de business afin de se conformer aux mesures gouvernementales, il se peut que les risques de corruption auxquels elles se sont confrontées hier ne sont plus d’actualité et que de nouveaux risques se présentent aux entreprises. Les directions devraient travailler avec leurs responsables conformité afin de déterminer si les anciennes cartographies des risques sont toujours à jour et, dans le cas contraire, les réajuster ;
renforcer le ton at the top. Il est plus que jamais nécessaire de renforcer le ton at the top. La direction doit montrer l’exemple en rappelant à ses équipes que, même dans des périodes aussi difficiles que la période actuelle, l’entreprise ne tolérera aucune forme de corruption. Les rappels peuvent être envoyés sous la forme de courts courriers électroniques, peuvent être inclus dans les rapports périodiques ou les mises à jour internes, ou être adressés lors de toute interaction avec les équipes ;
organiser des formations de refresh. Les possibilités de réunions en personne étant limitées, les équipes chargées de la conformité doivent saisir l’occasion d’organiser des formations de refresh en ligne sur les règles et procédures internes de prévention de la corruption, en rappelant la politique de tolérance zéro à l’égard de la corruption ;
suivre les procédures de due diligence, notamment en ce qui concerne les agents, les consultants et les représentants commerciaux. Les périodes désespérées peuvent appeler des mesures désespérées, mais pas dans ce cas. Les entreprises doivent s’assurer que les tiers avec lesquels elles ont l’intention de travailler sont passés par les filtres internes des vérifications de due diligence, afin d’éviter d’ajouter à leurs difficultés financières déjà existantes des actions en justice pour l’implication dans des affaires de corruption ;
rappeler à leurs clients et fournisseurs leurs engagements en matière de lutte contre la corruption. Outre qu’ils constituent un puissant outil de réputation, ces rappels contribueront à renforcer la confiance mutuelle et à établir des bases communes pour les affaires futures. Ces rappels peuvent être envoyés dans le cadre d’exercices de communication globale, ou être communiqués par les équipes de conformité avec de brefs résumés des engagements anticorruption des entreprises, des règles et des procédures internes.
Etonnamment et malheureusement, l’Agence Française Anti-corruption (AFA) est restée relativement silencieuse pendant cette période, bien qu’elle aurait pu utiliser cette possibilité pour faire la campagne promotionnelle plus importante et rappeler aux entreprises l’importance de maintenir des systèmes solides de prévention de la corruption pendant toute la durée de la crise.
Il est néanmoins évident que lors des audits post-Covid, l’AFA accordera une grande attention à la manière dont les systèmes de prévention de la corruption ont été gérés, réajustés et suivis pendant et après la pandémie.
Tinatin Laoshvili,
Juriste en conformité.
Article initialement publié sur Le Village de la Justice.