Une personne s’estimant victime d’une infraction – vol, agression, escroquerie, par exemple – peut porter plainte auprès d’un commissariat ou d’une brigade de gendarmerie. Mais, les services de police sont-ils dans l’obligation de prendre la plainte ? Porter plainte constitue-t-il le seul moyen de déclencher des poursuites pénales, ce que l’on appelle en droit « mettre en mouvement l’action publique » ? Que faire en cas de défaut d’assistance de la Police ou de la Gendarmerie ?
C’est ce que nous verrons ensemble au travers de cet article.
Pour quelles raisons est-il possible de déposer plainte ?
De manière générale, trois raisons peuvent conduire une personne à déposer plainte.
La première motivation est de voir l’auteur des faits sanctionné par la justice pénale. La plainte va en principe déclencher une enquête pénale. Cette enquête peut mener à la comparution de l’auteur de l’infraction devant un tribunal. Dans la plupart des cas, le tribunal saisi va prononcer une amende à l’encontre de l’auteur des faits. Mais ce n’est pas l’unique moyen sanctionné l’auteur. Le juge dispose de tout un arsenal pénal : emprisonnement ferme, emprisonnement avec sursis, interdictions diverses.
Bon à savoir : devant le Tribunal correctionnel, la personne mise en cause est nommée le prévenu, c’est seulement devant la cour d’assises – qui est compétente pour juger les personnes accusées d’avoir commis un crime – que l’on parle d’accusé.
Attention toutefois à éviter certains écueils : l’amende sert à punir l’auteur des faits et réparer le dommage causé à la société, elle ne sert pas à indemniser la victime.
La deuxième raison pour laquelle une personne va souhaiter déposer plainte, c’est justement pour obtenir une indemnisation.
De manière générale, le tribunal qui sanctionne l’auteur de l’infraction va également être amené à se prononcer sur l’indemnisation de la victime ; à condition qu’elle se soit portée partie civile. L’auteur va alors être condamné au versement de dommages-intérêts à la victime. A noter également que les assurances conditionnent parfois l’indemnisation au dépôt d’une plainte de l’assuré, en cas de vol notamment.
Troisième raison : obtenir des éléments de preuve.
Une personne s’estimant victime d’une infraction n’a pas toujours identifié l’auteur, ou du moins, ne possède pas les éléments de preuve suffisant pour obtenir la condamnation de l’auteur. C’est alors que la victime présumée peut trouver un intérêt à déposer plainte afin de déclencher une enquête de police ou une instruction s’il s’agit d’un crime ou d’un délit complexe. Dans ce cas, la police, le procureur de la République et dans certains cas le juge d’instruction pourront mener l’enquête avec les moyens d’investigation plus ou moins importants qui sont les leurs.
Bon à savoir : plutôt que de déposer plainte, il est parfois recommandé de s’en tenir à une simple déclaration à la police, c’est-à-dire déposer une main courante. Déposer main courante permet de dater officiellement la survenance d’un fait et ainsi se ménager la preuve pour l’avenir sans pour autant déclencher une enquête pénale. En revanche, si les services de police ou de gendarmerie estiment que les faits décris présentent une certaine gravité, ils peuvent en informer le Procureur de la République.
Quelles sont les formalités pour déposer une plainte simple ?
Il faut se rendre dans un commissariat de police ou auprès d’une brigade de gendarmerie.
Tout dépôt de plainte doit faire l’objet d’un procès-verbal, dont il est remis copie à la personne qui dépose plainte (le plaignant), en application de l’article 15-3, alinéa second, du code de procédure pénale :
« Tout dépôt de plainte fait l’objet d’un procès-verbal et donne lieu à la délivrance immédiate d’un récépissé à la victime, qui mentionne les délais de prescription de l’action publique définis aux articles 7 à 9 ainsi que la possibilité d’interrompre le délai de prescription par le dépôt d’une plainte avec constitution de partie civile, en application de l’article 85. Si elle en fait la demande, une copie du procès-verbal lui est immédiatement remise. Les officiers ou agents de police judiciaire peuvent s’identifier dans ce procès-verbal par leur numéro d’immatriculation administrative. »
Il est également possible d’écrire une lettre recommandée avec avis de réception au procureur de la République près le tribunal de grande instance du lieu de l’infraction, ou du domicile de l’auteur de l’infraction. Il convient d’y joindre tous les éléments de preuve : lieu et date des faits, témoins, etc.
S’agissant des délits contre les biens ou certains faits à caractère discriminatoire dont l’auteur est inconnu, un service de pré-plainte en ligne permet de gagner du temps. La personne s’estimant victime devra alors se rendre au commissariat sous un délai de 30 jours, sur rendez-vous.
Les services de Police et de Gendarmerie sont-ils dans l’obligation de prendre la plainte ?
Oui. L’article 15-3, alinéa 1er, du code de procédure pénale répond de manière claire à cette question :
« Les officiers et agents de police judiciaire sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions à la loi pénale, y compris lorsque ces plaintes sont déposées dans un service ou une unité de police judiciaire territorialement incompétents. Dans ce cas, la plainte est, s’il y a lieu, transmise au service ou à l’unité territorialement compétents. »
Il existe donc bien une obligation légale de recevoir les plaintes, obligation d’ailleurs réaffirmée dans la charte d’accueil du public et d’assistance aux victimes qui est en principe affichée dans les locaux de police et de gendarmerie : « Les services de police nationale et de la gendarmerie nationale sont tenus de recevoir les plaintes déposées par les victimes d’infractions pénales, quel que soit le lieu de commission ».
Donc, les services de Police et de Gendarmerie ont obligation de prendre la plaine :
Quel que soit le lieu de commission de l’infraction ;
Quel que soit le lieu de résidence de la victime ;
Qu’il existe ou non des éléments de preuve au moment du dépôt de la plainte.
Que se passe-t-il après le dépôt d’une plainte ?
Les faits sont portés à la connaissance de la Justice. Elle est transmise au procureur de la République qui décide de l’opportunité des poursuites. L’article 40-1 prévoit plusieurs possibilités pour le procureur :
« Lorsqu’il estime que les faits qui ont été portés à sa connaissance en application des dispositions de l’article 40 constituent une infraction commise par une personne dont l’identité et le domicile sont connus et pour laquelle aucune disposition légale ne fait obstacle à la mise en mouvement de l’action publique, le procureur de la République territorialement compétent décide s’il est opportun :
1° Soit d’engager des poursuites ;
2° Soit de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites en application des dispositions des articles 41-1, 41-1-2 ou 41-2 ;
3° Soit de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient ».
Quels sont les autres moyens pour déclencher l’action publique ?
Pour les crimes, c’est-à-dire les infractions les plus graves, et pour certains délits, notamment les délits de presse, il est possible de déposer plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance du lieu de l’infraction ou du domicile de l’auteur.
S’il ne s’agit pas d’un crime ou d’un délit particulier, il n’est possible de porter plainte avec constitution de partie civile qu’à titre subsidiaire.
Uniquement si :
Le procureur de la République a classé sans suite la plainte ;
Si 3 mois se sont écoulés après dépôt de la plainte auprès du procureur de la République, ou après l’envoi du procès-verbal reçu après dépôt de plainte simple à ce même magistrat.
Article 85 du code de procédure pénale :
« Toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit peut en portant plainte se constituer partie civile devant le juge d’instruction compétent en application des dispositions des articles 52, 52-1 et 706-42.
Toutefois, la plainte avec constitution de partie civile n’est recevable qu’à condition que la personne justifie soit que le procureur de la République lui a fait connaître, à la suite d’une plainte déposée devant lui ou un service de police judiciaire, qu’il n’engagera pas lui-même des poursuites, soit qu’un délai de trois mois s’est écoulé depuis qu’elle a déposé plainte devant ce magistrat, contre récépissé ou par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, ou depuis qu’elle a adressé, selon les mêmes modalités, copie à ce magistrat de sa plainte déposée devant un service de police judiciaire. Cette condition de recevabilité n’est pas requise s’il s’agit d’un crime ou s’il s’agit d’un délit prévu par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou par les articles L. 86, L. 87, L. 91 à L. 100, L. 102 à L. 104, L. 106 à L. 108 et L. 113 du code électoral.
Par dérogation à l’article 5 du présent code, la victime qui a exercé son action devant une juridiction civile pendant le délai prévu au deuxième alinéa peut se constituer partie civile devant le juge d’instruction après s’être désistée de l’instance civile.
Lorsque la plainte avec constitution de partie civile est formée par une personne morale à but lucratif, elle n’est recevable qu’à condition que la personne morale justifie de ses ressources en joignant son bilan et son compte de résultat. »
Autre moyen pour la personne s’estimant victime : la citation directe. Lorsque les faits sont simples et que le plaignant est en mesure de prouver l’infraction et l’identité de l’auteur, il peut citer directement la personne qu’il estime coupable à une audience devant le Tribunal de police ou le Tribunal correctionnel.
Qu’il y ait refus de prendre la plainte ou classement sans suite, la victime d’une infraction n’est donc pas cantonnée au dépôt de plainte pour défendre ses droits.
Que faire en cas de défaut d’assistance des services de police ou de gendarmerie ?
En cas de manquement grave au devoir d’assistance des services de Police et de Gendarmerie, les victimes disposent de deux recours principaux pour défendre leurs droits.
Le premier recours : il consiste à saisir le Défenseur des droits qui a hérité depuis mai 2011 des compétences de l’ancienne Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS) qui a disparu après la réforme opérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.
L’article 4 de la loi organique n°2011-333 du 29 mars 2011 relative au Défenseur des droits dispose que le Défenseur des droits est chargé :
« 1° De défendre les droits et libertés dans le cadre des relations avec les administrations de l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics et les organismes investis d’une mission de service public ;
2° De défendre et de promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant consacrés par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ;
3° De lutter contre les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France ainsi que de promouvoir l’égalité ;
4° De veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ;
5° D’orienter vers les autorités compétentes toute personne signalant une alerte dans les conditions fixées par la loi, de veiller aux droits et libertés de cette personne. »
Il incombe à cette autorité administrative indépendante (AAI) de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant les activités de sécurité en France, en l’espèce la Police et la Gendarmerie.
Le Défenseur des droits peut :
Demander des informations aux administrations, aux personnes privées, aux ministres ;
Effectuer des vérifications dans les locaux concernés.
Lorsque les faits signalés sont susceptibles de revêtir une qualification pénale, le Défenseur des droits doit saisir le procureur de la République.
Le second recours : il est propre à l’administration concernée et se fait au travers de ses inspections générales de contrôle internes des activités de ses services. Ainsi, il est mis à disposition des victimes un formulaire de signalement à remplir afin de saisir l’inspection générale de la Police Nationale (IGPN) ou l’inspection générale de la Gendarmerie Nationale (IGGN).
Attention toutefois : une dénonciation mensongère pourrait se retourner contre la victime et aboutir au dépôt d’une plainte de la part du ministre de l’Intérieur.
Vous pouvez consulter la vidéo réalisée sur ce sujet.