Le thème est incontestablement d’actualité depuis la loi El Khomri et les ordonnances Macron du 22 septembre 2017. Il n’est sans doute pas inutile de s’interroger un instant sur les perspectives de notre droit du travail.
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Notre droit du travail était jusqu’à présent marqué par trois constats : d’abord, à peine 8% des salariés adhèrent à un syndicat. C’est deux fois moins qu’en Allemagne, et trois fois moins qu’au Royaume-Uni. La moyenne européenne est d’environs 23%.
Qui plus est, nous avons un code du travail volumineux de plus de 10.000 articles (alors que la Suisse a un Code d’une soixantaine d’articles et l’Allemagne, 300 articles…). Ce poids du Code du travail n’empêche pas notre pays d’avoir un fort taux de chômage.
Enfin, la France se fait remarquer par un nombre important de toutes petites entreprises (2/3 des entreprises en France ont moins de 10 salariés) où il était jusqu’à présent très difficile de négocier (hormis le système de mandatement syndical. C’est ce que nous tenterons de faire dans cet article en effectuant un rapide travail de droit comparé.
Quelle est la finalité de ces réformes ? Sont-elles originales et spécifiques pour la France ou, au contraire, s’inscrivent-elles dans la ligne des réformes menées par les autres pays européens ?
I. Assouplir les relations de travail.
Le droit du travail français a la réputation d’être un carcan. Sans entrer dans les détails, il est clair qu’un des objectifs des ordonnances Macron est d’assouplir ces relations en revenant sur la hiérarchie des normes.
En effet, jusqu’à présent, le principe était celui de l’ordre public social, c’est-à-dire que la solution la plus avantageuse pour le salarié primait.
Désormais, si le gouvernement a renoncé à simplifier le code du travail, il promeut la négociation. Et, les thèmes de négociation sont répartis en trois blocs.
Le premier bloc rassemble les domaines où la négociation de branche prime de manière impérative sur la négociation d’entreprise, le deuxième bloc permet à la branche d’instituer des "clauses de verrouillage" sur certains thèmes dévolus en principe à l’entreprise et le troisième bloc correspond aux domaines où la négociation d’entreprise prime sur la négociation de branche. Sont ainsi visés par le troisième bloc les primes, les indemnités de rupture (licenciement, mise à la retraite, départ à la retraite…), la durée du préavis, la mise en place du forfait jours… Un accord négocié au sein de l’entreprise pourra donc prévoir, au sein du troisième bloc, des solutions moins avantageuses pour le salarié que celles issues de la conven- tion collective de branche. Et là où la question devient intéressante, c’est qu’il est désormais possible dans les TPE et PME, dépourvues de délégués syndicaux, de négocier des accords d’entreprise. Ainsi, dans les entités de moins de 11 salariés (et jusqu’à 20 salariés en l’absence d’élu au comité social et économique : C trav art L 2232-23), l’employeur propose un projet d’accord aux salariés pouvant porter sur l’ensemble des thèmes ouverts à la négociation (C trav art L 2232-21).
Pour que l’accord soit adopté, il doit être ratifié à la majorité des deux tiers du personnel [1].
Et lorsque l’on connaît en France le nombre important de TPE, on comprend de suite l’importance de ces dispositions et la souplesse introduite dans les relations de travail.
II. Simplifier les relations de travail.
Ce souci de simplification est concrétisé par la création d’un « comité social et économique » (CSE) qui, remplacera au plus tard le 31 décembre 2019 les trois institutions existantes : le comité d’entreprise, les délégués du personnel et le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).
Cet empilement des structures avait été maintes fois critiqué, surtout dans un pays où les syndicats ont un faible poids… Point n’est besoin d’épiloguer longtemps sur l’importance pratique de ces dispositions.
III. Sécuriser les relations de travail.
Sans doute s’agit-il ici de l’apport le plus important des ordonnances Macron.
Par la réduction des délais de prescription.
Un levier incontestable permettant de limiter le risque contentieux est celui de la prescription. Un bref délai de contestation découragera immanquablement les salariés qui disposeront de peu de temps pour s’informer et organiser leur défense, mais également il éteindra toute action ultérieure et interdira au juge d’examiner la licéité de contrats antérieurs.
Ce problème de la prescription paraît d’autant plus important en droit français qu’il est lié à la question de la rétroactivité de la jurisprudence.
La chambre sociale a ainsi décidé que « la sécurité juridique ne saurait consa- crer un droit acquis à une jurisprudence immuable, l’évolution de la jurispru- dence relevant de l’office du juge dans l’application du droit » [2].
En pratique, les usagers qui ont déterminé leurs choix en fonction de ce qu’ils croyaient correspondre à l’état de la jurisprudence découvrent parfois a posteriori et suite à des modifications de jurisprudence, qu’ils se sont mis, de bonne foi, en contravention avec les règles applicables qu’ils ne pouvaient à l’époque évidemment pas prévoir et encore moins appliquer.
Or, les revirements et création prétoriennes de jurisprudence sont fréquents en droit du travail.
L’analyse du droit comparé indique que les délais de contestation suite à un licenciement sont souvent brefs.
Ainsi, le droit allemand fixe à trois semaines le délai d’introduction de l’instance à compter du terme du contrat ; le droit espagnol fixe ce délai à 20 jours. Il est de trois mois en droit belge ou luxembourgeois ; 60 jours ouvrables au Chili, quatre mois en Suède….
S’agissant de la France, on se souvient qu’avant la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la prescription était de 5 ans en matière de salaire et de 30 ans en matière de dom- mages intérêts.
Ce dernier délai avait été fortement critiqué par la doctrine en ce qu’il contribuait à l’insécurité juridique de l’employeur.
Dans ces conditions, le législateur avait décidé par la précédente loi d’unifier les prescriptions en les fixant uniformément à 5 ans qu’il s’agisse de salaires ou de dommages intérêts.
Toutefois, la discussion reprit en 2013 et la loi de sécurisation de l’emploi n° 2013-504 du 14 juin 2013 modifia encore ces délais à la baisse : l’action en paiement ou en répétition du salaire passait de 5 à 3 ans à compter du jour où celui qui exerce une action en justice a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer.
Quant à l’action portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail, elle se prescrivait par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit.
Ce schéma connaissait toutefois quelques exceptions [3].
Enfin, l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017 (art 6), elle a encore divisé par deux l’action portant sur la rupture du contrat de travail (C trav art L 1471-1 « toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture »)… [4].
De même, on relèvera qu’un salarié ne pourra contester un accord collectif que dans les deux mois à partir de la date de publicité de l’accord dans la nouvelle base de données publique créée par la loi Travail (contre une prescription de 5 ans auparavant) [5].
Quant à la contestation de l’avis d’inaptitude du médecin du travail, on est passé d’une absence de délai, à 2 mois puis à 15 jours à compter de la notification dudit avis [6].
Par de nouvelles garanties, données aux employeurs, dans le cadre du licenciement.
Sur ce point, plusieurs leviers ont été utilisés récemment en droit français. Ainsi en est-il du plafonnement de l’indemnité de rupture abusive. Pour certains employeurs, la peur de la rupture du contrat de travail et des indemnités à payer constituerait un frein à l’embauche. Et la peur serait d’autant plus justifiée dès lors qu’aucun plafonnement de l’indemnité de rupture abusive n’est fixé dans les textes, laissant ainsi au juge une liberté totale d’appréciation quant à la fixation des dommages intérêts. Toujours est-il que maints pays se sont orientés vers un barème des indemnités de rupture abusive afin d’éviter toute dérive des juges.
Certains Etats pratiquent un système de plafonnement des plus simples (ainsi, Monaco, la Bulgarie, l’Estonie : six mois de salaire maximum si le salarié n’a pas atteint l’âge lui permettant de percevoir une pension retraite ; la Côte d’Ivoire, l’Albanie, la Slovaquie, un an de salaire maximum (ou s’agissant de la Côte d’Ivoire et par décision spécia- lement motivée 18 mois de salaire) ; la Slovénie : 18 mois de salaire maximum ; la Finlande, l’Irlande, le Maroc : 24 mois de salaire maximum).
En Italie, le « jobs act » a introduit un système plus subtil : en cas de licenciement jugé injustifié par le juge, dans les entreprises de plus de 15 employés, l’indemnisation est égale à 2 mois de salaire par année d’ancienneté (minimum 4 mois et maximum 24 mois) : pour les entreprises de 15 employés ou moins, l’indemnisation est égale à 1 mois de salaire par année d’ancienneté (minimum 2 mois, maximum 6 mois) [7].
Le droit du travail français s’insère tout à fait dans cette démarche. Lorsque le licenciement d’un salarié survient pour une cause qui n’est pas réelle et sérieuse, le juge peut lui octroyer une indemnité comprise entre un minimum et un maximum et précisée par l’article L 1235-3 du Code du travail.
Qui plus est, l’employeur qui a envoyé une lettre de licenciement dont la motivation laisserait à désirer, a désormais la faculté d’en préciser les motifs dans les 15 jours de la notification de la rupture [8].
Dans le même esprit, on notera que des modèles de lettre de licenciement ont été publiés au Journal Officiel [9].
Par le développement des modes de rupture conventionnelle.
Une autre possibilité de limiter les contentieux et promouvoir la sécurité juridique des employeurs est d’encourager les ruptures amiables de contrats de travail [10].
La plupart des pays connaissent le principe de la rupture amiable en droit social. Toutefois, aucun pays n’est allé aussi loin que la France en la matière.
Rappelons que, jusque 2008, le système français était marqué par une absence de recherche de consensus dans le traitement de la rupture du contrat du travail.
Certes la rupture amiable était envisageable toutefois, elle était très peu mise en œuvre puisqu’elle ne permettait pas au salarié de toucher l’assurance chômage.
Devant cette carence, le législateur, par la loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 a inventé un nouveau mode de rupture pour le contrat à durée indéterminée avec un contrôle administratif : la rupture conventionnelle.
Le système fonctionne bien puisque qu’environs 30.000 ruptures conventionnelles seraient formalisées chaque mois [11].
A y regarder de près ce mode de rupture est intéressant car il allie la volonté des parties de se séparer, la sécurité juridique de l’employeur, la protection du salarié, et la garantie pour ce dernier de toucher les prestations de chômage.
Et ce n’est pas tout, puisque les ordonnances Macron viennent de créer un système de rupture conventionnelle collective [12].
Toutefois, on constate que ce système français onéreux a été imité par peu de pays [13]
Par la promotion des modes alternatifs de règlement des conflits.
En 2014, un rapport effectué par le français Alain Lacabarats alors président de la Chambre sociale de la cour de cassation, constatait que la juridiction prud’homale « ne fonctionne pas dans des conditions conformes aux exigences des standards européens et connait de graves carences » [14]. Deux arguments pouvaient motiver cette affirmation : alors que les conseils de prud’hommes connaissent d’un plus faible nombre d’affaires par rapport aux tribunaux de commerce, aux tribunaux d’instance et aux tribu- naux de grande instance, leurs délais moyens de jugement et leurs taux d’ap- pel étaient du double ou du triple des autres juridictions.
Qui plus est, alors que 90% des litiges devant les conseils de prud’hommes au XIX° siècle étaient réglés par la conciliation, ce chiffre serait aujourd’hui de 6% [15].
Ces derniers pourcentages semblent d’autant plus inquiétants dans un pays où le contentieux en droit du travail est important.
La procédure de conciliation devant les conseils de prud’hommes ne fonctionnant pas correctement, on aurait pu croire que le législateur aurait eu à cœur de développer des modes privés de résolutions des conflits.
Paradoxalement, en droit français, des systèmes existent mais qui se révèlent peu efficaces : la conciliation ne fonctionne pas comme elle devrait fonctionner, la transaction n’est pas suffisamment adaptée aux besoins des entreprises.
Quant à l’arbitrage, la médiation ou la convention de rupture participative, ils constituent des systèmes largement méconnus par les entreprises et les salariés, contrairement à ce qui peut être constaté à l’étranger [16].
Depuis quelques années, on remarque un intérêt particulier des pouvoirs publics de simplifier, de faire connaître et de valoriser ces différents systèmes.
Au terme de cette rapide étude, force est de constater que ces évolutions du droit du travail français ne sont pas véritablement originales et vont dans le sens de ce qui est constaté dans les autres pays (essentiellement) européens [17].
On ne peut donc parler de particularisme de la France en la matière mais simplement d’adaptation.
François Taquet, Professeur de Droit social, Avocat, spécialiste en Droit du travail et protection sociale,
Directeur scientifique du réseau international d’avocats GESICA.
Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°62.