Le rejet de comptabilité correspond à une décision prise par l’administration lors d’un contrôle fiscal si elle entend remettre en cause la valeur probante de la comptabilité qui lui est présentée. Ce rejet, s’il est fondé, constitue, uniquement et avant toute chose, un préalable qui va lui permettre de recalculer le bénéfice. Cette notion n’emporte pas de conséquences pécuniaires en elle-même, les ennuis viennent ensuite. Bien entendu, un rejet de comptabilité peut être contesté par tous moyens.
Contexte : de l’examen d’une comptabilité exhaustive aux justificatifs qui lui donnent force probante… ou pas !
Une entreprise dépose chaque année une déclaration de résultat aux services fiscaux par voie électronique sur laquelle figure un bénéfice ou une perte.
Lorsque l’administration diligente un contrôle fiscal pour vérifier le bien-fondé de cette déclaration, le vérificateur demandera que lui soit communiquée la comptabilité. Cette comptabilité constitue la donnée source de la déclaration qui a été déposée. Normalement, elle est l’exacte retranscription de la déclaration, les comptes inscrits en comptabilité étant regroupés au bilan et au compte de résultat notamment.
A partir de cette comptabilité, le vérificateur demandera également à voir les justificatifs venant l’appuyer. Tout enregistrement comptable doit être justifié. La déclaration est étayée par la comptabilité, elle-même étayée par les justificatifs, le tout devant être « hermétique » et cohérent. Cette notion de justificatifs doit être prise au sens large. Ainsi, l’article 54 du Code général des impôts dispose que le déclarant est tenu de représenter à toute réquisition de l’administration tous documents comptables, inventaires, copies de lettres, pièces de recettes ou de dépenses de nature à justifier l’exactitude des résultats indiqués dans sa déclaration. Par ailleurs, si la comptabilité est tenue au moyen de systèmes informatisés, le contrôle porte sur l’ensemble des informations, données et traitements informatiques concourant à la formation des résultats.
Ce rapide tour d’horizon des éléments que peut être amenée à produire l’entreprise durant le contrôle ne signifie pas que l’administration ne cherchera pas d’autres pistes pour vérifier que les apparences ne sont pas trompeuses. Rien de plus facile, en effet, que de faire disparaître un flux. Une comptabilité peut ainsi être « hermétique » sans retracer l’ensemble des opérations. Pour obtenir un début de réponse à sa question, le vérificateur pourra recourir au droit de communication (en résumé, l’administration a la possibilité de vérifier chez certains tiers que les opérations mentionnées dans la comptabilité existent chez ce tiers), et procédera, dans certaines entreprises, à la mise en place d’une comptabilité matière (pour détecter d’éventuelles fuites dans les ventes déclarées).
A partir de l’ensemble de ces documents, les rectifications proposées par l’administration peuvent prendre deux formes :
La plus connue consiste à procéder à des rectifications ponctuelles à partir des éléments déclarés, ce qui est le cas pour une grande partie des contrôles (exemple : le rejet de la déductibilité d’une charge passée en comptabilité, un rappel de TVA sur une opération particulière…).
La moins connue consiste à rectifier en masse (en d’autres termes : l’administration tire un trait sur les chiffres déclarés car ils ne lui apparaissent pas probants pour en substituer d’autres… à sa façon).
Ce dernier procédé qui peut sembler un peu violent (et en pratique, il l’est) consiste à rectifier globalement l’ensemble des résultats déclarés ou un ensemble d’opérations de l’entreprise.
Il y a tout de même un préalable incontournable et impératif avant toute rectification de la sorte : le rejet de la comptabilité. Celui-ci n’est possible qu’à la condition que la comptabilité présentée soit dépourvue de valeur probante, et pour ce faire, le vérificateur cherchera tout élément incohérent.
L’absence de valeur probante de la comptabilité en théorie :
L’absence de valeur probante d’une comptabilité, condition nécessaire de son rejet, résulte selon la doctrine administrative des cas suivants :
Irrégularité formelle de cette comptabilité (balances inexactes, erreurs répétées de reports, enregistrement non chronologique des opérations, soldes de compte caisse fréquemment créditeurs).
Insuffisance des justifications fournies à l’appui de ses énonciations (absence de pièces justificatives de recettes ou de dépenses, fausses factures, enregistrements d’une partie des opérations réalisées).
Présence d’éléments permettant d’en contester la sincérité (insuffisance du taux de bénéfice brut calculé à partie des données de la comptabilité, train de vie et enrichissement de l’exploitant disproportionnés avec les bénéfices déclarés…).
L’administration admet que le rejet d’une comptabilité ne doit être opéré que lorsqu’il existe des motifs précis et sérieux permettant de la considérer comme dénuée de sincérité ou comme non probante. En d’autres termes, les motifs permettant le rejet doivent avoir un caractère suffisamment grave.
L’absence de valeur probante de la comptabilité en pratique :
La plupart du temps un rejet de comptabilité est fondé sur plusieurs motifs (faisceau d’indices) ou par l’emploi d’un motif suffisamment grave pour discréditer complètement la comptabilité produite, l’absence ou l’insuffisance des justificatifs font notamment partie de ces motifs suffisamment graves.
Ces motifs ne sont pas forcément imputables à la comptabilité en elle-même, cela est même plutôt rare lorsque celle-ci est tenue par un professionnel digne de ce nom. On voit mal, en effet, un tel professionnel valider des balances inexactes (d’autant que son logiciel bloquerait) ou clôturer les comptes en présence d’une caisse créditrice importante. Cette dernière hypothèse signifie (pour les non initiés) qu’il y a un trou dans la caisse : vous ne pouvez, en effet, décaisser plus que ce que vous n’avez en caisse. Certes, une caisse débitrice ne veut pas forcément dire que tout est parfait dans les comptes mais au moins l’apparence est sauve, puisque l’erreur ne se voit pas comme « le nez au milieu de la figure ». Il y a un fait avéré : tous les vérificateurs ne se valent pas, car ils ont notamment un sens comptable assez variable, mais aucun ne passerait à côté d’une caisse créditrice.
L’insuffisance de bénéfice brut n’est, quant à elle, pas suffisante (excusez la redite) pour rejeter une comptabilité, et encore bon, puisque dépendant du prix de vente confronté au prix d’achat, cela signifierait que l’administration a un droit de regard sur la politique commerciale de l’entreprise (ce qui est parfois le cas dans d’autres domaines). Elle peut néanmoins le souligner pour « habiller » un rejet de comptabilité ou corroborer les chiffres d’une reconstitution lorsque le taux reconstitué est comparé aux concurrents de l’entreprise vérifiée.
Voyons maintenant quelques situations particulières permettant d’illustrer la notion de gravité d’un motif :
Citons le cas d’un professionnel qui souhaite faire quelques achats « particuliers ». Celui-ci règle sa facture en espèces (voire par chèque ou par carte bleue non liée à son entreprise…) et n’intègre pas cette facture dans sa comptabilité (je vous laisse deviner pourquoi …). Pour son comptable, aucune possibilité de le voir. Pour le fisc, oui, en cas de mise en œuvre de son droit de communication auprès du fournisseur (articles L 81 et suivants du LPF) et si, bien entendu, la transaction figure dans sa comptabilité au nom de son client. En cas de fraude avérée et répétée sur ce point, le rejet de comptabilité s’appuiera sur le constat d’achats non comptabilisés, fait particulièrement grave, qui, à lui seul, pourra ôter le caractère probant de la comptabilité.
Citons le cas d’un autre professionnel, dont l’approvisionnement est normal, faisant disparaître quelques ventes. Les droits de communication mis en œuvre par l’inspecteur auprès des fournisseurs ne donnent rien (entendez par là, les deux comptabilités traduisent bien la même chose). Par contre, si ce même inspecteur met en œuvre une comptabilité matière (achats + variation de stocks = ventes), il y verra forcément quelques trous, fait qui pourra également ôter à lui seul le caractère probant de la comptabilité en cas d’écarts significatifs. Enfin, si ce même professionnel a l’idée d’utiliser des moyens particuliers pour faire disparaître ses ventes (par l’usage d’un logiciel de caisse permissif par exemple), gageons que ces manipulations ne laissent pas de traces, car si elles devaient être mises à jour, la comptabilité serait bien entendu dépourvue de valeur probante.
Citons ensuite le cas de la personne mal conseillée, dont la caisse enregistreuse serait paramétrée un peu (trop) rapidement car elle ne détaille pas les produits vendus. Ces justificatifs de recettes ne sont qu’une longue succession de chiffres rendant impossible tout lien entre les achats et les ventes. Cette anomalie s’appelle une globalisation de recettes, qui emporte, à elle seule, le rejet de comptabilité. Retenez que le vérificateur doit être en mesure de faire le lien entre les ventes et les achats, ce qui impose forcément une désignation des produits vendus (voire des groupes de produits vendus au même tarif si le lien susvisé reste possible).
Citons enfin le cas d’une entreprise, dont le chiffre d’affaires réalisé en espèces serait ridiculement bas compte tenu de l’activité dans laquelle elle évolue. Ce fait ne constitue pas un motif grave, mais peut avoir une certaine résonance, mis en perspective avec d’autres anomalies. Le vérificateur aura donc tendance, dans ce cas, à rechercher âprement d’autres incohérences, l’administration ayant en effet du mal à croire qu’un bar (par exemple) générant 1000 euros de chiffre d’affaires journalier ne réalise que 30 euros en espèces (même s’il n’y a rien d’interdit en soi).
Conséquences du rejet de comptabilité : la reconstitution de recettes et la charge de la preuve.
Rejeter la comptabilité, signifie donc que le fisc va pouvoir vérifier par d’autres méthodes si le chiffre d’affaires déclaré lui paraît conforme ou non (bien entendu, ce sera en général plutôt « non » que « oui »). Les déclarations n’auront donc plus de valeur probante et seront écartées. La défense devra contester fermement cette position et il y aura lieu, a minima, de semer un doute sur le bien-fondé de ce rejet, attitude fort utile pour la suite de la procédure.
Par ailleurs, le fait de rejeter la comptabilité n’a d’intérêt pour l’administration que si elle est à même de déterminer un bénéfice supérieur. Hors, pour certaines professions, ce n’est pas une mince affaire que de déterminer de nouveaux chiffres sur « du vent » (les reconstitutions dans ce cas sont le plus souvent fragiles, donc facilement contestables). Tel n’est pas le cas, en revanche, pour les professionnels qui composent avec la « matière », où les méthodes de reconstitution sont plus élaborées. Ces méthodes demandent néanmoins beaucoup de travail, raison pour laquelle certains vérificateurs prennent parfois des raccourcis qui peuvent permettre au conseil de renverser la tendance à la suite.
Un mot enfin sur la charge de la preuve : le rejet de comptabilité a des conséquences sur cette notion fondamentale. Inutile de préciser qu’il est plus confortable pour l’entreprise que la balle reste dans le camp de l’administration à ce sujet. Pourtant, la plupart du temps, ce sera au contribuable que reviendra la charge de démontrer l’exagération des nouvelles bases retenues, ce qui nécessite souvent un travail considérable dont l’issue est aléatoire. Le juge attend « du concret » sur ce point et ne se contente pas de critiques lapidaires sur la reconstitution de l’administration pour prononcer, in fine, la décharge des impositions… sauf vice de procédure, bien entendu.
Par David PHILIPPE, Avocat