L’année 2015 a vu éclore des décisions pointant un nouveau type harcèlement amenant à une dégradation de l’état de santé des salariés : les choix managériaux de la direction.
Les dernières décisions des juridictions du fond tant de Limoges (CA Limoges, 13/10/2015, RG 14/01068,) que de Nancy (CA Nancy, 13/2/2015, RG13/01614), amènent à une responsabilisation de l’employeur qui ne peut plus se cacher, à dessein, derrière des choix économiques et opportunistes mettant à mal la santé de ses salariés.
Dans l’instance tranchée par la juridiction de Limoges, il a été demandé aux juges de s’expliquer sur les éléments de fait, notamment de harcèlement moral, sur les preuves. Le salarié par le biais des pièces versées au débat établissait une ambiance délétère de travail dans le service des directeurs régionaux auquel il appartenait, la dégradation de son service avec l’arrivée de nouveaux responsables, la surcharge de travail dénoncée par le CHSCT, un signalement de « danger grave et imminent » portant sur les risques psycho-sociaux (article L 4131-1 du Code du travail), tous ces éléments constatés et corroborés par une expertise sur les risques psycho-sociaux Technologia.
De ce fait, il apparaît désormais que le choix des méthodes de gestion n’est bel et bien plus absolu, ce qui est souhaitable pour préserver la santé des salariés, trop souvent en situation de déséquilibre face à un employeur tout puissant, qui argue des logiques de performance devant amener à des résultats escomptés.
En effet, dans un contexte capitalistique, où les questions de rendement priment trop souvent sur l’humain, il est bon de rappeler que l’employeur ne peut prendre de mesures de gestion qui auraient pour objet ou pour effet de compromettre la santé ou la sécurité de ses salariés.
L’employeur doit, avant même de mettre en œuvre ses choix managériaux, évaluer les conséquences et prévenir l’impact que ceux-ci pourraient avoir sur les salariés, en termes de risques psychosociaux.
Certes, le salarié se doit d’apporter des éléments concordants permettant à la juridiction de pouvoir caractériser que la source des difficultés provenait bien de la direction de l’entreprise, amenant à un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité de résultat. Dans les espèces susvisées, les salariés ayant obtenu gain de cause pour caractériser le harcèlement moral avaient produit tant des témoignages de collègues, que des compte-rendus de CHSCT ainsi que le rapport d’un cabinet d’expertise sur les risques psycho-sociaux.
Ces décisions interpellent et questionnent quant à la gestion du changement organisationnel dans les différentes structures. Il apparaît alors que ces changements notamment managériaux doivent être conduits avec une couverture fonctionnelle de plus en plus large , des approches métiers plus pointues, un élargissement des cibles, notamment en adaptant les changements aux différents corps de métier .
Pour se faire, il est nécessaire de réfléchir à de nouvelles approches décisionnelles, prenant en compte les enjeux propres à chaque entreprise et les besoins des salariés, en veillant à une vraie gestion des ressources humaines, exploitant les compétences de chacun, avec une communication efficiente et plus adaptée.
Il est important de préciser que pour les deux espèces visées, le changement se cristallisait à un moment précis, permettant de caractériser un avant et un après, et de mettre en lumière la dégradation tant des conditions de travail que de santé.
Ces changements organisationnels et managériaux entraînent des modifications importantes des habitudes de travail d’une grande partie des employés.
Voilà de nouveau brandie plus menaçante l’épée de Damoclès de l’obligation de sécurité au-dessus de l’employeur pouvant désormais être condamné pour son abstention fautive liée à l’absence de mesures adéquates prises pour préserver ses salariés.
A l’employeur de veiller à respecter une obligation de sécurité, obligation de résultat souffrant de moins en moins d’exceptions…
Sarah El Hammouti
Francesco Di Giuro