Parfois critiquée, souvent mal connue, la concession est un mode de financement et de gestion que l’État et les collectivités locales considèrent avec soin lorsque des infrastructures coûteuses sont à déployer. Quelle est – dans le détail – la réalité des concessions à la française ?
La chose publique jouit de nuances que le citoyen ignore bien souvent. Quand l’État ou les collectivités locales souhaitent déléguer tout ou partie de la gestion d’un service public, ils disposent de quatre options : la concession, l’affermage, la gérance et la régie intéressée. S’ils ont des points communs (comme la délégation de la gestion), ces systèmes présentent également des différences notables, surtout au niveau du financement des nouveaux projets et de leur maintenance.
Depuis l’an 2000, l’État français a la plupart du temps choisi le premier modèle pour la réalisation de grands chantiers. Et ce pour plusieurs raisons : parce que l’État a réorienté sa philosophie, d’une position interventionniste vers celle d’un État-stratège, et parce qu’il n’avait plus les moyens pour financer ses nombreuses ambitions. Le modèle des concessions – objet de débats politiques récurrents – présentait alors bon nombre d’avantages, à chacune des étapes de la vie des secteurs concernés, de la distribution de l’eau aux autoroutes en passant par les aéroports.
Reprise des actifs… et des dettes
Au début des années 2000, l’État cherche à renflouer ses caisses. En 2006 par exemple, il vend ses participations dans les entreprises chargées de la gestion du réseau autoroutier français. Il signe alors avec des entreprises privées – comme Eiffage, Abertis ou Vinci – des contrats d’une trentaine d’années. Quelque 15 milliards d’euros vont directement au Trésor public, s’ajoutant aux 4 milliards déjà perçus lors de l’ouverture partielle du capital des sociétés autoroutières, réalisée en 2002 sous le gouvernement Jospin.
L’opération permet surtout de transférer à ces opérateurs privés une dette colossale de 30 milliards d’euros, comme le rappelle l’ASFA (Association des sociétés françaises d’autoroutes) dans un rapport de 2014. Depuis 2006, « les sociétés concessionnaires portent une dette de 30 milliards d’euros pour le compte de l’État. De ce point de vue, la privatisation n’a rien changé, elles sont et seront délégataires du service public de l’État, investisseurs et constructeurs pour le compte de l’État, fournisseurs de services de mobilité pour les citoyens et… endettées pour éviter que l’État ne le soit » peut-on lire.
Car dans toutes les concessions signées, comme pour celle des autoroutes, ce sont en effet les concessionnaires qui assument les risques financiers. Un rapport de la Cour des comptes le souligne d’ailleurs en ces mots : « Les contrats de concession, qui portent sur la construction, l’entretien et l’exploitation d’autoroutes, sont conclus aux risques et périls de l’exploitant en prenant en compte l’équilibre financier de la concession tel qu’il a pu être établi à son origine. Il est bien entendu exclu que l’exploitation des concessions autoroutières puisse conduire à une forme d’enrichissement sans cause des concessionnaires. » La répartition des rôles est donc claire.
Nouveaux investissements : l’effet boule de neige
Si l’État a concédé la gestion opérationnelle et financière des autoroutes ou de certains aéroports, c’est bien parce qu’il n’avait plus les moyens d’être au four et au moulin. L’État a ainsi vendu ses parts dans les aéroports de Lyon et Nice afin de laisser les opérateurs privés investir dans les infrastructures. En 2016 les parts cédées de l’Aéroport Nice Côte d’Azur au Consortium Azzurra lui ont rapporté 1,222 milliard d’euros. Depuis, les nouveaux projets s’enchaînent : extension et réouverture du Terminal 2 et grand chantier sur le Terminal 1, avec reprise de l’activité attendue en 2021. « Ces investissements permettront d’accompagner la croissance du trafic en répondant à la fois aux attentes des compagnies aériennes, mais aussi des passagers qui bénéficieront ainsi d’espaces d’attente plus vastes et plus confortables », explique alors Didier Monges, directeur de l’aéroport. Des investissements également synonymes de retombées directes pour tout l’écosystème niçois, principalement dans le BTP.
La maintenance, pierre angulaire des contrats
Les contrats de concession – tous secteurs confondus, là encore – stipulent que les entreprises devront œuvrer pour la maintenance des équipements et des infrastructures. Objectif : rendre à l’État ou à la collectivité locale lesdites infrastructures en « bon état » au terme fixé de la concession. Par exemple à Toulouse, la communauté de communes vient de concéder la gestion de la distribution de l’eau, ainsi que la maintenance du réseau, à Veolia et Suez. « Nous aurons des avancées considérables avec ces deux contrats, s’est réjoui le président de Toulouse Métropole, Jean-Luc Moudenc. D’abord, avec un tarif unique sur les 37 communes, avec une solidarité entre la ville centre et les villes rurales, en reprenant leur dette de 141 millions d’euros. Ensuite, avec une baisse considérable du prix et une augmentation des investissements. » Dans leur contrat, les deux entreprises se sont engagées à doubler le taux de renouvellement des canalisations, afin de diminuer les pertes techniques au sein du réseau.
Le principe des concessions s’impose souvent comme une solution pérenne dès qu’il s’agit de l’entretien des infrastructures, comme le montre a contrario la dégradation des routes nationales et départementales françaises. « L’État a confié l’exploitation des concessions à des opérateurs privés qui ont la capacité d’effectuer les investissements nécessaires à l’entretien et au développement du réseau, note le rapport Monitor Deloitte de 2017. Depuis la privatisation des concessions, plus de 16 milliards d’euros ont été consacrés à l’extension et l’aménagement du réseau autoroutier sans incidence sur le budget de l’État. » En fin de contrat, les sociétés concessionnaires redonneront à l’État l’ensemble du réseau concédé dans un état souvent bien meilleur qu’à leur arrivée.
Selon l’Autorité de régulation des transports (ART), l’organisme indépendant veillant aux intérêts de l’État, « il revient au concédant d’établir, sept ans avant l’expiration de la concession et après concertation avec le concessionnaire, le programme d’entretien et de renouvellement qu’il doit mettre en œuvre au cours des cinq dernières années de la concession, ainsi que le programme des opérations préalables à la remise des ouvrages ». De telle sorte que l’État n’ait pas de mauvaise surprise à l’issue des concessions.
Une fin de contrat sans heurt
Que se passe-t-il en fin de contrat, justement ? Plusieurs scénarios sont possibles, entre renationalisation, prolongation ou reconduite des contrats. En réalité, avec le système des concessions, l’État garde la main sur plusieurs leviers essentiels. Tout au long de la période contractuelle, il reste propriétaire du foncier préexistant. Par la suite, il récupère les nouvelles infrastructures pour lesquelles il n’aura pas déboursé un centime. Cela est valable pour les autoroutes comme pour les aéroports. Avant de se faire retoquer lors du projet de cession des parts de l’État dans le Groupe ADP, Bruno Le Maire, le ministre des Finances expliquait clairement la place intangible conservée par l’État : « Les terrains comme tous les actifs d’ADP en Île-de-France seront transférés à l’État, à l’issue d’une période de 70 ans. Pendant cette période, la société ne pourra pas céder ses terrains sans l’autorisation de l’État. Enfin, l’État contrôle également l’usage de ces terrains pendant 70 ans (projets d’investissements, etc.). » Un point de vue confirmé par le président de l’Institut Sapiens, Olivier Babeau : « Les concessions sont simplement une façon de financer des infrastructures, qui restent toujours la propriété du concédant. Au terme des contrats, l’État récupère tout gratuitement et en bon état. »
Les collectivités locales scrutent également avec attention le renouvellement de certaines concessions, comme celles – peu connues du grand public – des barrages. Aujourd’hui, la France compte 433 barrages, gérés pour 80% d’entre eux par EDF. Ce marché va s’ouvrir à de nouveaux opérateurs (un tiers du parc arrivant à échéance avant 2023) ce qui, indirectement, pourra avoir des retombées positives sur les finances des communes qui n’ont aujourd’hui pas les moyens financiers pour poursuivre elles-mêmes le développement des installations. Elles confieront donc la gestion à des opérateurs reconnus mondialement dans le domaine. Et, grâce au modèle des concessions, elles toucheront une redevance substantielle : « Il est nécessaire de lancer de nouveaux travaux pour optimiser la production, écrit Olivier Descamps dans La Gazette des Communes. Les collectivités vont pouvoir redéfinir ce qu’elles attendent des installations hydroélectriques qu’elles accueillent et bénéficier de retombées financières inédites. […] La loi de Transition énergétique imposera désormais des redevances pouvant aller jusqu’à 30% du chiffre d’affaires de la concession. »
Ainsi, contrairement aux idées reçues, le système des concessions à la française semble bien fonctionner. Il soulage les finances publiques – à grande échelle comme à celle des collectivités – et permet aux usagers de jouir d’infrastructures mises à niveau en permanence. Ce que l’État seul ne pourrait plus se permettre de faire.