BTP : une approche « cycle de vie » qui change tout.

À l’instar de pans entiers de l’industrie, les acteurs du BTP s’adaptent aux nouvelles exigences socio-économiques, marquées au coin du développement durable. Il s’agit de passer d’une vision morcelée de prestataire, produisant ponctuellement, avec des fournisseurs et des clients, une partie d’un tout sur lequel on n’a pas de vision d’ensemble, à une conception écosystémique du métier, s’étendant au service global rendu au client, et, au-delà, à la société.

Prendre en compte, dans la durée, l’environnement, à la fois au sens écologique, social et économique du terme, tel est le nouveau défi que doivent aujourd’hui relever les entreprises françaises en quête d’exemplarité dans tous les aspects de leur activité. Les acteurs du BTP ne font pas exception à cette nouvelle règle et nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, tiennent compte de ces enjeux dans leurs nouveaux projets. Dès la conception, ces entreprises prennent en considération tous les tenants et les aboutissants, avec une vision globale et le souci d’avoir, au-delà de leur seule prestation, l’impact le plus positif possible à la fois sur l’environnement naturel et humain immédiat, mais aussi sur l’écosystème plus large dans lequel ce dernier s’intègre. Choix des matériaux, réflexions sur la durée de vie d’une construction en pensant à sa performance énergétique, à sa maintenance, et même à son éventuel recyclage le jour où il faudra procéder à sa destruction, répercussion sur le tissu socio-économique environnant… même si tout le monde n’en est pas encore là dans le BTP, de plus en plus d’entreprises se sont engagées dans cette approche globale et multiplient les initiatives afin d’engendrer un maximum d’externalités positives à tous les points de vue.

Une conception vertueuse.

Aujourd’hui, c’est quasiment devenu la norme, et le BTP n’y fait pas exception : la question du développement durable et du respect de l’environnement tient une place non négligeable dans la conception d’un nouveau projet, que ce soit dans le choix des matériaux, le mode de construction envisagé ou dans la performance énergétique du produit fini.

L’une des illustrations de cette prise de conscience est la création de la certification HQE [1]. Dans un contexte de raréfaction des ressources non renouvelables, de pression démographique et face aux enjeux du changement climatique, où le constat de l’urgence écologique est désormais connu de tous, cette certification a été développée afin d’accélérer la transformation des pratiques au sein du secteur de la construction, important contributeur d’émissions de gaz à effet de serre, mais qui doit aussi répondre à des besoins et attentes sociétales fortes et légitimes.
Construire « plus vert » [2], c’est justement le crédo de l’entreprise brestoise SOFT (pour Société d’Organisation Financière et Technique) depuis sa création en 2011. « Faire beau c’est bien, mais faire bien c’est mieux » est d’ailleurs le mantra de Fabrice Boudinet, dirigeant de SOFT. Et comme charité bien ordonnée commence souvent par soi-même, la société a construit elle-même l’immeuble Cap, à Brest, qui abrite à la fois son siège social ains que d’autres entreprises, dont Orange, en intégrant dès le début de sa réflexion une démarche HQE [3] : toit du bâtiment équipé de 350 m2 de panneaux photovoltaïques, peintures intérieures réalisées avec une peinture à 95% biosourcée conçue en Bretagne à base d’algues, façades construites en béton thermique… Et pour réduire l’impact environnemental de son chantier, SOFT a eu recours à 85% à des artisans locaux. « On travaille avec des entreprises situées à moins de 50 kilomètres de chaque chantier. On y tient », explique Fabrice Boudinet qui s’est donné la mission d’être « plus vert, plus écolo ».

Outre la certification HQE, d’autres entreprises ont opté pour un mode de conception qui répond à un réel enjeu de développement durable : la construction modulaire hors-site [4], parfois aussi appelée préfabrication.
Le principe : les éléments d’un bâtiment sont conçus et fabriqués en usine avant d’être transportés sur le chantier où ils sont assemblés. Cette méthode ne manque pas d’avantages car elle permet de réduire considérablement les coûts, la durée du projet, ainsi que les émissions de CO2. Quelques entreprises en sont d’ailleurs convaincues, puisqu’elles emploient déjà cette méthode, comme Cougnaud-Construction [5] ou UTB qui a construit le groupe scolaire Simone Veil à Rosny-sous-Bois [6]. Pourtant, en dépit de ces arguments, cette stratégie de construction est encore trop peu répandue en France. « La construction hors-site est considérée partout dans le monde comme l’avenir de la construction. À Singapour, c’est minimum 65% fabriqués dans une usine. Les pays les plus avancés sont ceux où les gouvernements s’engagent. Et nous, on n’est pas en avance là-dessus », déplore Pascal Chazal, CEO du Campus Hors-site.

Matériaux innovants et recyclage.

Notamment parce que toutes les constructions ne peuvent prétendre à la certification HQE et parce que toutes ne se prêtent pas à une construction hors-site, les entreprises du BTP sont de plus en plus nombreuses à utiliser des matériaux plus respectueux de l’environnement, et même à les concevoir elles-mêmes. Et les exemples sont nombreux. Plusieurs entreprises ont mis au point des ciments et des bétons bas carbone. C’est le cas, par exemple, de la société vendéenne Hoffmann Green Cement Technologies (HGCT) qui commercialise un ciment à l’empreinte carbone réduite [7]. Conçu à base de déchets industriels produits en France, il est composé de boues d’argile obtenues après lavage des carrières, de granules issus de la fonte d’acier et de gypse, une roche que l’on retrouve notamment dans les déblais du Grand Paris. « Notre bilan carbone est divisé par 5 par rapport au ciment Portland, celui qu’on fabrique depuis 200 ans partout dans le monde de la même manière », se félicite Julien Blanchard [8], le président de HGCT. Ce ciment révolutionnaire a été utilisé par Eiffage Construction sur son chantier très bas carbone des Ateliers Gaité de Montparnasse à Paris. Quant à la branche Eiffage Génie Civil, elle a signé en novembre 2020 un contrat de partenariat de 3 ans [9] avec HGCT, s’engageant ainsi à construire châteaux d’eau, bassins de rétention d’eau, silos de stockage et autres ouvrages de génie civil avec ce ciment décarboné.

Autre matériau dont l’empreinte carbone est loin d’être exemplaire, le revêtement des routes fait lui aussi l’objet de toutes les attentions des entreprises du secteur. Et là encore, plusieurs entreprises proposent désormais des solutions alternatives aux matériaux classiques.
Ainsi, Colas a développé deux produits novateurs en termes de développement durable : Valorcol [10], un enrobé à froid à base de granulats recyclés à 100%, et Végécol [11], un enrobé composé d’un liant d’origine végétale à 80 %. Ces deux produits, dont Colas assure qu’ils affichent des performances équivalentes aux solutions classique en ce qui concerne leur durabilité, présentent en outre des bilans environnementaux des plus performants. Sur ce terrain, Eiffage Route aussi a développé un enrobé écologique. Baptisée Biophalt [12], cette innovation, qui associe un taux d’emploi d’agrégats d’enrobé recyclés supérieur à 30%, une température de fabrication abaissée à 140°C et l’emploi d’un liant d’apport biosourcé fabriqué à partir de coproduits de la sylviculture française, peut être produite à partir de tous les postes d’enrobé, et employée dans toutes les couches de chaussée, sans limitation de trafic. Cette solution a en plus l’avantage d’être elle-même 100% recyclable.

Le recyclage, justement, est devenu aujourd’hui l’un des nouveaux enjeux majeurs dans l’approche « cycle de vie » des entreprises du BTP, un secteur dont l’activité engendre énormément de déchets. Si certaines, encore peu scrupuleuses, n’hésitent pas à s’en débarrasser au mépris de toutes les réglementations en vigueur, comme ce fut le cas dans le Var en juillet 2020 [13], d’autres ont pris le problème à bras le corps et mettent tout en œuvre pour recycler et valoriser au maximum les déchets issus de leur activité. « Quand on produit des matériaux de construction, on est aussi responsable des matériaux de déconstruction, avec leur recyclage et leur valorisation, sinon on passe à côté de l’histoire. C’est tout à la fois un relais de croissance et une nécessité sociétale », confirme Catherine Greder [14], directrice de l’activité de recyclage et de valorisation des déchets de chantier France pour Lafarge Holcim. Pour elle, il est d’ailleurs évident que l’énorme projet qu’est le Grand Paris Express (GPE) est un accélérateur de l’économie circulaire sur le premier marché de la construction en France qu’est la région parisienne. À Villeurbanne, l’entreprise Grapinet, spécialisée dans la démolition, a également fait du recyclage des déchets l’une de ses priorités depuis de nombreuses années. « Nous avons été parmi les premiers à organiser le retraitement des matériaux dans la région de Lyon », confirme Laurent Grapinet [15], directeur général de la société.
Sur la même ligne, Cardem affirme avoir recyclé plus de 95% [16] des 63 000 tonnes de béton, 300 tonnes de ferraille et 3 000 tonnes de déchets industriels produites lors de la déconstruction de quatre immeubles de bureaux et trois locaux sur l’îlot Columbus à Colombes, dans les Hauts-de-Seine. Enfin, du côté d’Eiffage, « aujourd’hui, quand on déconstruit un bâtiment, on est capable de recycler 94% des matériau », explique Guillaume Sauvé [17], Président des filiales Génie Civil et Métal du groupe. Plus largement, les exemples sont légions et aujourd’hui, toutes les entreprises ont fait d’énormes progrès en matière de recyclage et les résultats sont là : en effet, alors que l’Union Européenne avait fixé un seuil de 70% de déchets issus du BTP à recycler avant la fin de l’année 2020, ce seuil était déjà largement dépassé [18] en milieu d’année 2019, preuve de la mobilisation précoce de toute la profession sur ce sujet.

Construire aujourd’hui pour préparer demain.

On l’a compris, désormais les entreprises du BTP n’appréhendent plus leurs chantiers au cas par cas, ouvrage par ouvrage, route par route, immeuble par immeuble ou pont par pont, mais elles s’efforcent d’adopter une approche plus large, réfléchissant dès la naissance de chaque projet à ses implications et ses impacts sur l’économie locale et l’environnement. Circuits courts, créations d’emplois, sous-traitance à des PME de la région… le BTP est devenu en quelque sorte un champion de l’externalité. Rien que sur le GPE, ce sont plus de 15 000 emplois [19] qui vont être créés par an. Par ailleurs, la Société du Grand Paris intègre des clauses de responsabilité sociale stipulant qu’au moins 10% du volume horaire du chantier soit réservé à des personnes en insertion et qu’au moins 20% du montant total du marché doit être réservé à des TPE et PME, en co-traitance, sous-traitance ou fourniture. Des engagements que s’efforcent de respecter les entreprises impliquées dans ce projet pharaonique.

Outre ces répercussions sociales et économiques positives, les entreprises de BTP qui ont compris ces enjeux et les ont intégrés dans leurs stratégies, construisent aussi à leur manière la société de demain, plus durable et plus respectueuse de l’environnement. Elles y contribuent en bâtissant des écoquartiers, en concevant des immeubles HQE, en concevant des transports en commun et des infrastructures qui favorisent la mobilité durable, en mettant en place de nouvelles pratiques visant à réduire ses émissions de gaz à effet de serre… Bref, en appliquant systématiquement une approche « cycle de vie », le secteur du BTP apporte sa pierre à l’édifice d’une société décarbonée et contribue ainsi à sa hauteur à la transition écologique dans laquelle s’est engagée la France en signant l’Accord de Paris sur le climat [20] en 2015. « Notre ingénierie de la construction, nos efforts d’innovation sont un des leviers essentiels pour réduire la facture CO2 des autres secteurs. Ce sont les constructeurs de route d’aujourd’hui qui œuvrent à la route « zéro carbone » de demain, ce sont les constructeurs urbains d’aujourd’hui qui œuvrent aux écocités bas carbone de demain. L’émission en CO2 de nos chantiers, de mieux en mieux maitrisée, est en quelque sorte un investissement qui permettra demain une émission globale beaucoup moindre », conclut Guillaume Sauvé.

Michel Aubert,
Retraité de la fonction publique,
Ancien ingénieur travaux publics pour les DIR,
Ancien chargé de mission sur les questions de marchés publics locaux et d’investissements dans les infrastructures publiques.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes