La mobilité bancaire 1.0 : plus de bonnes intentions que d’efficience…
C’est la loi dite « Hamon » du 17 mars 2014 [1] qui a créé l’obligation de mobilité bancaire, partant du constat que les particuliers hésitaient à changer de banque du fait de la complexité des démarche. Cette disposition, codifiée à l’article L312-1-7 du CMF, pose les principes permettant au client de faciliter son changement d’établissement, mais pêche par l’imprécision de sa rédaction qui en atténue substantiellement l’intérêt pratique.
La mobilité bancaire 2.0 de la loi Macron
La dernière « loi Macron » [2] en date du 6 août 2015 renforce et précise l’obligation de mobilité bancaire en l’inscrivant de façon franche dans l’ère de la transformation numérique. Cette petite révolution ne va pas se faire sans mal, mais elle est assortie d’un délai de mise en œuvre raisonnable puisque la mobilité bancaire « 2.0 » ne rentrera en vigueur que le 5 février 2017, ce qui laisse à la profession le temps de s’organiser.
Mise à disposition de la documentation :
Là où la loi Hamon posait un principe général de mise à disposition de la documentation sur la mobilité bancaire, la loi Macron précise que la documentation, en version électronique, devra obligatoirement figurer sur le site internet de chaque banque.
Modalités du changement :
L’établissement d’arrivée devra permettre « un changement automatisé des domiciliations bancaires, vers le nouveau compte, des prélèvements valides et virements récurrents du compte d’origine ». La nouveauté est la notion d’automatisation du processus, et ce dans des délais très courts. Ainsi :
- l’établissement d’arrivée doit demander à l’établissement de départ les informations relatives aux opérations récurrentes dans les deux jours ouvrés de la demande du client, et non plus cinq jours ouvrés comme le prévoyait la loi Hamon.
- l’établissement de départ dispose de cinq jours ouvrés (délai inchangé par rapport à la Loi Hamon) pour d’une part fournir les informations demandées à l’établissement d’arrivée, et d’autre part communiquer les coordonnées du nouveau compte aux créanciers du client.
Quant aux créanciers, le délai dont ils disposent pour prendre en compte le changement de domiciliation sera précisé par décret en Conseil d’Etat.
Information du client des opérations post clôture :
La Loi Hamon prévoyait que le client, s’il avait fermé son compte dans l’établissement de départ, devait être informé par ce dernier « par tout moyen approprié » de la présentation d’un chèque sur le compte clôturé. Cette obligation d’information sera étendue aux demandes de virements et de prélèvements, et devra être réalisée dans les trois jours ouvrés de la date de l’opération en cause. La loi Macron précise, de plus, que tout solde positif du compte de l’établissement de départ doit être transféré vers le compte de l’établissement d’arrivée, non pas n’importe quand, mais à la date indiquée dans l’accord du client.
Ouverture d’un compte auprès d’un établissement situé en UE :
Si le compte d’arrivée est situé dans un autre pays de l’UE, l’établissement de départ disposera de six jours ouvrés à compter de la demande du client pour fournir un récapitulatif des opérations récurrentes du compte.
Comment répondre en pratique à l’obligation de mobilité bancaire 2.0 ?
La loi impose de réaliser les transferts de façon automatisée, et de respecter des délais extrêmement courts, dont la banque devra pouvoir apporter la preuve en cas de litige.
Ces obligations impliquent la mise en place de modalités de communication électronique efficaces enter les banques et tous les tiers créanciers ou débiteurs du client : compte tenu de la brièveté des délais, la communication par courrier postal est exclue.
Cette communication passera en pratique par des plate-forme d’intermédiation, mises en œuvre soit par les banques elle-même, soit par des prestataires de service auxquels s’ouvre là un nouveau débouché. Et l’utilisation de ces plate-forme pourra être complétée par l’utilisation du courrier recommandé électronique, encore balbutiante mais qui devrait se généraliser rapidement grâce à la loi sur la République Numérique.
Projet de loi pour une République numérique : enfin la généralisation du recommandé électronique :
Le courrier recommandé électronique, tel qu’il existe actuellement, a été introduit dans notre droit par la loi du 21 juin 2004, dite « LCEN », codifié à l’article 1369-8 du Code civil, et très tardivement complété par le décret n°2011-144 du 2 février 2011.
Ces dispositions n’ont eu aucun succès pour ce qui concerne le recommandé électronique de bout en bout (et non hybride, c’est-à-dire imprimé et distribué par voie postale classique). Cela tient à plusieurs raisons.
La première est que l’article 1369-8 en réserve l’application aux courriers recommandés relatifs à la conclusion ou à l’exécution d’un contrat, ce qui en réduit considérablement le champ d’application.
La seconde est une réticence manifeste des pouvoirs publics à les mettre en œuvre, comme en atteste la tardiveté du décret d’application, qui n’a été pris qu’après que l’Etat français ait été condamné par le Conseil d’Etat à le faire.
La troisième est le sempiternel problème de l’identité numérique, puisque la notion de recommandé implique que le destinataire du courrier puisse être identifié, que celui-ci soit acheminé par voie postale ou par voie électronique.
La quatrième, et non la moindre, est que ce dispositif n’a pas été adopté par les acteurs du marché les plus consommateurs de courrier recommandé, notamment les acteurs de l’immobilier, qui lui auraient de loin préféré un dispositif « maison » dans le cadre d’une disposition spéciale et avaient presque réussi, il y a quelques années, à obtenir un décret en ce sens. Cette méfiance injustifiée ne peut que conduire à la mise en œuvre de systèmes corporatistes dont la fiabilité n’est pas assurée, tout en empêchant le développement de prestataires « pure player » du recommandé électronique qui auraient apportés, par obligation légale, toutes les garanties techniques et de droit du recommandé électronique et de ses textes d’application.
Le projet de loi pour une République numérique, qui vient d’être transmis au Conseil d’Etat, prévoit en son article 36 la généralisation du recommandé électronique à tous les usages, mettant ainsi la loi française en conformité avec le Règlement européen EiDAS [3]. Ce texte européen dédié aux services de confiance numérique, qui sera d’application directe en France le 1er juillet 2016, définit expressément le service de recommandé électronique. Assez curieusement, l’article 36 du projet de loi pour une République numérique a oublié de prévoir l’aménagement concomitant du Code civil, qui s’impose pourtant puisque le projet de réforme du Code civil reprend à l’identique, dans son nouvel article 1126-7, l’actuel article 1369-8 avec sa limitation aux contrats…
Quant à la question de l’identification du destinataire, deux observations s’imposent pour couper l’herbe sous le pied de ceux qui s’obstinent à en faire un obstacle dirimant au recommandé électronique :
- dans un écosystème d’utilisateurs fermé, c’est-à-dire qui se connaissent préalablement, ceci est tout simplement un non problème, puisque que les destinataires des courriers sont connus et qu’il est aisé de procéder à une phase d’enrôlement préalable qui permet de leur attribuer une identité numérique fiable dans un environnement donné.
- S’agissant des tiers, il est vrai que la fiabilité de l’identification à distance est plus délicate à garantir. Mais il existe maintenant de nombreux schémas qui permettent de s’en assurer d’une façon raisonnablement fiable, sachant qu’en la matière – mais c’est aussi le cas pour les échanges « physiques » -, il n’existe pas de garantie 100% et que la part de risque résiduel est à prendre en compte dans toute activité.