Les sociétés à mission et la définition de l’intérêt social.

La qualité de société à mission permet aux entreprises de mettre leur activité au service d’une mission sociale ou environnementale.

Ce statut, créé par la loi PACTE, permet ainsi aux entreprises, sur la base d’un engagement volontariste de concilier la performance économique avec la défense d’une mission d’intérêt général.

« Les sociétés à mission » et la définition de l’intérêt social.

La crise sanitaire de ces derniers mois a accéléré la volonté des citoyens de voir les entreprises assumer leurs responsabilités sociétales et environnementales.

Pour répondre à ce changement de paradigme, les entreprises peuvent s’appuyer sur les dispositions mises en place par le législateur français dans le cadre des sociétés à mission.

En effet, le Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises, dit Loi PACTE, promulguée le 22 mai 2019, permet aux entreprises de mieux prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leurs activités.

C’est dans ce sens que l’article 1833 du Code civil a été reformé pour octroyer aux sociétés la faculté de faire figurer une raison d’être dans leurs statuts comme le précise l’article 1835 du Code civil.

Ainsi, à travers la loi PACTE, le législateur français crée trois niveaux d’engagement social et environnemental distincts :
- 1er niveau d’engagement obligatoire : Il concerne l’ensemble des sociétés, qui sont désormais soumises au respect de la RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), comme l’indique clairement l’article 1833 du Code civil : "La société est gérée dans son intérêt social, prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité" ;
- 2ème niveau d’engagement facultatif : C’est la possibilité pour les sociétés qui le souhaitent d’adopter une "raison d’être" dans leurs statuts, définie par l’article 1835 du Code civil ;
- 3ème niveau d’engagement facultatif : C’est la faculté pour les sociétés d’opter pour le régime de la "société à mission", prévue par l’article L210-10 du Code de commerce, et ainsi œuvrer à la résolution d’un problème social ou environnemental en mettant au service de cette mission son modèle économique. Ce troisième niveau consacre l’introduction dans le Code civil du statut de société à mission pour offrir la possibilité aux sociétés commerciales de se constituer "société à mission", par une intégration dans leurs statuts d’une finalité d’intérêt collectif.

Récemment, dans son premier rapport annuel, publié le 25 septembre 2020, le comité de suivi et d’évaluation de la Loi Pacte, a présenté un point d’étape sur la mise en œuvre de la loi et ses conséquences.

Ainsi le comité estime, en s’appuyant sur les annonces publiques, qu’une soixantaine de sociétés se sont dotées d’une "raison d’être" dont près de la moitié l’a inscrit dans leurs statuts. Le comité estime la création de sociétés à mission, à une vingtaine dans divers secteurs : l’agroalimentaire (Danone), les mutuelles (MAIF), les cosmétiques (Groupe Rocher), la gestion d’actifs (Sycomore), le e-commerce (Camif) ou le textile (Faguo).

La plupart des mesures de la Loi Pacte sont devenues applicables entre la date de sa promulgation (23 mai 2019) et la fin du premier semestre 2020, tandis que d’autres me-sures importantes telles que le registre unique relatif à la centralisation des informations des entreprises, n’aboutiront qu’en 2023. Il apparaît donc encore trop tôt pour disposer de tous les éléments permettant d’en évaluer les impacts.

I. La réglementation de "la société à mission".

La société à mission est celle qui, en plus d’être dotée de raison d’être, se donne pour mission de poursuivre un ou des objectifs sociaux et environnementaux.
Cette création juridique que constitue la "société à mission" est venue impacter la législation en vigueur.

En effet, on peut d’abord citer le nouvel article 1835 du Code civil qui dispose que les statuts d’une société

"peuvent préciser une raison d’être, constituée des principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité".

Mais il y a également le nouvel article L110-1-1 du Code de la mutualité, qui permet à une mutuelle ou une union de faire publiquement état de la qualité de mutuelle à mission ou d’union à mission sous certaines conditions.

A ces dispositions, il faut ajouter le nouvel article L210-10 du Code de commerce qui reprend l’article 1835 du Code civil pour faire de l’existence d’une raison d’être statutaire, la première condition que doit remplir une entreprise pour s’arroger le titre de société à mission.

Mais toutes les entreprises peuvent-elles prétendre au statut de société à mission ?

II. Les entreprises concernées par la qualité de "societé à mission".

Toutes les sociétés, quelle que soit leur forme juridique, peuvent s’assigner une mission et mettre en place un procédé plus complet pour sa mise en œuvre et son contrôle dans les conditions de l’article L210-10 du Code de commerce précitée.

De la petite entreprise à la multinationale en passant par la moyenne entreprise, toutes les sociétés peuvent bénéficier de la qualité de "société à mission", à l’exclusion des sociétés civiles.

En effet, il n’y a que les sociétés civiles qui ne sont pas concernées par la possibilité de prétendre au statut de société à mission car elles ne sont pas régies par le Code de commerce qui contient les dispositions relatives à ce statut.

La société à mission implique ainsi, comme pour la raison d’être, de définir la mission de l’entreprise, avec l’adhésion des équipes et du management, et de la rendre concrète à travers tous les niveaux et toutes les activités de l’entreprise.

La réalisation de cette mission pourra même impliquer une transformation de la gouvernance, à travers le renforcement de la présence de salariés dans les conseils d’administration ou de surveillance.

Le passage d’une société classique à une société à mission nécessite la mise en place d’outils internes pour poursuivre une mission d’intérêt général afin d’obtenir la qualité de société à mission. Parmi ces outils, on peut notamment citer l’organe interne qui est le conseil de mission qui va donner toute sa valeur aux différents engagements.

Toutes les formes d’entreprise peuvent donc devenir des sociétés à mission sous réserve de certaines conditions.

III. Les conditions de mise en place d’une société à mission.

A. De l’attribution de la "raison d’être".

Pour obtenir le statut de l’article L210-10 du Code de commerce, l’entreprise doit effectivement remplir quatre conditions qui sont les suivantes :

1. D’abord, se doter d’une raison d’être :

La raison d’être suppose une contribution sociale de l’entreprise, cette dernière doit s’attribuer une cause dans la société au-delà de sa seule activité économique.

Pour mieux comprendre la raison d’être qui n’a pas été définie par la loi PACTE, il faut se référer au guide de l’Observatoire de la RSE (ORSE) et le C3D qui en propose la définition suivante : "la raison d’être est une expression de l’utilité sociétale de l’entreprise qui sera pour elle à la fois une boussole et un garde-fou quant aux décisions du conseil d’administration et du directoire", et donne des recommandations méthodologiques pour aider les entreprises à la définir.

La raison d’être doit être :
- pertinente : l’utilité sociétale de l’entreprise est définie en corrélation directe avec l’activité de cette dernière, par rapport à ses enjeux sociaux et environnementaux les plus significatifs ;
- ambitieuse : elle doit être positive à tout point de vue pour la société ;
- structurante : elle donne un "cap" à l’entreprise permettant de définir ce qu’elle peut ou ne peut pas faire ;
- impactante : elle doit s’inscrire dans toutes les étapes de l’activité et de la vie de l’entreprise.

2. Puis, se fixer un ou plusieurs objectifs sociaux et environnementaux à poursuivre dans le cadre de son activité.

Pour cela, l’entreprise doit définir clairement les objectifs qu’elle s’est fixés, en matière sociale et environnementale et se donner de réels moyens de remplir.

3. Ensuite, se doter d’un organe dénommé "comité de mission".

Cet organe apparaît expressément dans les statuts qui précisent les modalités de suivi de l’exécution des missions définies.

Le rôle de ce comité, qui doit comporter au moins un salarié de l’entreprise, est de vérifier l’exécution de la mission que la société s’est assignée et de présenter annuellement un rapport, joint au rapport de gestion, à l’assemblée chargée de l’approbation des comptes de la société.

4. Enfin, se soumettre à un contrôle externe réalisé par un "organisme tiers indépendant", chargé du suivi de l’exécution des objectif sociaux et environnementaux.

Le contrôle externe est assuré par un organisme qui est désigné selon l’article R210-21 du Code de commerce, parmi les organismes accrédités à cet effet par le Comité français d’accréditation et est soumis aux incompatibilités de l’article L822-11-3 du même code.

Cet organisme procède à une vérification périodique de la mise en œuvre des objectifs fixés.

A ce propos, l’article R210-21, II nouveau du Code de commerce prévoit que la première vérification a lieu dans les 18 mois suivant la publication de la déclaration de la qualité de société à mission au RCS. Ensuite il procède, au moins tous les 24 mois, à la vérification de l’exécution des objectifs définis par la société.

B. Des conditions plus souples pour les entreprises de petites tailles.

Le Code de commerce prévoit des conditions de mise en place d’une société à mission plus souples pour les entreprises de petites tailles. En effet, concernant les modalités de suivi de l’exécution des missions définies, l’’article L210-12 du Code de commerce précise que pour les entreprises de moins de 50 salariés, il n’est pas fait obligation de former un comité de mission, "un référent de mission suffit pour suivre l’exécution des missions".

Ce référent de mission peut être un salarié de la société, à condition que son contrat de travail corresponde à un emploi effectif.

S’agissant de la première vérification à laquelle doit procéder l’organisme tiers, l’article R210-21, II nouveau du Code de commerce prévoit que lorsque la société emploie moins de 50 salariés permanents et qu’elle a nommé un référent de mission, la première vérification doit avoir lieu dans les 24 mois suivant cette publication.

En outre, lorsque la société emploie, sur une base annuelle, moins de 50 salariés permanents au titre du dernier exercice comptable ayant fait l’objet de la dernière vérification, elle peut demander à l’organisme tiers indépendant de ne procéder à la prochaine vérification qu’à l’issue d’un délai de 3 ans [1].

Le statut de société à mission est optionnel mais lorsque l’une des conditions mentionnées à l’article L210-10 du Code de commerce n’est pas respectée, l’entreprise perd tout simplement cette qualité et les avantages qui en découlent.

Après avoir rempli toutes les conditions et s’être constituée "société à mission", quels peuvent en être les avantages pour une entreprise ?

IV. Les avantages du statut de "societé à mission".

On peut d’abord observer que la mission permet d’engager et d’aligner l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise sur une dynamique d’action orientée sur le long terme.

La construction collective de la mission, l’existence du comité de mission et l’action des différentes parties prenantes, instaurent une confiance renouvelée entre partenaires et créent une chaîne de valeur solidaire autour d’un engagement commun et librement défini.

La mission offre aussi l’avantage de séduire les jeunes générations en quête de sens.

A cet égard, elle constitue un puissant outil de la marque employeur et une source d’attractivité accrue des salariés, des consommateurs et des investisseurs.

Cela peut à l’évidence constituer un élément structurant des politiques des Ressources Humaines dans l’entreprise.

Au surplus, les sociétés qui s’attribuent une mission gagnent un avantage compétitif en terme d’image, de notoriété, d’engagement, ce qui est favorable à un positionnement dans un processus d’appel d’offres par exemple ou pour l’accès à des financements spécifiques dans le domaine de la protection de l’environnement.

Par ailleurs, le statut de société à mission accorde le bénéfice de l’encadrement de travaux d’intérêt général reconnu par la loi du 23 mars 2019 de la réforme pour la justice même s’il est vrai que le statut de la société à mission n’est pas nécessaire pour accueillir des personnes amenées à réaliser des travaux d’intérêt général.
L’adoption du statut de société à mission a ainsi potentiellement un impact plus fort que la simple définition d’une raison d’être dans les statuts d’une société.

Cependant, l’institution de société à mission souffre de deux principaux maux qui risquent de nuire à son effectivité. Il s’agit du mode volontariste sur lequel fonctionne cette création juridique et du fait qu’elle n’induit qu’une simple obligation de moyens et non une obligation de résultat dans l’atteinte des objectifs que les sociétés se fixent.

Namaro Maury, Avocate et Fabien Koala, Juriste.

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Article R210-21, II nouveau du Code de commerce.