Le délit de marchandage et le prêt illicite de main-d’œuvre constituent deux infractions définies par le Code du travail sous les articles L. 125-3 et L. 125-1.
- Historique :
Instauré par un décret de 1848, le délit de marchandage est la plus ancienne des infractions pénales figurant dans le Code du Travail mais la jurisprudence ne considérait l’infraction comme constituée que si une volonté du sous-entrepreneur de nuire aux salariés concernés était établie.
C’est une loi du 6 juillet 1973 qui, en même temps qu’elle instaurait le prêt illicite de main-d’œuvre, a modifié l’élément moral et étendu le champ d’application de l’infraction.
En quoi consistent ces infractions : définitions.
Le prêt de main-d’œuvre illicite est constitué par « toute opération à but lucratif ayant pour objet exclusif le prêt de main-d’œuvre dès lors qu’elle n’est pas effectuée dans le cadre des dispositions du Code du Travail relatives au travail temporaire » (art. L. 125-3 C. trav.).
Quant au marchandage de main-d’œuvre, il est constitué par « toute opération à but lucratif de fourniture de main-d’œuvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu’elle concerne ou d’éluder l’application des dispositions de la loi, de règlement ou de convention ou accord collectif de travail » (art. L. 125-1 C. trav.).
- Distinction :
Le délit de marchandage se distingue du prêt de main-d’œuvre illicite en ce que l’opération n’est pas exclusivement constituée par la fourniture de main-d’œuvre.
Dans la pratique, la différenciation des deux infractions est cependant mal aisée mais le principe constant est celui de la prohibition du prêt de main d’œuvre à but lucratif tandis que la sous-traitance et le prêt de main d’œuvre sans but lucratif sont autorisés.
Quel est l’intérêt de cette question actuellement ?
Le développement de nouveaux services tels que la restauration collective, le nettoyage ou de nouvelles techniques (informatique…), a amené les employeurs à recourir de plus en plus fréquemment à du personnel externe pour la réalisation de travaux dans leur propre entreprise.
I- Liens entre marchandage et prêt de main-d’œuvre illicite : ce que l’on ne doit pas faire en matière de prêt de main d’œuvre
A - Les éléments constitutifs des infractions
1. Eléments constitutifs communs :
L’infraction est caractérisée dès lors qu’une opération ayant les caractéristiques d’une entreprise de travail temporaire assure la mise à disposition de main d’œuvre alors que cette opération ne rentre pas dans son objet social.
C’est l’opération de mise à disposition elle-même qui doit être lucrative, et non l’activité de la personne qui l’effectue.
Le but lucratif implique la recherche d’un gain, peu importe que celui-ci n’ait pas été obtenu.
En Droit, l’économie constitue aussi un profit !
Pour qu’il n’y ait pas de but lucratif, il ne faut ni profit pour le prêteur (Crim. 16 juin 1998), ni économie pour l’utilisateur (Cour d’Appel Bordeaux, Ch. Soc. 18 nov.1999).
La jurisprudence est exigeante.
Même le prêt à prix coûtant, en ce qu’il permet une économie à l’utilisateur, a pu être retenu comme constituant le but lucratif (Crim. 23 mars 1993).
2. Eléments constitutifs spécifiques :
Le délit de marchandage se distingue du prêt de main d’œuvre illicite en ce que l’opération n’est pas exclusivement constituée par la fourniture de main-d’œuvre.
En revanche, il est exigé que l’opération ait causé un préjudice au salarié, sachant que ce préjudice peut n’être que potentiel.
Les juges considèrent en effet dans certains cas, qu’il s’agit de travail temporaire déguisé pour lequel les salariés mis à disposition d’une seconde société ne bénéficient pas des dispositions légales plus protectrices applicables au travail temporaire (Crim. 16 juin 1987).
B- Les sanctions communes aux deux infractions :
1. Peines encourues par les personnes physiques :
L’article L. 152-3 C. trav. prévoit un emprisonnement de 2 ans et/ou une amende de 30.000 €.
Des peines complémentaires sont également prévues, à savoir l’interdiction d’exercer l’activité de sous-entrepreneur (2 à 10 ans) et l’affichage du jugement.
Passer outre l’interdiction prononcée peut également entraîner la condamnation à une peine d’amende de 12.000 € et/ou un emprisonnement de 12 mois.
Enfin, l’entreprise utilisatrice qui a pris part, en toute connaissance de cause, à des opérations illicites de fourniture de main d’œuvre, peut être considérée comme co-auteur du délit de marchandage.
2. Responsabilité pénale des personnes morales :
Les personnes morales risquent une peine d’amende dont le montant peut atteindre 150.000 €.
Elles encourent aussi les peines complémentaires prévues à l’art 131-39 C. pén. : dissolution, interdiction d’exercice, placement sous surveillance judiciaire, fermeture du/des établissements, exclusion des marchés publics, confiscation, affichage de la décision.
3. Allocation de dommages et intérêts :
Les salariés peuvent également solliciter l’allocation de dommages et intérêts afin de voir leur préjudice indemnisé.
II- Comment prêter de la main-d’œuvre sans tomber sous le coup d’une qualification pénale ( ce qui est autorisé) :
A- Prêt lucratif : le cas des entreprises de travail temporaire
Comme je le disais, le contrat de sous-traitance se distingue du prêt illicite de main d’œuvre et du marchandage en ce qu’il implique une prestation de service supplémentaire.
1. Les conditions suivantes doivent être réunies :
- La tâche à exécuter doit être nettement définie.
Elle doit être matérialisée, quand bien même il s’agirait d’une prestation de nature intellectuelle.
Tel est le cas d’une société de conseils en informatique qui déléguait ses techniciens pendant un certain temps auprès de l’entreprise-cliente mais qui suivait de très près l’activité des cadres délégués, leur faisait des suggestions et contrôlait l’accomplissement de la mission d’un bout à l’autre (Cass.crim. 7/02/87)
- L’autorité du sous-traitant sur son personnel doit être maintenue.
L’entreprise cliente ne doit pas intervenir directement comme elle le ferait avec son propre personnel.
A défaut, il y a création d’un lien de subordination juridique caractéristique de l’existence d’un contrat de travail.
Le prestataire doit donc conserver l’autorité sur son personnel et exercer un contrôle sur la réalisation du travail.
L’indépendance du prestataire se mesure aussi à sa capacité à mettre en œuvre les moyens aptes à l’exécution du travail à accomplir, sans laquelle le prêt de main d’œuvre illicite est inévitablement caractérisé (Crim. 12 mai 1998).
- La tâche effectuée par le prestataire doit être rémunérée forfaitairement.
Lorsque le prix de la prestation se calcule à l’heure, cet élément étant le seul paramètre de la facture, il devient difficile de défendre que la prestation comporte autre chose que la fourniture de main-d’œuvre.
- La technicité propre au prestataire est déterminante dès lors que ce type de compétence n’est pas disponible chez le client.
(v. Soc., 9 juin 1993 à propos du cas d’un chef de chantier chargé de superviser la pose d’un électrofiltre en Syrie).
2. Cependant, le délit de marchandage peut être constitué dans deux cas :
- Un préjudice a été causé au salarié.
Par exemple, lorsque la sous-traitance a eu pour effet de lui retirer de l’ancienneté ou de le payer au-dessous des salaires minima de la convention collective de l’entreprise utilisatrice.
- L’opération a eu pour conséquence d’éluder l’application d’un texte.
Il suffit de démontrer que les salariés ont été privés d’avantages potentiels tirés de l’application d’un texte de loi, d’un décret, d’une convention ou d’un accord collectif.
Les représentations syndicales bénéficient d’ailleurs d’un droit d’action à cet effet.
B- Prêt de main-d’œuvre sans but lucratif
Ce type de prêt de main-d’œuvre est en principe autorisé, dans le cadre d’associations tels que les groupements d’employeurs, les associations intermédiaires et les associations de services rendus aux personnes.
Certaines dispositions applicables aux travailleurs temporaires le sont à ces associations.
1. Les associations dites « groupements d’employeurs » :
Elles ont pour but exclusif de recruter des salariés liés à eux par des contrats de travail pour les mettre à la disposition de leurs adhérents.
Elles doivent revêtir la forme juridique des associations déclarées de la loi de 1901, c’est-à-dire sans but lucratif.
Les groupements d’employeurs sont régis par les articles L. 127-1 à L. 127-9 du Code du Travail.
2. Les associations intermédiaires :
Elles ont pour objet de recruter des personnes sans emploi rencontrant des difficultés particulières d’insertion ou de réinsertion, afin de les mettre, à titre onéreux, à la disposition de personnes physiques ou morales.
Elles doivent conclure avec l’Etat une convention qui prévoit notamment le territoire dans lequel elles interviennent.
3. Les associations de services rendus aux personnes :
Instaurées par une loi du 31 décembre 1991 relative à la formation professionnelle, leur activité concerne exclusivement les services rendus aux personnes physiques à leur domicile.