Conditions générales d’utilisation des réseaux sociaux en France : point à date.

Aucun internaute ne peut éviter d’être lié aux conditions générales d’utilisation sur les réseaux sociaux.
Ces conditions déterminent les modalités d’interaction entre le fournisseur et l’utilisateur d’un service.
Concernant les réseaux sociaux, ces dispositions vont encadrer entre autres les droits de propriété intellectuelle, l’exploitation des données personnelles et les contenus créés par les utilisateurs.

En permettant l’accès au réseau social, l’utilisateur adhère, sans vraiment pouvoir négocier, à toutes les dispositions contenues dans les conditions générales d’utilisation (CGU).

Au regard de ces constatations, il est légitime de s’interroger sur la force contraignante de ces règles. Quid de leur validité au regard du droit français ?

Quelle est la nature juridique des CGU des réseaux sociaux ? :

Les CGU sont avant tout un document contractuel fixant les règles du jeu du réseau social. Il s’agit de la loi des parties sur la plateforme et à ce titre, l’article 1194 du Code Civil français dans sa version en vigueur au 1er octobre 2016 a lieu de s’appliquer : « les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi. » Mais avant l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations [1] , et en attendant son entrée en vigueur, c’est l’article 1134 du Code civil qui s’applique : « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. »

Le formalisme particulier de ce type de contrat, à savoir le fait que les CGU soient acceptées en ligne par le simple accès au réseau social, ne remet pas en cause leur validité. Il s’agit d’un contrat en ligne.

Enfin, les CGU sont plus particulièrement des contrats d’adhésion en ce sens qu’ils ne permettent pas en pratique à l’utilisateur de négocier les termes du contrat.

Par conséquent, les CGU des réseaux sociaux sont des contrats ayant force contraignante. Néanmoins dans la pratique, l’accessibilité et la licéité discutables des clauses contenues dans les CGU des réseaux sociaux peuvent venir remettre en cause leur force contraignante.

Les CGU des réseaux sociaux sont-elles opposables ? :

Il est souvent reproché aux CGU d’être peu accessibles. En effet, en pratique ces conditions sont souvent reproduites sur des documents extérieurs au contrat et il n’est pas toujours aisé de prouver leur connaissance et acceptation par le contractant. Les CGU ne sont considérées comme connues et acceptées qu’à la condition qu’une clause du contrat y fasse référence.

Pour certaines conditions particulières relatives à la protection des données personnelles, l’accessibilité est encore plus ténue puisque l’ouverture des politiques ou des règles de confidentialité n’est rendue possible qu’en cliquant sur un lien figurant dans les CGU.

Par ailleurs, les CGU des réseaux sociaux sont régulièrement modifiées et les utilisateurs ne sont pas pour autant informés explicitement de ces modifications.

Or, le manque d’accessibilité du contenu des CGU et le manque de transparence concernant leur modification semblent ne pas respecter les dispositions protectrices du droit de la consommation français.

Les CGU des réseaux sociaux sont-elles licites ? :

La question se pose aussi bien au niveau des licences d’utilisation des droits de propriété intellectuelle qu’au niveau des clauses relatives aux données personnelles.

Les réseaux sociaux ne restent pas étrangers au contenu posté par l’utilisateur et les CGU instaurent une licence d’utilisation sur ce contenu. La question qui se pose est celle de la validité de telles clauses instaurant ces licences d’utilisation au regard du droit français. Un jugement du TGI de Paris en date du 29 mai 2012, TF1 c/ YouTube [2] , a eu l’occasion d’indiquer que la licence d’utilisation contenue dans les CGU de Youtube était contestable au regard du droit d’auteur faute de préciser les limites temporelles et spatiales de la cession à titre gratuit.

Sur le terrain des données personnelles, il est reproché aux clauses des CGU des réseaux sociaux leur manque de clarté sur l’exploitation des données personnelles et leur appropriation par les opérateurs.

Certaines clauses, notamment celles prévoyant la conservation des données à caractère personnel de l’utilisateur sans aucune limitation de durée ou pour une durée qui excéderait celle nécessaire aux finalités du traitement, sont qualifiées d’abusives.

Certaines clauses des CGU des réseaux sociaux peuvent-elles être considérées comme abusives selon le droit français ? :

Les clauses ainsi présentées créent un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties. Le public et les associations de consommateurs pointent régulièrement du doigt ces clauses qu’ils définissent comme abusives.

La recommandation de la Commission des clauses abusives n°2014-02 en date du 7 novembre 2014 préconise l’élimination de nombreuses clauses contenues dans les CGU dites de « service de réseautage social ».

La majorité des clauses en question concerne la protection de la vie privée et des données personnelles.

La commission recommande que soient éliminées des contrats proposés par les fournisseurs de service de réseautage social les clauses ayant pour objet ou pour effet la lisibilité du contrat, la formation du contrat, les droits de propriété intellectuelle ou encore les modifications des CGU.

En pratique, jusqu’à récemment, il n’était pas possible en France d’introduire une action de groupe. La Loi Hamon du 17 mars 2014 qui a introduit pour la première fois l’action de groupe dans le Code de la consommation permet aux associations de consommateurs d’agir en justice afin d’obtenir la réparation des préjudices individuels subis par des consommateurs ayant pour cause commune un manquement des réseaux sociaux à leur obligations légales ou contractuelles.

Quelle est la valeur des CGU des réseaux sociaux face aux règles de conflits de juridiction ? :

Les règles de résolution de conflits de lois et de juridictions se heurtent aujourd’hui aux CGU des réseaux sociaux et sont actuellement l’objet de toutes les attentions de la jurisprudence et de la doctrine française.

En 2012, la Cour d’appel de Pau [3] a précisé l’applicabilité des CGU à l’occasion d’une action engagée contre Facebook. Un utilisateur s’opposait à la clause attributive de compétence présente dans les CGU qui désigne les tribunaux de Californie. Les juges avaient écarté l’application des CGU de Facebook, considérant qu’elles étaient rédigées en anglais et dans une police trop petite. Les conditions posées par l’article 48 du Code de Procédure Civile français [4] , loi de police, n’ayant été respectées, l’internaute n’avait pu s’engager en pleine connaissance de cause, rendant nulle et sans effet la clause attributive de compétence.

Cet arrêt confirme donc que les parties à un contrat peuvent désigner la juridiction qui sera compétente mais que le choix des parties peut se heurter aux lois de police dont l’application est impérative.

Plus récemment, une ordonnance du juge de la mise en état de la quatrième chambre, deuxième section du Tribunal de Grande Instance de Paris [5] du 5 mars 2015 a jugé nulle et non écrite la clause attributive de compétence contenue dans les conditions générales de Facebook, après s’être déclarée compétente pour trancher cette exception de procédure, au motif du caractère abusif de la clause. La cour d’appel, dans son arrêt du 12 février 2016, a confirmé cette ordonnance du TGI et a conclu que cette clause était réputée nulle et non écrite [6] . En conséquence, le TGI de Paris est compétent pour juger le litige qui opposait le réseau social à un internaute qui avait vu son compte désactivé (après la mise en ligne de la reproduction du tableau de Courbet « L’origine du monde ».) La cour a estimé, au regard du règlement européen du 22 décembre 2000, que l’action d’un consommateur contre l’autre partie au contrat peut être intentée devant le tribunal du lieu où le consommateur est domicilié. En l’espèce, l’utilisateur était domicilié à Paris.

Aussi, à la suite de l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 réformant le Code Civil, vient se poser la question du champ d’application de la solution. L’article 1171 du Code Civil qui sera effectif au 1er octobre 2016 dispose que « dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Les professionnels vont donc pouvoir se prévaloir de cet article, ce qui leur offre une possibilité plus large de défense, et les place au même niveau que les non-professionnels et les consommateurs qui bénéficient d’une protection contre les clauses abusives selon l’article L212-1 du Code de la consommation.

La DGCCRF s’est également penchée sur le cas Facebook et a déclaré, dans un communiqué publié le 9 février 2016, avoir examiné les GCU de ce réseau social et trouvé plusieurs clauses abusives, notamment celles autorisant Facebook à retirer des contenus ou informations publiés par l’internaute sur le réseau, et ce de façon discrétionnaire, ainsi que celles qui réservent à Facebook le droit de modifier unilatéralement la politique de confidentialité et, en conséquence, les dispositions applicables aux traitements des données à caractère personnel, sans information préalable dans un délai raisonnable à l’attention du consommateur ou du non-professionnel.

Le 9 février 2016, la DGCCRF a donc publiquement enjoint aux sociétés Facebook Ireland Ltd et Facebook Payments International LTD, qui régissent Facebook en France, de supprimer ces clauses considérées comme abusives à l’égard des utilisateurs non-professionnels du réseau social.

Facebook avait également été mis en demeure le 26 janvier 2016 par la CNIL [7] de respecter la loi Informatique et Libertés du 6 janvier 1978 en matière de collecte et d’utilisation des données des internautes. Le réseau social avait été accusé de suivre la navigation des internautes sur des sites tiers à leur insu, même s’ils ne disposaient pas d’un compte Facebook. Depuis cette date, aucune information n’a été publiée ni par la CNIL ni par Facebook sur les suites de cette mise en demeure. C’est donc une affaire à suivre.

Il n’en demeure pas moins que la solution ainsi retenue ne résout pas les difficultés pratiques auxquelles sont confrontés les utilisateurs de réseaux sociaux désireux de faire valoir leurs droits devant les juridictions françaises. En effet, en pratique plusieurs freins limitent les cas de saisine du juge tels que l’état de dépendance extrême des utilisateurs aux réseaux sociaux les contraignant d’accepter les contrats d’adhésion de ces plateformes ou encore les enjeux financiers des litiges, trop faibles pour justifier une procédure contentieuse longue et coûteuse.

Il ne reste qu’à féliciter les juges français de tenir tête aux fournisseurs de réseaux sociaux et de faire ainsi respecter les valeurs fondamentales du droit français.

Nathalie Dreyfus,
Conseil en propriété industrielle,
Expert près la Cour d’appel de Paris
Dreyfus & associés

« Article initialement publié dans le JMJ n°53 »

Notes