Accidents du travail/maladies professionnelles, une exception au secret médical : l’expertise médicale judiciaire.

En droit de la sécurité sociale, un certain vide juridique relatif au respect du contradictoire et propre aux expertises du contentieux général a été récemment comblé par analogie avec le régime propre au contentieux technique ; il risque de ressurgir dans le cadre de la prochaine réforme du contentieux .

I – Une absence d’obligation de communication des pièces médicales.

Un salarié, victime d’un accident du travail ou qui déclare une maladie professionnelle, bénéficie de la prise en charge par la Caisse Primaire d’Assurance Maladie (CPAM) ou la Caisse de Mutualité Sociale Agricole (Caisse de MSA) de la totalité des prestations en lien avec ceux-ci : arrêts de travail, soins, indemnité en capital ou rente.

Le coût forfaitaire relatif à ces prestations est imputé sur le compte employeur de l’entreprise et impacte son taux de cotisation accidents du travail/maladies professionnelles.

Un des leviers pour réduire ce taux, indépendamment de la prévention de la sinistralité, consiste en la possibilité pour l’employeur de contester la prise en charge de ces sinistres et des arrêts de travail ou des rentes qu’il considère non imputables à ceux-ci.

La contestation de la durée des arrêts de travail d’une part, mais également celle des taux d’Incapacité Permanente Partielle (IPP) alloués par la Caisse de Mutualité Sociale Agricole d’autre part, relèvent, après la phase amiable, de la compétence du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale (TASS) qui pourra ordonner, s’il l’estime justifiée, une expertise médicale judiciaire.

S’agissant de litiges d’ordre médical, l’employeur, par le biais d’un médecin qu’il aura mandaté, doit pouvoir disposer des éléments médicaux du dossier de son salarié, mais se heurte souvent au refus de communication des caisses primaires ou du médecin du service médical, refus habituellement justifié par le respect du secret médical (art. 226-13 du code pénal).

Face à cette attitude, les caisses sont sanctionnées par les juridictions qui prononcent l’inopposabilité des décisions de prise en charge au profit de l’employeur, faute pour elles de justifier du bien fondé de leurs décisions et de respecter le principe du contradictoire.

Si pour éviter ces condamnations, le législateur est intervenu dès 2009 (article L.143-10 du code de la sécurité sociale (CSS)) dans le cadre du contentieux technique des contestations des décisions attributives de rente notifiées par la CPAM afin de fixer les conditions et les modalités de la communication, par le médecin conseil du Service Médical de la CPAM du dossier médical au médecin expert désigné par le Tribunal du Contentieux de l’Incapacité (TCI) et au médecin conseil désigné par l’employeur, pour autant, aucune disposition ne permettait, jusqu’alors, une telle communication dans le cadre du contentieux général.

C’est chose faite !

II – La nouvelle obligation de communication des documents médicaux en expertise judiciaire.

La loi portant modernisation du système de santé du 26 janvier 2016 a créé l’article L 141-2-2 CSS applicable dans le cadre du contentieux général, et plus spécifiquement aux expertises médicales judiciaires ordonnées par les TASS, instaurant ainsi une dérogation au secret médical.

Le médecin conseil de l’organisme de sécurité sociale a désormais l’obligation, dans le cadre d’une expertise médicale judiciaire, de communiquer au médecin expert désigné par le tribunal ainsi qu’au médecin mandaté par l’employeur, à la demande de ce dernier, les éléments médicaux justifiant la décision de l’organisme de prendre en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, un accident, une maladie, une lésion ou les prestations servies à ce titre.

Une circulaire CNAMTS (CIR-18/2016 du 13 octobre 2016) est venue préciser les conditions et modalités de transmission des éléments médicaux aux médecins experts désignés par les juridictions.

Les éléments médicaux qui doivent être communiqués sont ceux détenus par le service médical, c’est-à-dire le rapport d’expertise médicale visé à l’article L.141-1 du code de la sécurité sociale sollicitée par la victime ou la caisse, le rapport du médecin conseil contribuant à la fixation du taux d’incapacité permanente de travail et l’avis sapiteur, s’il y a été recouru.

S’agissant des éléments médicaux non détenus par le service médical, le médecin conseil doit établir un rapport médical « détaillé au maximum », qui reprend les constats qu’il aura lui-même établis et tirés de ses examens cliniques de la victime ainsi que les pièces présentées par cette dernière à l’occasion de contrôles médicaux (examen d’imagerie, compte-rendu d’examen, compte-rendu opératoire…) et qui lui permettent de justifier sa décision.

Tous ces éléments doivent désormais être transmis, par le service du contrôle médical, au médecin expert désigné par la juridiction dans le délai d’un mois à compter de la réception de la demande en courrier simple.

Le médecin conseil doit aussi les adresser au médecin qui aura été mandaté par l’employeur à cette fin. Bien évidemment, cette transmission ne pourra avoir lieu que si l’employeur en fait expressément la demande.

Pour autant et contrairement aux règles applicables au contentieux technique pour la transmission des rapports d’IPP par le service du contrôle médical (cf. articles R143-32 et R 143-33 du code de la sécurité sociale), la loi et la circulaire n’entrent guère davantage dans le détail de la procédure de transmission des éléments médicaux au médecin expert et au médecin désigné par l’employeur.

Désormais à tout le moins, ni le médecin conseil de la CPAM ni celui de la Caisse de MSA ne pourront, sous couvert du respect du secret médical, refuser la communication des éléments médicaux dans le cadre des expertises médicales judiciaires.

A défaut, la carence devra être constatée par l’expert et par la juridiction, et l’employeur sera en droit d’obtenir une décision d’inopposabilité de la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle de l’accident ou de la maladie déclarés ainsi que des prestations servies à la victime au titre des arrêts de travail et des indemnités en capital ou des rentes.
Ainsi, au contentieux général et pour autant qu’une expertise soit diligentée, l’employeur peut désormais lutter à armes égales avec la caisse primaire et le principe du contradictoire est pareillement garanti par les textes que l’on soit devant le TCI ou devant le TASS !

Mais qu’en est-il pour l’avenir ?

III – Les risques d’un nouveau déséquilibre au niveau des recours gracieux.

A compter du 1er janvier 2019 au plus tard, la réforme du contentieux de la Sécurité Sociale, issue de la loi de modernisation de la justice du XXIème siècle5, entrera en vigueur et les attributions des TCI et des TASS seront reprises par des tribunaux de grandes instances spécialement désignés6.

Dans le cadre des recours relevant du contentieux technique et visant à la contestation d’un taux d’IPP attribué par la CPAM, la suppression des TCI, l’instauration d’un recours préalable obligatoire et le recours à l’expertise judiciaire vont entrainer la mise en place de nouvelles modalités de communication des pièces.
Il est ainsi prévu une communication de l’intégralité du rapport médical par le médecin conseil à l’autorité compétente chargée d’examiner le recours préalable ainsi qu’au médecin mandaté par l’employeur qui en fait la demande ; puis, si la contestation se poursuit au niveau du contentieux cette fois, communication par l’autorité compétente, à l’expert désigné par la juridiction, ainsi qu’au médecin mandaté par l’employeur (nouvel article L.142-10 du code de la sécurité sociale).

Pour autant, aucune disposition semblable n’existe pour le contentieux général au stade du recours préalable, pourtant obligatoire depuis de nombreuses années.

Si bien qu’à nouveau et contrairement aux règles applicables en contentieux technique, l’employeur, au niveau de cette première étape gracieuse, ne pourra avoir accès aux pièces médicales, par le biais du médecin expert qu’il mandate à cet effet, et faire valoir ses arguments à armes égales avec la CPAM !
Finalement, dans le cadre du contentieux général comme dans celui de la contestation du taux d’IPP attribué par la caisse de MSA, ce n’est qu’au stade de l’expertise médicale judiciaire ordonnée par le TASS que l’employeur pourra espérer alors avoir accès aux pièces médicales !

Souhaitons que les décrets d’application permettent de rétablir un équilibre à nouveau rompu.

Sonia Vaschalde-Duboeuf, Avocat au Barreau de Lyon
et Guy de Foresta, Avocat au Barreau de Lyon, Associé gérant.

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°55.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.