TPE/PME/ETI : Où en est-on du fameux Barème Macron en cas de licenciement non justifié ?

Le barème « Macron » issue de l’ordonnance du 22 septembre 2017 est destiné à sécuriser les employeurs et à limiter, par un plafond lié à l’ancienneté du salarié et à la taille de l’entreprise, le montant des dommages et intérêts accordés par les juges en cas de licenciement jugé sans cause ou abusif.

Ce barème Macron fait encore polémique depuis son instauration, il y a un peu plus de 3 ans.

Mesure phare de la réforme du droit du travail de 2017, il divise avocats, juges et universitaires.

Le nouvel article L1235-3 du Code du travail.

L’ordonnance Macron n°2017-1387 du 22 septembre 2017 a mis en place un barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse qui s’impose désormais au juge (L1235-3 du Code du travail).

En cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, le juge doit désormais accorder au salarié une indemnité à la charge de l’employeur dont le montant est compris entre un minimum et un maximum fixé selon l’ancienneté de l’intéressé et la taille de l’entreprise, le « curseur » étant à l’appréciation du juge.

Ce barème se substitue au minimum de 6 mois de salaire antérieurement obligatoire applicable pour les licenciements sans cause des salariés de plus de 2 ans d’ancienneté.

Afin de tenter de faire « sauter » ce plafond, certains juristes et avocats de salariés soutiennent que ce barème Macron, priverait le juge de son pouvoir d’appréciation en l’empêchant d’octroyer une réparation intégrale du préjudice et serait en outre non conforme :
- A l’article 10 de la convention OIT n°158 : « Si les organismes mentionnés à l’article 8 de la présente convention arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n’ont pas le pouvoir ou n’estiment pas possible dans les circonstances d’annuler le licenciement et/ou d’ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée »,
- A l’article 24 de la Charte sociale européenne : « En vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les Parties s’engagent à reconnaître […] : b. le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée »,
- A l’article 6§1 de la CEDH qui prévoit le droit à un procès équitable.

Les décisions des CPH de septembre 2018 à mai 2019.

Ce texte a fait couler beaucoup d’encre et divers CPH ont rendu des décisions contradictoires.

Le CPH du Mans a donné le coup d’envoi d’une saga judiciaire de près de 3 ans par une décision du 26 septembre 2018 en jugeant que le barème respectait les textes internationaux [1].

De septembre 2018 à mai 2019 :
- Certains CPH ont adopté une position identique à celle du CPH du Mans (CPH Caen 18 décembre 2018 n° 17/00193 ; CPH Saint-Nazaire 24 juin 2019 n° 18/00105),
- D’autres CPH ont en revanche décidé d’écarter le barème MACRON au motif qu’il méconnaitrait les textes internationaux.

Pour ces CPH, le plafonnement des indemnités ne permet pas aux juges de réparer de manière juste et adéquate le préjudice subi par le salarié licencié abusivement [2].

Face à la divergence des décisions rendues, les CPH de Louviers et Toulouse ont refusé de se prononcer et ont sollicité en mai 2019 l’avis de la Cour de cassation

« dans un souci de bonne administration de la justice, d’unification rapide de la jurisprudence sur les lois nouvelles et afin d’éviter la multiplication de décisions contradictoires sur un même sujet » [3].

L’avis de la Cour de cassation du 17 juillet 2019.

Dans un avis du 17 juillet 2019, la Cour de cassation estime que (Avis Cass., 17 juillet 2019, n° 19-70.010) :
- Les dispositions de L1235-3 sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT,
- Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne ne sont pas d’effet direct en droit français,
- Le barème Macron n’entrave pas l’accès des salariés à la justice,
- Les dispositions de l’article L1235-3 du Code du travail n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 6,§1, de la CEDH.

Cet avis n’a pas pour autant calmé le débat.

Les décisions postérieures au 17 juillet 2019.

La Section départage du CPH de Grenoble a estimé le 22 juillet 2019 dans une décision d’espèce :
- Qu’elle n’était pas liée par l’avis de la Cour de cassation qui ne constitue pas une décision de fond,
- Que l’application du barème doit être écartée dès lors « qu’il ne permet pas une réparation adéquate du préjudice subi par le salarié du fait de son licenciement sans cause réelle et sérieuse et qui, compte tenu de son ancienneté, de son âge, de sa rémunération, de sa qualification, de ses projets d’évolution de carrière interrompus, de la perte du bénéfice de l’allocation de fin de carrière et des circonstances même de la rupture, est supérieur à la fourchette d’indemnités prévu par ce barème » [4].

Ce débat a été porté depuis lors devant diverses Cours d’appel et la division reste entière !
- La CA de Reims a jugé qu’il appartient au juge de déterminer, dans chaque cas d’espèce, si le barème peut être appliqué ou doit être écarté dans le cas où son application porterait atteinte au droit à une réparation adéquate [5],
- La CA de Grenoble a jugé « le caractère adéquat de la réparation allouée au salarié doit être apprécié de manière concrète en considération de son préjudice et peut ainsi conduire, au cas par cas, à déroger au principe du plafonnement des indemnités » [6],
- La CA de Paris a pour sa part validé le barème jugeant : « La mise en place d’un barème d’indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n’est pas en soi contraire aux articles 4, 9 et 10 de la Convention 158 de l’OIT imposant aux Etats, en cas de licenciement injustifié, de garantir au salarié une indemnité adéquate ou une réparation appropriée dès lors que le juge français, dans le cadre des montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, garde une marge d’appréciation » [7].

Suite de la Saga : la décision attendue de la Cour de cassation.

Afin d’unifier ces décisions contradictoires, la DGT a annoncé en janvier 2021 que la Cour de cassation devrait bientôt se prononcer par un arrêt et non par un simple avis.

A suivre…

Elisabeth Graëve et Anaël André, Avocats,
Barreau de Paris.

Article initialement publié sur le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1CPH Le Mans, 26 septembre 2018, n°17/00538.

[2CPH Troyes 13 décembre 2018 n° 18/00036 ; CPH Paris 22 novembre 2018 n°18/00964 ; CPH Amiens 19 décembre 2018 n° 18/00040 ; CPH Lyon 21 décembre 2018 n° 18/01238 ; CPH Grenoble 18 janvier 2019 n° 18/00989 ; CPH Bordeaux 9 avril 2019 n° 18/00659 ; CPH Martigues 26 avril 2019 n° 18/00168 CPH Montpellier 17 mai 2019 n° 18/00152.

[3CPH Louviers, 10 mai 2019, n°17/00373.

[4CPH Grenoble 22 juillet 2019 n° 18/00267.

[5CA Reims 25 septembre 2019 n° 19/00003 ; CA Reims 2-9-2020 n° 19/01046.

[6CA Grenoble 2 juin 2020 n° 17/04929.

[7CA Paris 30 octobre 2019 n°16/05602.