Retards de chantiers et responsabilité de maître de l’ouvrage : retour sur la jurisprudence.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat confirme la règle selon laquelle le maître de l’ouvrage ne peut pas voir sa responsabilité engagée pour des difficultés d’exécution du chantier qui ne lui sont pas directement imputables.

Règle n°1 : le maître de l’ouvrage ne peut pas voir sa responsabilité s’il n’est pas directement à l’origine des difficultés d’exécution du chantier

La règle est désormais bien établie : les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure où celle-ci justifie, soit que ces difficultés trouvent leur origine dans des sujétions imprévues ayant eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute du maître de l’ouvrage.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat raisonne en deux temps : tout d’abord, il constate que les difficultés rencontrées dans l’exécution du marché trouvent leur origine dans les fautes de la maîtrise d’œuvre et de l’entreprise chargée de la réalisation de la plateforme sur laquelle devait être édifié un nouveau sas d’urgence pour en tirer immédiatement la conséquence que dans ces conditions le maître de l’ouvrage ne pouvait être tenu pour responsable des préjudices dont les sociétés requérantes lui demandaient réparation du fait de l’allongement de la durée d’exécution du marché de travaux dès lors que ces préjudices résultent de manquements d’un autre entrepreneur ou de la maîtrise d’œuvre.

Il s’agit de l’application classique de la solution déjà dégagée par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 5 juin 2013, Région de Haute Normandie, req.n°352917 (Considérant de principe : « Les difficultés rencontrées dans l’exécution d’un marché à forfait ne peuvent ouvrir droit à indemnité au profit de l’entreprise titulaire du marché que dans la mesure celle-ci justifie soit que ces difficultés ont eu pour effet de bouleverser l’économie du contrat, soit qu’elles sont imputables à une faute de la personne publique, mais pas du seul fait de fautes commises par d’autres intervenants »).

En pratique, il est désormais nécessaire de démontrer l’existence d’une faute particulière à la charge du maître de l’ouvrage, par exemple en raison de retard pris à prendre des décisions en cours de chantier ou des modifications portées à l’ouvrage en cours de chantier (CAA Bordeaux 1er juin 2010, Sté CARI, req.n°09BX02069).

En l’absence de faute de la part du maître d’ouvrage, l’entreprise subissant des retards dans l’exécution d’un chantier devra rechercher la responsabilité quasi délictuelle des autres intervenants fautifs non pas devant le Tribunal administratif mais devant le Tribunal de commerce (CE 2 août 2011, Région Centre, req.n°330982).

Ce faisant, le Conseil d’Etat opère un transfert du risque d’une défaillance de l’entreprise ou du membre de la maîtrise d’œuvre à l’origine des retards sur l’entreprise réclamante et non plus sur le maître d’ouvrage.

Règle n°2 : La possibilité d’engager la responsabilité de la maîtrise d’ouvrage dans certains cas

Dans un arrêt du 12 novembre 2015 le Conseil d’Etat admet que dans certains cas, la responsabilité du maître de l’ouvrage puisse être malgré tout engagée. Il s’agit du cas où l’entreprise réclamante pourra démontrer que le maitre de l’ouvrage a commis une faute dans l’appréciation des capacités de l’entreprise défaillante lors de l’attribution du marché et que cette faute est à l’origine des difficultés d’exécution du chantier :"considérant, en dernier lieu, que la cour administrative d’appel a, par une appréciation souveraine exempte de toute dénaturation, écarté le moyen tiré de ce que le maître de l’ouvrage avait commis une erreur manifeste d’appréciation des capacités de l’attributaire du lot de gros œuvre à conduire les travaux ; que, par suite, la cour n’a pas inexactement qualifié les faits en jugeant que la commune n’avait pas commis de faute en raison du choix de l’attributaire de ce marché". Il s’agit donc d’un élargissement des possibilités offertes à l’entreprise réclamante.

Le Conseil d’Etat entend ici sanctionner les acheteurs publics qui n’auront pas véritablement contrôler les capacités techniques, financières et professionnelles des candidats au stade de l’attribution des marchés. Le contrôle du juge reste néanmoins restreint à l’erreur manifeste d’appréciation, contrôle qui sera sans doute exercé rigoureusement.

Cette ouverte du Conseil d’Etat est la bienvenue et risque d’avoir un bel avenir avec l’entrée en vigueur, depuis le 26 janvier 206, du règlement d’exécution 2016/7 de la Commission établissant le DUME pris en application de l’article 59 de la Directive 2014/24/UE et qui consiste dans un système de déclaration sur l’honneur des candidats qui affirment posséder toutes les capacités financières, techniques et professionnelles requises pour exécuter les prestations du marché. Il est en effet à craindre que le contrôle des capacités des candidats par l’acheteur public qui interviendra après la sélection des offres risque d’être encore plus léger qu’il ne l’est aujourd’hui.

(Source : Palmier & Associés - Cabinet d’avocats)

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