Responsable conformité : entre méconnaissance et valorisation du métier.

Alors que l’année 2020 marque le quatrième anniversaire de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (dite "loi Sapin 2"), toutes les questions soulevées avec cette loi sont loin d’être résolues.

L’une de ces questions concernerait le statut et le profil du responsable de la fonction conformité anticorruption au sein des organisations entrant dans le champ d’application de la loi Sapin 2.

Il est probable que de nombreuses interrogations sur ce sujet adressées à l’Agence française anticorruption (AFA) aient amené l’autorité à la rédaction du guide pratique « La fonction conformité anticorruption dans l’entreprise », qui apporte certains éclaircissements tout en créant de nouvelles questions.

I. Le statut ambigu face aux enjeux stratégiques.

La fonction du responsable conformité anticorruption, pour la majorité des organisations, est née avec la loi Sapin 2. Néanmoins, la loi n’introduit pas l’obligation de nommer un responsable conformité, même si une telle nomination manifesterait un engagement réel de l’instance dirigeante dans la prévention de la corruption, ce qui a été rappelé par l’AFA dans son guide pratique [1].

La mise en place du programme de détection des risques et de prévention de la corruption devient aujourd’hui un enjeu stratégique majeur. Même si, en pratique, il est difficile d’imaginer la mise en place et le pilotage d’un tel programme sans désignation formelle du responsable conformité, l’obligation légale de sa désignation donnerait la légitimité à ses responsabilités dans les entreprises.

En effet, il est possible, voire naturel, que dans les organisations, dont les programmes anticorruption ont moins de maturité, le responsable conformité se heurte à l’incompréhension des instances dirigeantes et du personnel opérationnel dans ses actions et ses démarches quotidiennes afférentes à sa fonction. Or, au stade de la création et du modelage du métier, qui se trouve au cœur des enjeux stratégiques des entreprises dans un environnement de plus en plus concurrentiel, marqué par une guerre économique et commerciale de plus en plus ouverte [2], il est primordial que ce métier trouve sa légitimité existentielle dans la loi.

La position de la loi et de l’autorité est même moins claire quant au profil du responsable conformité. Il est envisageable que dans les organisations dont les moyens sont plus modestes, le pilotage du programme anticorruption soit confié aux fonctions déjà existantes, tels que, par exemple, des directeurs juridiques ; ou bien que ce pilotage soit fusionné avec d’autres domaines, comme la lutte contre le blanchiment des capitaux. Or, de telles fusions sont susceptibles d’engendrer les conflits d’intérêts. La tendance à faire positionner les juristes, et, par conséquent, les directeurs juridiques, en tant que business partners est-elle compatible avec l’accomplissement efficace des fonctions du responsable conformité ? Le concept anglo-saxon du business partners entraîne la participation active dans la vie des affaires. Or, pour assurer son indépendance, la personne en charge de la conformité anticorruption doit garder un certain recul vis-à-vis du quotidien de l’entreprise.

De même, l’AFA rappelle dans son guide pratique que le responsable de la fonction conformité peut agir en tant que lanceur d’alerte [3], alors que, sous certaines conditions, dans les cas du blanchiment des capitaux le signalement d’une alerte est une obligation et pas une option (doit versus peut), sachant que souvent les faits de la corruption et du blanchiment des capitaux se réunissent dans les mêmes dossiers.

La question est donc de savoir, qui et comment, en cas de fusion de plusieurs fonctions ou bien de plusieurs missions, va s’assurer que le responsable conformité garde son indépendance et agisse en respectant des règlementations de tous ces domaines dont les règles peuvent être contradictoires.

II. Le cycle vicieux des responsabilités.

Outre les responsabilités inhérentes à sa fonction, les instances dirigeantes sont incitées à solliciter le responsable conformité dans les prises des décisions stratégiques pour l’entreprise, tels que, par exemple, les fusions-acquisitions, la constitution de nouveaux partenariats, les recherches de nouveaux marchés, etc. Or, ni la loi ni les lignes directrices ou le guide de l’AFA ne précisent si l’avis du responsable conformité dans ces cas doivent être décisionnel ou consultatif. Et si consultatif, serait-il suffisant pour écarter toute responsabilité éventuelle du responsable conformité.

Ainsi, on peut penser que toutes ces questions, et beaucoup d’autres, liées à la fonction du responsable conformité doivent être résolues par les instances dirigeantes de chaque entité, ce qui, certes, est juste. Néanmoins, pour que ces questions soient résolues efficacement, les instances dirigeantes doivent être dotées de culture solide de la conformité, ce qui serait assuré par le responsable conformité. Les deux parties se retrouvent alors dans un cycle vicieux, qui pourrait être brisé par l’instauration des exigences minimales d’expérience et de profil des responsables conformité, comme, par exemple, c’est déjà le cas pour le délégué à la protection des données. Mais une fois encore cette décision est laissée à l’appréciation des instances dirigeantes.

Certes, on peut se prévaloir des expériences des sociétés étrangères, comme celles des Etats-Unis, où la prise des décisions portant sur le profil des responsables conformité rentre dans les pouvoirs discrétionnaires des dirigeants. Or, les dirigeants des entreprises américaines possèdent une culture de conformité qui est le fruit de plusieurs décennies de maturation des sociétés américaines soumises à la réglementation très stricte depuis plus de 30 ans. Il paraît donc peu judicieux de demander que leurs homologues français aient le même niveau de maturité après seulement 4 ans d’existence de la loi Sapin 2. Il va de soi, que le vouloir mettre en place tout en ignorant les étapes précédentes va à contre sens de l’instauration d’une véritable culture de la conformité, la mesure phare de la loi Sapin 2.

III. La responsabilité personnelle peu probable mais pas impossible.

Une autre question se pose, la question de la responsabilité du responsable conformité. Bien que l’AFA rappelle dans son guide que « le seul manquement par le responsable de la fonction conformité à ses obligations professionnelles ne peut constituer, du point de vue du droit pénal, un acte de participation, comme auteur ou complice, à la réalisation de l’infraction de corruption », l’éventualité de responsabilité du responsable conformité n’est pas complètement écartée.

Ainsi, on peut envisager le scénario où le responsable conformité fasse l’objet d’une mesure disciplinaire prononcée par son employeur en cas de manquement à ses obligations professionnelles, ce qui vient d’être confirmé par le jugement récent de la cour d’appel de Paris [4]. Par analogie, peut-on prévoir qu’une telle mesure puisse être prononcée suite à l’incapacité de mettre en place la cartographie des risques de la corruption ou bien de rédiger un code de bonne conduite de l’entreprise [5] ? Et si cela est bien le cas, comment ce manquement à ses obligations va se manifester ? La commission des faits de la corruption par un employé de la société sera-t-elle un critère objectif suffisant pour caractériser un manquement aux obligations professionnelles ?

De même, une carence fautive peut-elle être reprochée par le procureur au responsable conformité, qui n’aurait pas mis en place des moyens nécessaires pour que l’acte de la corruption ne se produise pas ? Serait-il suffisant pour engager sa responsabilité pour la complicité ? Comment sera-t-elle pondérée avec l’insuffisance professionnelle éventuelle ?

IV. Les solutions envisageables.

Certes, il ne s’agit pas d’adresser ici tous les scénarios possibles, mais uniquement de dresser les contours des problématiques qui font déjà surface après 4 ans d’existence de la loi Sapin 2.

L’AFA a certainement raison de laisser une marge de manœuvre importante aux entreprises dans leur déploiement des programmes anticorruption, mais laisser une marge de manœuvre ne vaut pas dire laisser agir aveuglement, surtout dans un environnement international en plus en plus compétitif, où la prévention de la corruption devient pas uniquement un enjeu stratégique mais aussi un champ de bataille, ce qui a été témoigné, par exemple, par l’affaire Alstom.

La France a pour ambition de faire instaurer une véritable culture conformité dans les entreprises françaises, ce qui nécessite l’accompagnement de près, voire personnel, des acteurs qui le souhaitent.

Ainsi, on pourrait prévoir la création au sein de l’AFA d’un référent conformité pour les responsables conformité, qui saurait en mesure de répondre aux questions du fonctionnement quotidien de la fonction conformité. Il est aussi envisageable que ce référent conformité rédige une charte professionnelle pour les acteurs de la conformité qui regrouperait de meilleures pratiques, les éventuels conflits d’intérêts, les risques et les moyens d’y faire face.

Il serait même judicieux de penser introduire un régime spécial pour les avis des responsables conformité.

Certains peuvent argumenter, à juste titre, qu’un encadrement plus structuré de la fonction conformité n’est pas opportun, puisque le statut mieux encadré est susceptible de donner des fondements pour que la responsabilité personnelle du responsable conformité puisse être engagée.

Mais dès lors que le statut aura été mieux encadré, les responsables conformité vont connaître les risques auxquels ils s’exposent au quotidien et vont pouvoir mettre en places des mesures pour y faire face afin de se concentrer sur l’accomplissement de leurs fonctions principales.

Tinatin Laoshvili,
Juriste en conformité.

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Guide pratique de la fonction conformité anticorruption dans l’entreprise, AFA, p. 9.

[2Rétablir la souveraineté de la France et de l’Europe et protéger nos entreprises des lois et mesures à portée extraterritoriale, rapport établi par Raphaël Gauvain, 2019, p. 39.

[3Guide pratique de la fonction conformité anticorruption dans l’entreprise, AFA, p.17.

[4CA Paris, pôle 6, Ch. 7, n° 18/00140, 20 févr. 2020.

[5Daoud (E.) et Sfoggia (S.), « Funambule ou chef d’orchestre : quelle responsabilité pour le compliance officer ? », Lamy droit des affaires n° 143, décembre 2018, p. 25 et s.