Prescription en matière de crédit immobilier : un nouvel équilibre dans la relation contentieuse entre banques et consommateurs.

Les établissements de crédit peuvent être rassurés ; alors que depuis 2012 la Cour de Cassation leur donnait régulièrement des sueurs froides, un revirement jurisprudentiel vient opportunément rééquilibrer les rapports prêteurs/emprunteurs, 18 mois après que la Cour de Cassation ait rendu un arrêt contraire.

En effet, depuis un arrêt du 28 novembre 2012 (Civ. 1ère, 28 nov. 2012, n°11-26.508, Bull. civ. I, n°247), la Cour de Cassation jugeait que : « les crédits immobiliers consentis aux consommateurs par des organismes de crédit constituent des services financiers fournis par les professionnels », et que l’article 137-2 du Code de la consommation, prévoyant la prescription biennale de « l’action des professionnels, pour les biens ou les services qu’ils fournissent aux consommateurs », trouvait à s’appliquer.

En plus d’avoir été un bouleversement pour tous les services contentieux des établissements bancaires, cet article avait été très critiqué par la doctrine dès lors que rien dans le code ne permettait de faire le lien entre le livre relatif au crédit immobilier et l’article 137-2.

Puis, survint l’arrêt du 10 juillet 2014 (Civ. 1ère, 10 juill. 2014, n°13-15.551, Bull. civ. I, n° 138). Dans sa décision, la Cour précisait que « le point de départ du délai de prescription biennale prévu par le premier de ces textes se situe au jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer l’action concernée, soit, dans le cas d’une action en paiement au titre d’un crédit immobilier consenti par un professionnel à un consommateur, à la date du premier incident de paiement non régularisé ».

Une nouvelle fois, la doctrine se montrait très critique sur cet arrêt, considérant que cet alignement sur le délai de forclusion de l’article L311-52 du Code de la consommation peinait à être fondé et avait pour effet de faire courir le délai de prescription d’une dette qui n’était pas encore exigible. Comment expliquer que l’action en paiement de la banque soit prescrite avant que soit prononcée la 
« déchéance du terme » ?

La Première Chambre Civile assumait cependant une position ostensiblement favorable aux consommateurs, au détriment du prêteur, victime de l’effet d’aubaine.

Cette jurisprudence avait pour conséquence de précipiter le contentieux dans la mesure où lorsque la banque constatait qu’un client n’avait pas payé l’échéance d’un emprunt, elle disposait de deux ans, à partir de ce défaut, pour solliciter devant le juge, son droit au remboursement de tout le crédit. Si elle laissait passer ce délai, son action était prescrite et le client n’avait plus rien à rembourser : ni le capital, ni les intérêts.

Le 11 février 2016, la Cour de cassation a rendu quatre arrêts venant rééquilibrer le rapport prêteur/emprunteur (Civ. 1ère, 11 fév. 2016, FS-P+B+R+I, n°14-22.938 ; Civ. 1ère, 11 fév. 2016, FS-P+B+R+I, n°14-28.383 ; Civ. 1ère, 11 fév. 2016, FS-P+B+R+I, n°14-27.147 ; Civ. 1ère, 11 fév. 2016, FS-P+B+R+I, n°14-29.539). La Cour ne revient évidemment pas sur le délai de prescription, qui reste de deux ans, mais opère un revirement total sur le point de départ.

Désormais, il faut distinguer les deux types de créances découlant du crédit immobilier : les mensualités échues, et le capital restant. Le délai de prescription concernant les actions en paiement des mensualités court à compter de leur échéance et donc de leur exigence, ce qui en pratique ne change pas de l’ancienne solution. En revanche, l’action en paiement du capital restant dû se prescrit à compter de la déchéance du terme, qui emporte son exigibilité.

Alors que les arrêts précédents avaient été pris uniquement au visa des articles L137-2 du Code de la consommation et 2224 du Code Civil, la Première Chambre Civil y a adjoint l’article 2233 du Code Civil : « La prescription ne court pas : […] 3° A l’égard d’une créance à terme, jusqu’à ce que ce terme soit arrivé. » En définitive, cette solution devrait être saluée en ce qu’elle revient à une certaine orthodoxie, alors que l’article 2233 du Code Civil semblait avoir été écarté de la matière.

Cette nouvelle jurisprudence assouplit évidemment la position de la Cour à l’égard des banques et autres établissements de crédit, ce qui sera sûrement critiqué par les défenseurs d’une vision consuméristes du droit bancaires, car la déchéance étant une faculté du créancier, la banque aura la maîtrise du temps de l’action.

Mais pour la pratique, ce revirement est heureux : elle permet d’éviter la solution antérieure qui contraignait les établissement de crédits à agir en urgence et à engager de nombreuses procédures de recouvrements forcés ou d’action en paiement avant même d’envisager et a fortiori de trouver une solution amiable. Cette « nouvelle » solution bénéficie donc aux prêteurs mais également aux emprunteurs victimes d’une défaillance passagère.

Maitres Franck et Alexis GRIMAUD, Avocats Associes LEXAVOUE GRENOBLE.

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