Obligations sociales d’une Marketplace : Mode d’emploi juridique.

Les plateformes en ligne de mise en relation sont au cœur de l’actualité. Le 2 mars dernier, la société Heetch et ses fondateurs ont été condamnées à de lourdes sanctions pénales pour exercice illégal de la profession de taxi, pratiques commerciales trompeuses, et organisation illégale d’un système de mise en relation de clients avec des chauffeurs non-professionnels [1].

Cette actualité illustre parfaitement les enjeux juridiques et sociaux de l’uberisation.

Le droit réagit progressivement et de plus en plus fermement à cette « révolution ». Les dernières affaires judiciaires démontrent que si certaines innovations permettent de s’affranchir de certaines réglementations parfois trop « lourdes », il convient toutefois de rester vigilant [2].

Rappelons qu’une place de marché est un espace virtuel permettant de mettre en relation des marchands ou des prestataires de services et des clients potentiels. Le fait de pouvoir générer un marché virtuel, mettant directement en relation différentes parties permet une « désintermédiation » et une « horizontalisation » des transactions à distance.

L’émergence nouvelle et exponentielle de ces plateformes de mise en relation (aussi appelé – à tort ou à raison – « uberisation » [3]) touche de nombreux domaines de notre économie et notamment les secteurs de l’hôtellerie [4], de la restauration [5] et du transport de personnes et de biens [6].

Ainsi, de manière extrêmement évocatrice, on peut rappeler qu’Airbnb, en ne possédant aucun des immeubles que ses utilisateurs proposent à la location, a une valorisation boursière très proche de celle d’Hilton, immense groupe hôtelier créé en 1919 et qui compte à ce jour près de 760.000 chambres d’hôtel !

Ces succès fulgurants sont notamment permis par un modèle permettant une gestion extrêmement agile de la structure éditant la place de marché.

Ainsi, pour les marketplaces de services, on s’aperçoit que le modèle de place de marché permet de limiter l’impact d’un droit du travail considéré parfois (à tort ou à raison) comme un frein au développement :

En effet, théoriquement, le modèle « place de marché » présente l’avantage de pouvoir faire appel à des prestataires indépendants :
- sans les engager en tant que salariés : ce qui permet de réduire les charges à payer, de pouvoir moduler sa masse salariale et surtout de responsabiliser ses partenaires, qui sont leurs « propres patrons » ;
- sans leur sous-traiter véritablement la prestation : en effet l’éditeur de place de marché n’est, du point de vue du client, pas un prestataire de service : il met simplement et automatiquement en relation l’offre (les prestataires référencés) avec la demande (les clients). En étant extérieur à la prestation réalisée, il n’en assume pas la responsabilité.

Toutefois, on s’aperçoit dans la pratique que la différence est parfois ténue entre la mise en relation et le lien de subordination : tour d’horizon de ces problématiques à ne pas négliger avant de lancer sa marketplace.

1/ Les risques de requalification en contrat de travail

A la rentrée 2015, l’Urssaf d’Île-de-France a engagé deux procédures à l’encontre d’Uber afin que soit reconnue la qualité de salarié de ses chauffeurs, engagés par Uber en tant qu’indépendants [7].

L’Urssaf soutient qu’Uber entretiendrait un lien de subordination – caractéristique d’un contrat de travail – avec ses chauffeurs et réclamerait, en conséquence, le paiement rétroactif de cotisations sociales.

Cette actualité a trouvé un écho dans une décision récente – et inédite en la matière – du Conseil des prud’hommes de Paris (CPH Paris, « LeCab », 2 décembre 2016).

Dans cette affaire, le chauffeur de VTC, partenaire de l’application « LeCab » (service de la société Voxtur), demandait la requalification de son contrat en faisant notamment valoir que :

  • la plateforme lui imposait une exclusivité l’empêchant de conduire pour une autre plateforme
  • la plateforme lui imposait de conduire à certains horaires qu’elle déterminait et que le chauffeur était contraint de suivre s’il voulait maintenir ses revenus
  • la plateforme exerçait un pouvoir disciplinaire sur lui en le déconnectant s’il n’acceptait pas les courses dans un délai déterminé.

Pour le Conseil de Prud’hommes (CPH) de Paris, le chauffeur était lié à LeCab par une exclusivité contraire à la liberté d’entreprendre (absence de possibilité de développer une clientèle propre).

Cette situation, de nature à créer un lien de subordination (caractéristique du salariat), a permis aux juges du CPH de Paris de requalifier le contrat d’entrepreneur indépendant en contrat de travail.

Cet exemple jurisprudentiel ne semble pas être une initiative isolée et traduit un mouvement plus large d’encadrement des Marketplaces, relayé par le législateur lui-même.

Ainsi, il est à noter que la loi dite « Grandguillaume » [8] du 29 Décembre 2016 est venue entre autres prohiber tout accord, pratique concertée ou unilatérale, visant à interdire ou limiter substantiellement la possibilité pour un chauffeur de VTC de « recourir simultanément à plusieurs intermédiaires ou acteurs de mise en relation avec des clients en vue de la réalisation de ces prestations » [9].

Par conséquent, l’exclusivité entre une plateforme et les chauffeurs VTC n’est plus possible.

2/ Les nouvelles obligations découlant de la loi Travail du 8 août 2016.

La loi dite « El-Khomri » [10] est venue bouleverser la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation par voie électronique à l’égard des travailleurs affiliés [11].

Selon cette loi, les plateformes qui « déterminent les caractéristiques de la prestation de service fournie ou du bien vendu et fixe son prix » ont une « responsabilité sociale » à l’égard de leurs prestataires partenaires et sont susceptibles, à cet égard :

  • De devoir prendre en charge les cotisations couvrant, le cas échéant, le risque d’accident du travail du « travailleur », même indépendant ;
  • De respecter le droit d’accès à la formation professionnelle du travailleur ;
  • De respecter les mouvements de grèves (« refus concerté de fournir leurs services ») des travailleurs, qui ne pourront alors ni engager leur responsabilité contractuelle, ni constituer un motif de rupture des relations commerciales, ni justifier des mesures pénalisantes à leur encontre ;
  • De respecter le droit des travailleurs de de constituer une organisation syndicale de défense de leurs intérêts collectifs et d’y adhérer.

Ainsi, la responsabilité sociale des plateformes est accrue et les travailleurs utilisant ces plateformes ont acquis de nouveaux droits sociaux, en dépit de leur statut d’auto-entrepreneur et de travailleur indépendant !

3/ L’obligation d’information des utilisateurs sur les droits et obligations en matières sociale et fiscale.

La récente publication du décret [12] sur les obligations d’information à la charge des plateformes de mise en relation électronique appelle plusieurs remarques.

Désormais, les plateformes ont l’obligation :
- d’informer leurs utilisateurs sur les régimes fiscaux et la réglementation sociale applicables aux sommes perçues lors de ces opérations ;
- d’informer leurs utilisateurs sur les sanctions en cas de non-respect de ces règles.

Parallèlement, le traitement fiscal et social des revenus tirés d’activités non salariées sur des plateformes en ligne a évolué.

A titre d’exemple, en matière de covoiturage :
Si la personne proposant des trajets remplit les 3 critères suivants, elle est exonérée de déclaration sociale et fiscale :
- Le covoiturage est réalisé dans le cadre de déplacements effectués pour son propre compte ;
- Le tarif complet n’excède pas le barème kilométrique et est divisé par le nombre de voyageurs ;
- La personne « organisant » le covoiturage conserve une quote-part de frais de carburant et de péage occasionnés par le déplacement.

Si un des 3 critères n’est pas rempli :

D’un point de vue social :
En dessous de 33.100 euros de recettes annuelles : la personne peut opter pour le statut d’autoentrepreneur ;
Au-dessus : soumission au régime commun (RSI).

D’un point de vue fiscal :
En dessous de 32.900 euros de recettes : choix possible entre le régime des micro-BIC et le régime « réel »
Au-dessus : affiliation automatique au régime « réel ».
Pour chaque type d’activité complémentaire (location d’un logement meublé, vente de biens, location de biens et services rémunérée) réalisée par le biais d’une plateforme de mise en relation en ligne, le régime applicable diffère.

Fort de son expérience dans le domaine du e-commerce, le cabinet HAAS Avocats a créé un département dédié à l’accompagnement des utilisateurs et éditeurs de marketplace.

A cet égard, les avocats du cabinet assistent tout type de clients :

Les éditeurs de marketplace :
Dans la gestion des aspects juridiques du lancement de projet ;
Dans la création de leur architecture contractuelle ;
Dans l’audit de leurs contrats prestataires ;
Dans la réalisation d’audits juridiques et de mises en conformité globales ;
Dans la défense de leurs intérêts dans le cadre de contentieux civils, commerciaux ou prud’homaux.

Les utilisateurs de marketplace :
Dans la gestion de leurs contentieux, liés à la rupture de relations commerciales à l’initiative de la marketplace, dans le gel litigieux du versement de leur chiffre d’affaires… ;
Dans la mise en conformité de leur activité ;
Dans la gestion de leurs contentieux prud’homaux.

Paul Benelli
et Enzo Falconieri
HAAS Avocats

HAAS AVOCATS défend et protège les clients nationaux et internationaux intervenant dans les secteurs de la propriété intellectuelle, du droit des nouvelles technologies, de l’information et de la communication, de la protection des données, de l’e-commerce, de l’e-marketing et du droit des affaires.
http://www.haas-avocats.com
https://www.avocat-rgpd.com


Notes

[2Voir à cet égard notre article sur la stratégie juridique globale à adopter lors du lancement d’une marketplace : http://www.haas-avocats.com/ecommerce/cles-juridiques-pour-reussir-marketplace/

[3En référence à la plateforme Uber et entré dans le dictionnaire français en 2016.

[4En exemple : airbnb.fr

[5En exemple : lafourchette.com ; foodora.fr

[6En exemple : uber.com

[8Loi n° 2016-1920 du 29 décembre 2016 relative à la régulation, à la responsabilisation et à la simplification dans le secteur du transport public particulier de personnes.

[9Article L. 420-2-2 du code de commerce.

[10Loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels

[11Articles L. 7342-1 et suivants du Code du travail.

[12Décret n° 2017-126 du 2 février 2017 relatif à l’obligation d’information en matière fiscale et de prélèvements sociaux des utilisateurs de plates-formes de mise en relation par voie électronique.