Les champs d’application de la rupture conventionnelle.

Décidément, la Cour de cassation semble ne pas vouloir enrayer la marche de la rupture conventionnelle. Elle considère désormais que ce dispositif de rupture amiable du contrat de travail est possible en cas d’inaptitude totale du salarié.

Par Xavier Berjot, Avocat.

1/ L’essence de la rupture conventionnelle.

La rupture conventionnelle est régie par les articles L. 1237-1 à L. 1237-16 du Code du travail.

Sa définition en est donnée par l’article L. 1237-11, alinéa 1er du Code du travail selon lequel « l’employeur et le salarié peuvent convenir en commun des conditions de la rupture du contrat de travail qui les lie ».

Sa conclusion implique un accord global des parties, non seulement sur le principe de la rupture du contrat de travail, mais aussi sur ses conséquences.

Il est vrai qu’aucune restriction n’est imposée par les textes quant au contexte dans lequel s’inscrit la rupture conventionnelle.

Pour sa part, la jurisprudence a progressivement étendu le dispositif de la rupture conventionnelle, tenant compte de son caractère souple et amiable, mais non dénué de contrôle par la Direccte (salariés non protégés) ou par l’inspection du travail (salariés protégés).

2/ La rupture conventionnelle peut être conclue en cas d’inaptitude.

Dans un arrêt récent du 9 mai 2019 (n°17-28767), la Cour de cassation considère que l’employeur peut conclure une rupture conventionnelle avec un salarié déclaré inapte.

Pour la Cour de cassation, la rupture conventionnelle conclue avec un salarié victime d’une inaptitude physique d’origine professionnelle est valablement homologuée, sauf preuve d’une fraude ou d’un vice du consentement.

La Cour de cassation avait déjà admis la validité de la rupture conventionnelle conclue avec un salarié apte avec réserves après un accident du travail (Cass. soc. 28 mai 2014, n° 12-28082).

Dans cet arrêt, la Cour de cassation avait posé, pour limites, l’absence de fraude ou de vice du consentement :
« Mais attendu qu’ayant relevé que la salariée n’invoquait pas un vice du consentement et constaté l’absence de fraude de l’employeur, la cour d’appel a, sans inverser la charge de la preuve, légalement justifié sa décision. »

Désormais, la solution semble claire : il est possible de conclure une rupture conventionnelle avec un salarié inapte et d’échapper ainsi à l’obligation de reclassement qui peut s’avérer ardue en présence d’une UES ou d’un groupe.

3/ La rupture conventionnelle peut être conclue en cas d’accident du travail.

Depuis un arrêt du 30 septembre 2014 (Cass. soc. 30 septembre 2014, n° 13-16.297), il est possible de conclure une rupture conventionnelle en cas de suspension du contrat de travail pour accident du travail.

Dans un arrêt du 11 décembre 2012 (n°11-01258), la Cour d’appel de Bordeaux avait annulé la rupture conventionnelle conclue avec un salarié en arrêt de travail à la suite d’un accident du travail.

La Cour d’appel de Poitiers avait, de manière similaire, considéré que le fait, pour l’employeur, de proposer une rupture conventionnelle à bas coût à un salarié accidenté du travail, entre les deux visites de reprise, constitue une fraude entraînant la nullité de la rupture (CA Poitiers 28 mars 2012 n° 10/02441).

La Cour d’appel de Rennes avait, pour sa part, validé la rupture conventionnelle conclue par un salarié après une absence de plusieurs mois pour accident du travail, qui avait pris fin à la date de signature de l’acte (CA Rennes 18 janvier 2012, n° 10-04204).

Aujourd’hui, les hésitations ne sont plus permises : la suspension du contrat de travail en raison d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle ne fait pas obstacle à la conclusion d’une rupture conventionnelle.

4/ La rupture conventionnelle peut être conclue en cas de maternité.

La Cour de cassation a jugé que, sauf en cas de fraude ou de vice du consentement, une rupture conventionnelle peut valablement être conclue au cours des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles la salariée a droit au titre de son congé maternité (Cass. soc. 25 mars 2015, n° 14-10149).

La solution n’allait pas de soi car l’Administration, elle-même, y était hostile :
« Dans les cas où la rupture du contrat de travail est rigoureusement encadrée durant certaines périodes de suspension du contrat (par exemple durant le congé de maternité en vertu de l’article L. 1225-4, ou pendant l’arrêt imputable à un accident du travail ou une maladie professionnelle en vertu de l’article L. 1226-9, etc.), la rupture conventionnelle ne peut, en revanche, être signée pendant cette période. » (Circ. DGT n° 2009-04 du 17 mars 2009)

Bien évidemment, dans les cas de suspension ne bénéficiant d’aucune protection particulière (congé parental d’éducation, congé sabbatique, congé sans solde, etc.), aucune disposition n’interdit aux parties de conclure une rupture conventionnelle (Circ. DGT 2009-5 du 17-3-2009 n° 1.2).

5/ La rupture conventionnelle peut être conclue en cas de litige.

Dans un arrêt du 23 mai 2013 (Cass. soc. 23 mai 2013, n° 12-13865), la Cour de cassation a jugé que si l’existence, au moment de sa conclusion, d’un différend entre les parties au contrat de travail n’affecte pas, par elle-même, la validité de la rupture conventionnelle, celle-ci ne peut être imposée par l’une ou l’autre des parties.

Il résulte de cette décision de principe que la rupture conventionnelle peut, d’une certaine manière, être la solution à un litige préexistant entre les parties, à condition que leur consentement soit libre et éclairé au moment de la rupture et que ce litige ait pris fin le jour de la signature de la rupture conventionnelle.

NB. Dans un arrêt du 26 mars 2014 (n° 12-21136), la Chambre sociale de la Cour de cassation a jugé qu’un salarié et un employeur ayant signé une rupture conventionnelle ne peuvent valablement conclure une transaction que si elle a pour objet de régler un différend relatif non pas à la rupture du contrat de travail mais à son exécution sur des éléments non compris dans la convention de rupture.

Le Ministre du travail a rappelé cette solution dans une réponse ministérielle du 2 septembre 2014 (question n°55914) :
« Une transaction dont l’objet serait justement de mettre fin à un litige lié à une rupture conventionnelle, ne peut intervenir sans remettre directement en cause l’accord des parties et donc la validité de la rupture elle-même. C’est ce que vient de confirmer la cour de cassation dans son arrêt du 26 mars 2014. Rupture conventionnelle et transaction ne sont compatibles que dans la mesure où elles ont des objets distincts. »

En d’autres termes, n’est pas valable la transaction conclue postérieurement à l’expiration du contrat à la suite d’une rupture conventionnelle, pour régler de manière amiable les conséquences de la rupture du contrat.

6/ La rupture conventionnelle peut être conclue en cas de difficultés économiques.

Depuis longtemps, l’Administration admet (à demi-mots…) la conclusion d’une rupture conventionnelle en cas de difficultés économiques : Une rupture conventionnelle "peut intervenir alors même que l’entreprise rencontre des difficultés économiques qui l’amènent à se séparer de certains de ses salariés » précisant que, « sauf exception, il n’y a pas lieu de rechercher la motivation (éventuellement économique : baisse d’activité…) de l’employeur, puisque la rupture conventionnelle procède de la volonté des parties". (Instruction DGT n° 02 du 23 mars 2010).

La solution est désormais claire et figure aux articles L. 1237-17 et suivants du Code du travail : Un accord collectif "portant gestion prévisionnelle des emplois et des compétences ou rupture conventionnelle collective peut définir les conditions et modalités de la rupture d’un commun accord du contrat de travail qui lie l’employeur et le salarié."

Xavier Berjot, Avocat.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.