Les acteurs de la justice commerciale unis au soutien des entreprises.

La crise sanitaire à laquelle nous faisons face depuis le mois de mars 2020 a une incidence directe sur le monde entrepreneurial, ce qui a incité les acteurs de la justice commerciale à se concerter et s’unir pour trouver rapidement des solutions en adéquation avec les réalités du terrain.
L’un des événements à l’image de ce travail collectif est la table ronde, présidée par Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, qui s’est tenue en juin 2020 et consacrée à la mobilisation des acteurs de la justice commerciale dans le contexte de crise sanitaire et économique.
Voici un aperçu de ces échanges.

Le 5 juin 2020 a eu lieu, dans les locaux du tribunal de commerce de Paris, une table ronde réunissant les représentants des acteurs de la justice commerciale
 [1].

Après un rappel des mesures prises par le gouvernement pour soutenir les entreprises en potentielles difficultés, cette table ronde de près de 2h30 a été l’occasion aborder trois points principaux :
- Le fonctionnement des institutions commerciales durant la période du confinement ;
- Les solutions mises en place pour prévenir les défaillances d’entreprises ;
- Les mesures pour faciliter le rebond des entreprises.

Brefs rappels de la garde des Sceaux sur les mesures gouvernementales.

Comme l’a rappelé Nicole Belloubet (11’ 12’’), le gouvernement a mis en place dès le début du mois de mars 2020, un dispositif exceptionnel de soutien aux entreprises et aux salariés qui comporte, entre autres, un report des charges fiscales et sociales, des reports d’échéances bancaires, les garanties de l’État à hauteur de 300 milliards d’euros pour les prêts bancaires aux entreprises, la mise en place d’un fond de solidarité pour les entrepreneurs commerçants et artisans et, plus largement, pour les indépendants. Mais en dépit de ces mesures, la trésorerie des entreprises a été particulièrement affectée par l’arrêt total ou partiel des activités, surtout de celles qui étaient fragilisées avant même la crise de la covid. Sans oublier, pour la garde des Sceaux, de saluer la mobilisation des acteurs, qui a démontré que la justice commerciale « était au rendez-vous » (21’50’’).

« La justice commerciale était au rendez-vous » (N. Belloubet).

Avec les ordonnances du 25 et du 27 mars, puis celle du 20 mai, le ministère de la Justice a souhaité adapter rapidement le droit et les procédures aux circonstances exceptionnelles. Et, ce, au-delà du très large éventail de mesures et procédures, de la « boîte à outil » qui existait déjà pour anticiper les difficultés des entreprises. Mais comme l’indiquait également N. Belloubet, « la période actuelle nous commandait de faire évoluer [ces instruments] de manière temporaire pour préserver leur efficacité » (14’34).

On mentionnera notamment, à la suite de la garde des Sceaux, les adaptations suivantes [2] :
- Possibilité de demander l’ouverture de conciliation de sauvegarde ou de redressement judiciaire afin de permettre aux salariés de bénéficier du régime de garantie de leur créance, indépendamment, le cas échéant, de l’état de cessation des paiements ;
- Renforcement de la détection (anticipée) des difficultés des entreprises par l’aménagement de la procédure d’alerte des commissaires aux comptes ;
- Adaptation de la procédure de conciliation, le débiteur pouvant solliciter plus facilement une suspension des poursuites et des délais de paiement ;
- Possibilité de mettre en place des sauvegardes accélérées en supprimant les conditions de seuils d’ouverture ;
- Adoption des plans de sauvegarde et de redressement facilitée par une prolongation de la durée du plan et la possibilité d’adapter les délais de paiement initialement fixés par le tribunal ;
- Création d’un privilège de sauvegarde ou de redressement, constitutive d’une mesure temporaire, trouvant son inspiration dans la Directive dite restructuration et insolvabilité et dans la loi PACTE.

Temps 1 (23’10’’) - Le fonctionnement des institutions commerciales.

L’orientation vers le bon interlocuteur

Georges Richelme, président de la Conférence générale des juges consulaires l’a indiqué clairement (à partir de 23’46’’), dès le début de la crise, la Conférence a eu pour objectif de « maintenir l’opérationnalité des tribunaux, dans le respect des règles générales de restriction de l’activité des juridictions ».

Outre cette ambition, partagée avec les greffiers des tribunaux de commerce et ses missions traditionnelles, l’une des particularités de cette période pour la Conférence, est venue d’un contact direct avec les entreprises, sollicitant de l’aide. C’est la raison pour laquelle une cellule d’écoute et d’orientation des entrepreneurs a été mise en place, pour les aiguiller au mieux, en fonction de leurs besoins, vers le bon interlocuteur.

Le maintien de l’activité en quelques chiffres.

C’est Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, qui a fait le point sur cette question de l’activité des juridictions commerciales pendant le confinement (à partir de 30’11’’).

Les accueils physiques des greffes ont été fermés à compter du 17 mars, le télétravail a été déployé lorsque c’était faisable, certains collaborateurs restant sur place, dans les juridictions qui n’accueillaient pas de public. Les audiences physiques ont été suspendues pendant la première semaine, l’activité judiciaire se limitant aux strictes urgences relatives aux plans de cession, à l’ouverture de procédures préventives, conciliations et mandats ad hoc, ainsi que le traitement des procédures urgentes en cours.

Ensuite, les ordonnances des 25 et 27 mars ont permis la tenue des audiences par tout moyen de communication électronique, le choix ayant été fait de l’outil français Tixeo pour garantir la confidentialité. Avec une activité moins intense que d’habitude en raison des mesures gouvernementales d’aides aux entreprises (3 800 procédures collectives en 8 semaines, contre 4 000 en mars 2019), les 141 tribunaux de commerce ont pu, sur la période du 17 mars au 11 mai 2020, réaliser 760 audiences en visioconférence.

Les praticiens du droit et du chiffre ont également pu réagir rapidement grâce aux outils numériques existants : la plateforme Infogreffe (125 000 formalités déposées et 450 000 K-bis délivrés) et le Tribunal digital, qui a généré sur cette même période 1 000 saisines (contre 1 000 en une année depuis sa création en 2019).

Quelques mots à Paris.

Paul-Louis Netter, président du Tribunal de commerce de Paris (à partir de 37’34’’), a ensuite fait un point sur la situation au sein de sa juridiction, « pour tenter de [nous] faire vivre ce qu’un président de juridiction a pu ressentir dans cette période » et évoquer les chiffres des affaires traitées et dossiers en attente à Paris.

Puis Rémy Heitz, procureur de la République de Paris (à partir de 55’42’’) a, à son tour, souligné la mobilisation des acteurs et la mise en place très rapide des audiences dématérialisées : de « véritables audiences », auxquelles le parquet a assisté, avec un « fonctionnement efficace » notamment en termes de prévention, mais avec un calme probablement relatif avant la tempête. Il a également exprimé le souhait de réfléchir à la possibilité de conserver la visioconférence pour certaines situations, d’urgence, pendant les vacations judiciaires par exemple.

Le numéro vert du CNAJMJ.

Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires (1h04’45’’) a évoqué la volonté de la profession des AJMJ d’apporter sa pierre à l’édifice, avec la mise en place de cette plateforme permettant d’offrir des conseils aux dirigeants d’entreprise et, ainsi, d’appuyer les mesures gouvernementales. Ceci, avant de préciser les grandes lignes de la teneur des appels reçus et traités (un peu plus de 3 000 appels reçus, émanant à plus de 90 % de (très) petites structures).

Temps 2 (1h22’11’’) - Les solutions mises en place pour prévenir les défaillances des entreprises.

Comme le soulignais Paul-Louis Netter (à partir de 1h23’28’’), à la différence de beaucoup des contentieux habituels, les situations soumises aux juridictions sont et vont être particulières, notamment en ce qu’elles mettent en présence des débiteurs de bonne foi : ce n’est pas qu’ils ne veulent pas payer, mais ils ne peuvent pas le faire en raison d’une « trésorerie asséchée ». Ces contentieux opposent également des personnes qui ont l’habitude de travailler ensemble et dont on peut penser qu’elles souhaitent continuer à le faire.
C’est pourquoi il a fallu trouver une solution souple et hors du formalisme judiciaire, quelque chose de plus rapide, économique et adapté aux situations dépourvues de conflit personnel et d’antagonisme. D’où l’initiative originale de l’expérimentation de la plateforme des tiers-conciliateurs (bénévoles), qui n’aurait néanmoins pas l’ambition d’être pérenne.

« Il a fallu trouver une solution souple et hors du formalisme judiciaire. »

Un second message, essentiel, celui de la prévention, a aussi été passé par le président du tribunal de commerce de Paris (à partir de 1h27’), à destination des entrepreneurs eux-mêmes : « si vous avez de graves difficultés, n’attendez pas, venez vous mettre sous la protection du tribunal (…) Venir tôt, c’est préserver l’avenir de l’entreprise, venir tard, c’est presque toujours venir trop tard ».

Georges Richelme (à partir de 1h32’) s’est quant à lui concentré sur la problématique du financement de la reprise d’activités et des nouveaux outils prévus par l’ordonnance du 20 mai (précitée) permettant de rétablir l’équilibre au sein des négociations, en prise directe avec la réalité de l’inégalité économique entre débiteurs et créanciers. Christophe Basse (à partir de 1h40’52’’) s’est également arrêté sur certains des dispositifs de l’ordonnance du 20 mai (extension des procédures de sauvegarde, aménagement des modalités de consultation des créanciers et maintien de l’emploi en cas de cession de l’entreprise).

Après avoir salué le dynamisme et le pragmatisme de la communauté des juristes de l’entreprise en difficultés, Jean-François de Montgolfier, directeur des Affaires civiles et du Sceau (à partir 1h46’52’’) a, en partie, répondu aux "appels du pied" des professionnels quant à la possible pérennisation de certaines des mesures nouvelles à la suite de cette « expérimentation juridique et judiciaire grandeur nature ». Intégration dans le droit commun qui pourrait, le cas échéant, intervenir dans le cadre de la transposition de la Directive "restructuration et insolvabilité" (précitée).

Temps 3 (1h49’41’’) - Faciliter le rebond des entreprises en difficultés.

Sophie Jonval l’a rappelé, des mesures existent déjà. La loi PACTE (précitée) propose quatre dispositions-phares, utiles pour faciliter le rebond économique :
- la suppression de la mention « liquidation judiciaire » au casier judiciaire de l’entrepreneur (qui pouvait paraître très infamante pour un chef d’entreprise de bonne foi) ;
- l’augmentation des seuils pour bénéficier de la procédure de rétablissement professionnel ;
- la réduction des délais de la procédure de liquidation judiciaire simplifiée (dans les 6 mois de son ouverture) ;
- la réduction, à 1 an, du délai de révélabilité aux tiers, des mentions des plans de sauvegarde et de redressement judiciaires.

Comme d’autres participants à cette table ronde ronde, elle précise que la meilleure défense pour les entreprises est l’anticipation, la prévention. Plus tôt les dirigeants d’entreprise signalent leurs difficultés, mieux c’est. Rien ne vaut un accompagnement humain et l’ensemble des acteurs de la justice commerciale s’est mobilisé pour cela, notamment avec l’aide du réseau Apesa France.

Christophe Basse (à partir de 1h56’32’’) a, lui, notamment insisté sur l’article 5 de l’ordonnance du 20 mai (précitée), permettant de prolonger largement la durée d’exécution des plans et, partant, de donner une respiration bienvenue aux entreprises.

Puis, Thierry Montéran, avocat, représentant le CNB (à partir de 2h03’18’’) a, en partant de mises en situation concrètes, exposé le point de vue de l’avocat sur la technique des procédures collectives dans sa version issue des dernières ordonnances.

Paul-Louis Netter (2h09’23’’) et Rémy Heitz (2h15’56’’) ont enfin fait état de quelques-uns de leurs constats et passé plusieurs messages de réflexion et de prospective.

« Les moteurs de la justice commerciale ont bien fonctionné » (P.-L. Netter).

Plus largement, ce sont tous les participants à cette table ronde qui se sont félicités de l’existence d’une réflexion commune et constructive et d’une volonté d’avancer ensemble et rapidement. Tous ont également souligné l’écoute attentive du ministère de la Justice durant cette période, face aux suggestions faites par les professionnels du droit en contact direct avec le monde de l’entreprise.

Retrouver l’intégralité de la table ronde ici :

Article initialement publié sur le Village de la Justice

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Étaient présents pour cette table ronde : Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, Paul-Louis Netter, président du Tribunal de commerce de Paris ; Rémy Heitz, procureur de la République de Paris ; Jean-François de Montgolfier, directeur des Affaires civiles et du Sceau ; Georges Richelme, président de la Conférence générale des juges consulaires ; Sophie Jonval, présidente du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ; Christophe Basse, président du Conseil national des administrateurs et mandataires judiciaires et Thierry Montéran, avocat, représentant le Conseil National des Barreaux.

[2Les auteurs du Village de la justice ont été nombreux à partager des contenus sur cette thématique, à retrouver dans notre « Centre de ressources juridiques Covid-19 ». Voir par exemple L’adaptation des procédures collectives pendant la crise du Covid-19