Le crowdfunding : nouveau cadre juridique, nouvelles perspectives économiques.

D’une pratique historique isolée vers l’Eldorado de la nouvelle économie ?

Le “crowdfunding” littéralement traduit par le “financement par la foule” correspond à une pratique consistant à mettre en relation des particuliers (donateurs, prêteurs, investisseurs) avec un porteur de projet personnel ou entrepreneurial, à but non lucratif ou économique, via une plateforme numérique.

L’idée de réunir un ensemble d’individus autour d’un projet ou d’une oeuvre n’est pas en soit nouveau. La statue de la liberté offerte par les français aux américains en 1875 est issue du financement participatif, plus récemment le téléthon, les dons suite à l’ouragan Katrina. Dans le domaine économique, on pourrait également citer l’exemple des business angels.
La crise, l’essor de l’économie collaborative et du numérique ont ouvert de nouvelles perspectives dans lesquelles se sont lancées ces nouveaux opérateurs.

Selon une étude réalisée par le site américain fundable.com : à fin 2014, le marché mondial du crowdfunding serait estimé à prés de 10 milliards de dollars. Avec une croissance moyenne annuelle de 92% sur ces 5 dernières années, soit +1000% entre 2009 et 2014.

En France, selon les chiffres de BFM Business de Juillet 2014, 66 millions d’euros auraient été levés sur les plateformes de crowdfunding et plus de 1 million de français ont prêté ou donné des fonds sur le 1er semestre 2014. Soit une croissance du marché français de plus de 160% cette année.
Et ce n’est que le début !

Un nouveau cadre juridique adapté ?

Dans ce contexte, la France a souhaité se doter d’un cadre juridique, permettant d’accompagner le développement de ce vecteur de croissance tout en fixant un cadre sécurisant.
L’ordonnance du 30 mai, puis le décret du 17 septembre 2014 qui viennent d’entrer en vigueur le 1e octobre 2014, sont venus fixer ce nouveau cadre juridique du crowdfunding et vise un triple objectif : encourager le financement de projets innovants, instaurer de véritables statuts pour les plateformes et opérateurs intervenants dans ce domaine d’activité et sécuriser les investisseurs prêteurs ou donateurs particuliers.

Le vocable crowdfunding ou financement participatif, recouvre des modèles bien différents :

  • Le don ou don contre don ;
  • Le prêt gratuit ou rémunéré ;
  • Le financement par investissement en capital (crowd-equity).

Ces modèles, désormais encadrés juridiquement, impliquent des obligations plus ou moins contraignantes pour l’opérateur, en fonction du type de financement et des risques économiques.
Ce nouveau mode de financement, est destiné à différents types de bénéficiaires : porteurs de projets, entreprises en démarrage d’activité (levée de fonds), association, entreprises en difficultés…
Le montant maximum de financement par opération a été fixé par décret à un million d’euros, ce qui fait de la France l’un des pays qui libéralise le plus ce nouveau modèle.

L’ordonnance du 30 mai et le décret d’application du 17 septembre 2014 ont crée pour cela deux statuts :

1/ Conseillers en investissements participatifs (investissements réalisés dans le capital des sociétés bénéficiaires : 
crowd-equity) : il s’agit de personnes morales (sociétés) établies en FRANCE, exerçant à titre de profession habituelle l’activité de conseil en investissement au moyen d’un site internet.

Les personnes physiques ayant le pouvoir de gérer ou d’administrer les conseillers en investissement participatifs doivent répondre à des critères d’âge, d’honorabilité et de compétences professionnelles.
Les bénéficiaires seront des sociétés non cotées déjà existantes, souhaitant ouvrir une partie de leur capital au public.

Les conseillers relevant de ce statut, sont supervisés et contrôlés par une association agréée par l’AMF (Autorité des Marchés Financiers).
Les conseillers en investissements participatifs sont soumis à des règles de bonne conduite et de mise en garde, dont l’objectif est d’informer et de protéger les investisseurs (informations sur les risques de perte en capital, sur les frais prélevés, situation financière et objectifs d’investissement des clients, politique de gestion des conflits d’intérêts…).
Toutefois les règles sont moins strictes, s’agissant du document d’information que pour les émissions de titres relatifs aux sociétés cotées (exemption de la publication d’un prospectus financier, même au delà de 100 000 €).
Les conseillers en investissement participatif ne peuvent recevoir de titres financiers de leurs clients, mais uniquement les fonds destinés à rémunérer leur activité (commissions).
Cette activité peut également être exercée par les prestataires de services d’investissement, statut qui ne résulte pas de l’ordonnance du 30 mai 2014.

Les investisseurs en crowd-equity peuvent bénéficier d’avantages fiscaux qui restent particulièrement limités et aux travers de dispositifs déjà existants :

  • IR/PME : déduction à hauteur de 18 % des montants investis, dans la limite de 9 000 € par personne (sous réserve d’une détention de titres minimum de 5 ans) ;
  • ISF/PME : pour les personnes redevables de l’ISF, déduction de la moitié des sommes investies dans la limite de 45 000 € de réduction d’impôt ;
  • PEA/PME : plafond de 75 000 €, il permet aux souscripteurs de bénéficier d’une exonération totale d’imposition (hors prélèvements sociaux 15,5%) sur les dividendes et plus values de cession (sous réserve d’une détention de titres minimum de 5 ans).

2/ Intermédiaires en financements participatifs (prêts ou dons) : il s’agit de personnes morales (société) établies en FRANCE, exerçant à titre de profession habituelle une activité de mise en relation, au moyen d’un site internet et de collectes de fonds en vue de prêts ou de dons.

Sur les conditions des prêts :

  • Prêts rémunérés : 1 000 € maximum par préteur et par projet et la durée du prêt ne peut excéder 7 ans. Des plafonds de taux sont fixés par le Code de la consommation en référence au taux moyen de la période.
  • Prêt sans intérêts : 4 000 € maximum par préteur et par projet.

Ces intermédiaires ne peuvent exercer en parallèle d’autres activités, à l’exception des établissements de crédits, sociétés de financement ou d’investissement et sociétés de paiement ou de monnaie électronique.
Les intermédiaires peuvent également bénéficier d’un agrément limité d’établissement de paiement, dans ce cas le montant minimum de leur capital social est fixé à 40 000 € et le montant maximum des opérations de paiement est limité à 
3 000 000 € par mois. Ils sont soumis à des conditions de formations et d’expériences professionnelles et à des règles de bonne conduite et d’organisation, telles que : identification précise auprès du public, établissement d’un rapport annuel d’activité, acceptation des conditions générales et mise en garde des prêteurs sur les risques…

Doivent figurer sur le site internet de l’intermédiaire : les conditions et critères d’analyse et de sélection des projets, les taux de défaillances mis à jour trimestriellement, un contrat de prêt type comportant des mentions obligatoires, ainsi que pour chaque projet une notice d’analyse, un plan de financement, les conditions et modalité de prêt.
Les intermédiaires relevant de ce statut, sont supervisés et contrôlés par l’ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), dépendant de la BANQUE DE FRANCE.
Les opérateurs qui proposent exclusivement des opérations de dons n’ont pas l’obligation de se soumettre au statut d’intermédiaire en financement participatif, toutefois, elles peuvent faire le choix de s’y soumettre et dans ce cas ont l’obligation de respecter l’ensemble des règles afférentes à ce statut.

Les dons réalisés aux profits de certains bénéficiaires (associations reconnues d’utilité publique, établissements d’enseignement, certaines associations artistiques… ) peuvent sous certaine conditions, permettre aux donateurs de bénéficier d’une déduction fiscale à hauteur de 65% des sommes versées et dans la limite de 20 % du revenu imposable du donateur.
Les opérateurs peuvent cumuler les deux statuts, à condition de ne pas fournir de service de paiement.
Ces activités doivent faire l’objet d’une immatriculation auprès de l’ORIAS (organisme pour le registre des intermédiaires en assurance), consultable par les internautes et disposer d’une assurance couvrant les conséquences de leur activité professionnelle.

Les perspectives…

Quand la cause est porteuse de sens et de valeurs, les contributeurs répondent présents ! La défiance vis à vis des marchés financiers et la frilosité des banques, ou encore la baisse des aides institutionnelles sont des arguments qui vont dans le sens du crowdfunding. Pour le porteur de projet ou la jeune entreprise qui cherche à lever des fonds, le crowdfunding apparaît ici comme un nouveau mode de financement. alternatif ou accessoire aux banques, aux institutions ou encore au recourt aux business angels, ou autres incubateurs…

L’essor de l’économie locale et collaborative, les nouveaux usages sur les réseaux sociaux sont d’autant plus propices à l’expansion de ce modèle.
Et c’est ici que les enjeux économiques paraissent infinis, le principe même que le crowdfunding ne serait que désintéressé est une utopie. Les contributeurs de cette nouvelle économie veulent participer à leur manière à la nouvelle économie, tout en espérant un retour sur investissement qu’il soit ou non financier.

A horizon 2020, l’industrie mondiale du crowdfunding est estimée à plus de 3200 Milliards de dollars avec la création de plus de 2 millions d’emplois.
La France a posé une 1ère pierre dont les deux innovations les plus marquantes sont :
• La dérogation au monopole bancaire par le biais de prêts rémunérés directement entre particuliers et personnes morales (entreprises, associations).
• Le crowd-equity, qui pourrait être un formidable facilitateur et vecteur de développement économique notamment pour des PME innovantes.

Toutefois des contraintes subsistent, tels que : des statuts pour les crowfunders qui peuvent apparaitre rigides, aux modalités de prises de décisions collectives des investisseurs et de sortie du capital, ou encore à l’absence de dispositif fiscal propre et incitatif, qui pourraient constituer des freins au développement de ces plateformes.
Bien que nouvellement réglementées et proposant des perspectives attrayantes pour les contributeurs, les plateformes de crowdfunding françaises, qu’elles soient généralistes (KissKissBankBank, Ulule…) ou spécialistes (MyMajorCompany…) attirent encore majoritairement de petits porteurs de projet.

Les Mastodontes américains comme KickStarter pour n’en mentionner qu’un, permettent des levées de fonds bien plus importantes et une visibilité sur la toile qui attirent les entreprises françaises. Selon une étude réalisée par SmartAngels.fr, 72% des financements participatifs mondiaux se feraient sur les plateformes américaines, déjà bien présentes en Europe. Par une visibilité mondiale, celles-ci restent une menace pour le marché français qui malgré un grand pas en avant pourrait voir une grosse part du gâteau partir chez les concurrents américains.

La France, n’a pas à rougir, elle est un des 1er pays à fixer un cadre réglementaire, à ainsi sécuriser et rendre plus transparent ce nouveau modèle économique. En rassurant les contributeurs potentiels, elle ouvre des perspectives alléchantes Il reste maintenant aux acteurs économiques français de prendre ce virage et rattraper les leaders mondiaux américains, qui ont bien compris ou se trouvent les enjeux économiques de demain.
Crowdfunders, les règles du jeu sont maintenant posées. A vous de Jouer !
Contributeurs et investisseurs, vous êtes maintenant protégés, ne soyez pas frileux !

Foncez !

Hadrien Debacker, Cabinet Eloquence,
Avocats Associés.
www.eloquence-avocats.com

Et Madame Laura WOELFFLE
Directeur financier

Animateur du site des Experts de l’entreprise