La notion de réception.

Alors que la loi Spinetta va prochainement fêter ses 40 ans, la notion de réception, qui en est issue, reste en perpétuelle évolution.
la jurisprudence est récemment venue préciser, à certains égards, cette notion.

En vertu de l’article 1792-6 du code civil, « la réception est l’acte par lequel le maître de l’ouvrage déclare accepter l’ouvrage avec ou sans réserves. Elle intervient à la demande de la partie la plus diligente, soit à l’amiable, soit à défaut judiciairement. Elle est, en tout état de cause, prononcée contradictoirement ».
C’est l’acte qui met un terme au marché de travaux et constitue le point de départ des garanties légales des constructeurs prévues par les articles 1792 et suivants du code civil.

Or, la jurisprudence est récemment venue préciser, à certains égards, cette notion.

1- L’unicité de la réception.

En principe, la réception est unique et doit intervenir à l’achèvement de tous les travaux même en cas de réalisation de ceux-ci en corps d’état séparés. 

A cet égard, la rédaction de l’article 1792-6 précité prévoit que c’est l’ouvrage, dans son intégralité, qui est réceptionné.

Par conséquent, ce n’est qu’en cas de travaux réalisés par tranches, que plusieurs réceptions seraient envisageables.

Cependant, la réception par lots s’est développée dans la pratique, du fait de la multiplication des intervenants sur les chantiers et la jurisprudence reconnait cette pratique (Civ. 3ème, 19 juin 2012, n°10-27605 et Civ. 3ème, 16 novembre 2010, n°10-10828).

Naturellement, la réception par lots doit être prévue contractuellement pour être valable.

En revanche, dans un arrêt du 2 février 2017 (n°14-19279), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a retenu qu’en « raison du principe d’unicité de la réception, il ne peut y avoir réception partielle à l’intérieur d’un même lot »

Ce faisant, la Cour exclut toute couverture par la garantie décennale lorsque les travaux d’un même lot ne sont que partiellement réceptionnés.

Le maître d’ouvrage n’a dès lors d’autre choix que de tenter de rechercher la responsabilité de l’entreprise sur le terrain contractuel ce qui le contraint à démontrer la faute de l’entreprise et l’enferme dans un délai de 5 ans à compter de l’apparition des désordres.

Au total, le principe d’unicité qui régit la réception a vocation à s’appliquer à l’ensemble de l’ouvrage sauf clauses contractuelles prévoyant une réception par lots séparés mais il implique l’interdiction d’une réception partielle à l’intérieur d’un lot.

Dans la mesure où la réception marque le point de départ des garanties légales, il paraît légitime que l’on puisse accepter des délais distincts selon les lots, mais pas à l’intérieur d’un seul lot.

Cette évolution de la jurisprudence permet, lorsqu’un intervenant a réceptionné son lot, que l’intervention d’autres entreprises successives qui participeraient à la réalisation d’un dommage ne puisse pas être imputable au lot antérieurement réceptionné sans réserve. 

2- La réception tacite.

Depuis 1987, il est admis que l’article 1792-6 du Code civil n’exclut pas la réception tacite. 

La troisième chambre civile de la Cour de cassation a en effet admis la possibilité d’une réception tacite, qui n’était pas prévue par la loi (Civ. 3ème, 16 juillet 1987, n°86-11455, Bull. 1987, n°143), et a, au fur et à mesure de ses décisions, précisé les conditions d’une telle réception.
Cependant, pour établir une réception tacite, il faut que les éléments du dossier démontre une volonté non équivoque du maître d’ouvrage d’accepter l’ouvrage, ce qui résulte notamment de la prise de possession de l’ouvrage après paiement du montant des travaux prévus au marché (Civ. 3ème, 8 novembre 2006, n°04-18145, Bull. 2006, n°218). 

Cependant, la Cour de cassation a reconnu que, dans certaines situations, le maître d’ouvrage n’a pas d’autre choix que d’entrer en possession de l’ouvrage. 

Dans ces hypothèses, elle estimait donc que « la réception suppose la volonté non équivoque du maître de recevoir l’ouvrage que la seule prise de possession ne suffit pas à établir » (Civ. 3ème, 6 mai 2015, n° 13-24947).

Dans une récente décision (Civ. 3ème, 13 juillet 2016, n°15-17208), la Cour de cassation a indiqué comment caractériser la réception tacite malgré les contraintes économiques et les protestations du maître de l’ouvrage.

Elle retient ainsi que : « ne donne pas de base légale à sa décision une cour d’appel qui, après avoir relevé que les maîtres de l’ouvrage avaient pris possession des lieux à une date à laquelle ils avaient réglé la quasi-totalité du marché, retient, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser une volonté non équivoque de ne pas recevoir l’ouvrage, que la réception tacite ne peut pas être constatée ».

En effet, elle a retenu qu’en application de l’article 1792-6, alinéa 1er, du code civil, la réception tacite est caractérisée lorsque le maître d’ouvrage, d’une part, a pris possession des lieux et, d’autre part, s’est acquitté de la quasi-totalité du prix du marché, et ce alors même qu’il aurait émis des protestations, dès lors qu’il n’existe pas de preuve de la volonté du maître d’ouvrage de ne pas recevoir l’ouvrage.

Ce faisant, la Cour semble considérer que certaines protestations émises par le maître d’ouvrage constituent de simples réserves quand d’autres manifestent une réelle volonté de refuser la réception.

A cet égard, il semble important de relever que la Cour de cassation avait récemment jugé à l’inverse en retenant que, malgré la prise de possession et le paiement des travaux, les protestations du maître d’ouvrage pouvaient être exclusives d’une réception tacite (Civ. 3ème, 24 mars 2016, n°15-14830).

Chaque situation doit donc être analysée in concreto, les juges du fond devant « rechercher, dans les éléments de fait, ceux qui caractérisent la manifestation de volonté non équivoque du maître d’accepter l’ouvrage » (Note de la Cour de cassation sur l’arrêt du 13 juillet 2016 précité).

Pour finir, relevons les décisions suivantes :
- le fait qu’une entreprise succède à une autre ne suffit pas à caractériser l’existence d’une réception tacite (Civ. 3ème, 19 mai 2016, n°15-17129).
- la constatation de l’entrée dans les lieux, la prise de possession, n’est pas suffisante à elle seule (Civ. 3ème, 3 mai 1990, n°88-19301, Bull. 1990, n°104) ; 
- la déclaration d’achèvement des travaux n’établit pas la volonté de recevoir (Civ. 3ème, 24 mars 2009, n°08-12663) ; 
- une clause contractuelle ne peut pas prévoir que toute prise de possession avant la rédaction contradictoire du procès-verbal de réception vaut réception tacite et sans réserve (Civ. 3ème, 6 mai 2015, n°13-24947, Bull. 2015, n°41) ; 
- si un maître de l’ouvrage a pris possession de l’ouvrage sans jamais régler le solde des travaux et a manifesté son refus de réceptionner, la cour d’appel peut en déduire l’absence de réception tacite (Civ. 3ème, 12 septembre 2012, n°09-71189, Bull. 2012, n°117) ;
- le paiement des travaux est aussi un indice de la volonté de recevoir (Civ. 3ème, 23 mai 2012, n°11-10502, Bull. 2012, n°76), mais le paiement à lui seul est insuffisant (Civ. 3ème, 30 septembre 1998, n°96-17014, Bull. 1998, n°175) ;
- l’achèvement des travaux n’est pas une condition de la réception tacite (Civ. 3ème, 11 février 1998, n°96-13142, Bull. 1998, n°28).

3- La réception judiciaire.

A défaut d’accord amiable entre le maître d’ouvrage et l’entreprise, la partie la plus diligente peut solliciter du juge qu’il prononce une réception « forcée ».

La réception intervient alors judiciairement et, le plus souvent, après intervention d’un expert donc la mission est de déterminer à quelle date la réception est intervenue.
Dans ce cas, le juge devra prononcer la réception à la date à laquelle l’ouvrage est en état d’être reçu, c’est-à-dire lorsque l’ouvrage à usage d’habitation est habitable (Civ. 3ème, 29 mars 2011, n°10-15824). 

Dans un arrêt récent (Civ. 3ème, 24 novembre 2016, n°15-26090), la Cour de cassation a rappelé qu’en l’absence d’achèvement des travaux et en cas de refus du maître de l’ouvrage de procéder à la réception, et bien que la réception tacite ne puisse pas être caractérisée, la réception judiciaire doit être prononcée dès lors que l’ouvrage est habitable.

Relevons enfin que, par un arrêt du 19 janvier 2017 (n°15-27068), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a considéré, à propos d’un ouvrage autre qu’à usage d’habitation, que le point de départ de la garantie décennale est la date à laquelle l’ouvrage est utilisable et propre à sa fonction.

4- Réception avec réserves.

Il est important, lors de la réception, de noter tous les problèmes visibles.

A défaut, la réserver purge les désordres visibles et interdit donc tout recours au maître d’ouvrage.

Dans un arrêt du 2 février 2017 (n°15-29420), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a jugé :
« Mais attendu qu’ayant relevé que la réception avait été prononcée avec des réserves relatives au ravalement et que le délai de la garantie de parfait achèvement était expiré, la cour d’appel en a exactement déduit que l’obligation de résultat de l’entrepreneur principal persistait, pour les désordres réservés, jusqu’à la levée des réserves et que la demande présentée contre la société S., sur le fondement de l’article 1147 du code civil, devait être accueillie ».

Par ailleurs, la Cour retient que « le sous-traitant est tenu envers l’entrepreneur principal d’une obligation de résultat ».

Ainsi, si les désordres réservés à la réception relèvent de la garantie de parfait achèvement lorsque celle-ci s’achève, le constructeur répond des désordres sur le fondement du droit commun. 

L’entrepreneur principal est alors tenu d’une obligation de résultat qui persiste jusqu’à la levée des réserves, mais il est fondé à appeler en garantie son sous-traitant, lui-même tenu d’une obligation de résultat à son égard.

5- Sur la date de la réception en cas d’auto-construction. 

Il n’est pas exceptionnel que des particuliers décident d’exécuter eux même des travaux de construction.

Dans la mesure où les garanties légales suivent l’ouvrage, il est important de déterminer leur point de départ afin de savoir dans quel délai l’acquéreur pourra, le cas échéant, poursuivre son vendeur.

En effet, le point de départ de la garantie n’est pas la date de la vente, mais bien la date de la réception de l’ouvrage (Civ. 3ème, 7 septembre 2011, n°10-10596, Bull. 2011, n°145).

Cependant, la réalisation d’une réception à proprement parler est impossible puisque, dans cette hypothèse, maitre d’ouvrage et locateur d’ouvrage ne font qu’un.

Pour déterminer la date à laquelle la réception est intervenue, les juges adaptent les critères retenus en matière de réception tacite ou judiciaire : ils déduisent la réception d’un ensemble d’éléments établissant l’achèvement et l’utilisation de l’ouvrage.

Si pour un ouvrage à usage d’habitation, l’habitabilité est un critère retenu par la jurisprudence (voir ci-avant), la question était plus délicate pour un ouvrage autre.

Dans un arrêt du 19 janvier 2017 (n°15-27068), la 3ème Chambre civile de la Cour de cassation a considéré, à propos d’une terrasse, que le point de départ de la garantie décennale est la date à laquelle l’ouvrage est utilisable et propre à sa fonction.

Dans cette décision, la Cour approuve la cour d’appel d’avoir constaté que l’expert s’était basé sur les dates de livraison des toupies de béton, les photographies prises au fur et à mesure de l’avancement de l’ouvrage, ainsi que des attestations témoignant de son utilisation.

C’est donc désormais l’utilisation de l’ouvrage par le maître de l’ouvrage qui permet de déterminer, avec d’autres éléments, son aptitude à sa fonction et, par conséquent, sa réception.

Victoire de Bary
Avocat Associé

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°56.

Victoire de Bary
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