L’obligation de sécurité de l’employeur face aux enjeux des risques psychosociaux.

Les risques psychosociaux (probabilité de survenue de troubles psychosociaux) et les conséquences les troubles psychosociaux (troubles psychiques en lien avec le travail) sont un fléau en pleine expansion [1].
Jean Cocteau faisait dire à son Orphée « A l’impossible je suis tenu » ; cette phrase volontariste et pleine de promesses doit guider les DRH dans leur lutte contre les Risques psychosociaux.

Dans un contexte de baisse de la sinistralité les troubles psychosociaux plus reconnus en Accident du Travail qu’en Maladie Professionnelle (rapport de 1 à 20) représentent en 2016 plus de 10.000 cas (1,6% de l’ensemble des AT pris en charge).
En tenant compte des déclarations d’accidents du travail dont le contenu renvoie à une problématique de risque psychosociaux, sans pour autant faire état de lésions psychiques, il faut ajouter 10.000 cas supplémentaires à ces chiffres.

Le taux de reconnaissance de ces accidents du travail liés à des risques psychosociaux est aujourd’hui de 70%, contre 93% pour les autres types d’accidents.
S’agissant des maladies professionnelles, les troubles psychosociaux sont à l’origine de 1.100 demandes en 2016 (environ 1.500 en 2017), soit plus de 5 fois plus qu’en 2011.
Le taux de reconnaissance de ces pathologies est de 50%, contre 20% pour les maladies "classiques".
Le coût de l’ensemble de ces risques pour la branche risques professionnels est de 230 M€ avec des durées moyennes d’arrêt de travail de 112 jours en AT et 400 jours en MP.
Les trois secteurs les plus concernés par ces problématiques sont : le secteur médico-social (20%), le transport de voyageurs et le commerce de détail. Les problèmes de moyens et de sous-effectifs, ainsi que le contact avec le public, sont indubita- blement des facteurs aggravants.
Les salariés les plus touchés sont majoritairement des femmes (dans près de 60 % des cas) ayant en moyenne 40 ans.

Sur la base de ce constat, l’assurance maladie-risques professionnelles veut multiplier les actions de prévention dans les secteurs les plus à risque. Notamment il s’agit de renforcer la sensibilisation des entreprises ayant un fort absentéisme lié à des RPS par rapport aux autres employeurs du même secteur afin de les inciter à agir.

L‘ardente nécessité de la prévention des RPS a également les faveurs de la plus haute juridiction française. L’obligation de sécurité de résultat, née sous les ors de la Chambre sociale de la Cour de cassation avec les arrêts « amiante » de 2002, a pendant plus d’une décennie fait trembler les praticiens de la gestion des ressources humaines.
Dès lors que le risque se réalise l’Employeur est présumé avoir failli et ce quel que soit le comportement du salarié qui a accepté ou provoqué un risque.
Ce dernier par exemple victime de harcèlement moral peut décrocher plusieurs flèches avec une quasi-certitude de faire mouche : obtenir la résiliation judiciaire de son contrat de travail, prendre acte de la rupture de son contrat aux torts de son Employeur mais également agir en reconnaissance d’abord de sa dépression comme maladie professionnelle puis d’une faute inexcusable.

Le délit de mise en danger d’autrui peut aussi être brandi dans des cas extrêmes.

Le DRH est coupable s’il fait preuve d’inertie face aux méthodes de management qualifiées d’inacceptable de l’encadrement (Cass. Soc. 8 mars 2017 (n°15-24406).
Au nom de l’axiome « Qui ne dit mot consent » son licenciement disciplinaire pour faute sera fondé.

Les temps de la punition expiation s’éloignent toutefois au profit de la sanction pédagogique.

La Cour vraisemblablement sensible aux conséquences disproportionnées et contre productives de cette vision manichéenne de la vie en entreprise a opéré la mue de sa création qui est devenue le 6 décembre 2017 une « obligation de prévention des risques professionnels ».

En contentieux de sécurité sociale la faute inexcusable est reconnue lorsque l’employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. La preuve de cette conscience du danger ou du défaut de mesures appropriées incombe à la victime.

Le salarié est donc à la manœuvre sauf dans deux hypothèses. La faute inexcusable est présumée et donc induite de la seule survenance de lorsque il n’y a pas eu de formation à la sécurité renforcée et que le risque avait été signalé.

« Le savoir, c’est le pouvoir » de Francis Bacon est désormais lu comme le savoir pour le pouvoir.

Le Code du travail ne comporte pas de disposition spécifique sur la prévention des RPS.

L’employeur doit donc s’appuyer sur des réglementations particulières visant la prévention de risques susceptibles d’être source de risques psychosociaux (le bruit, les écrans, les différents modes d’organisation du travail etc.) et en toutes hypothèses inscrire ses actions dans le cadre général de la prévention des risques professionnels, défini à l’article L. 4121-1 du Code du travail.

La responsabilité de l’employeur est triple : identifier et évaluer, prévenir et diminuer, sinon éradiquer les RPS ; à chacun des stades le croisement des données froides (éléments statistiques, chiffrages) avec les données chaudes (interview, ressenti, analyse) doit être la clé de voute de la démarche de l’Employeur.

Il ne devra pas hésiter au nom du pragmatisme à adopter des démarches de prévention spécifiques, par exemple au harcèlement moral. Il s’aidera sur cette problématique de l’ANI du 26 mars 2010 sur le harcèlement et la violence au travail.
Ce texte prévoit la mise en place de certaines procédures afin d’identifier et de gérer ces phénomènes (par exemple la mise en place d’une alerte, d’un « référent harcèlement », ou encore d’une médiation etc.)

Mais au-delà l’Employeur doit aussi et surtout s’intéresser à la diversité du corps social professionnel.

En effet la multiplicité des conditions de travail rend l’appréhension des RPS complexe et donc les attentes plurielles.
A ce titre il convient de garder à l’esprit que les troubles musculo- squelettiques (TMS) représentent de manière écrasante (en 2015 87 % des maladies professionnelles reconnues par le régime général avec 44 349 cas) la première cause de maladies professionnelles indemnisées.

Les TMS se situent au 2e rang des causes médicales de mise en invalidité, après les affections psychiatriques et au premier rang des causes de mise en invalidité de première catégorie (invalides « capables d’exercer une activité rémunérée »).

A l’instar d’un delta, dans l’entreprise les facteurs de risque se divisent en plusieurs bras biomécaniques et /ou psychosociaux sachant que le questionnement sur le ressenti qui rendrait les RPS plus difficiles à traiter ne doit pas occulter la valeur inégalée des boîtes à outils à disposition des DRH.

Ainsi, l’ANI du 2 juillet 2008 sur le stress au travail dresse une liste d’exemples de « signes pouvant révéler la présence de stress au travail ».
Il s’agit notamment :
- d’un turn-over important ;
- d’un taux de fréquence des accidents du travail élevé ;
- d’une augmentation significative des visites spontanées au service médical ;
- d’un niveau élevé d’absentéisme notamment de courte durée.

Il est à cet égard symptomatique que l’un des leaders français du contrôle médical Medicat Partner propose son expertise en maîtrise de l’absentéisme avec comme objectif affiché le retour en entreprise des salariés absents pour maladie.

Les acteurs internes et externes de la prévention dans l’entreprise sont donc nombreux et la mise en œuvre d’une politique d’évaluation et de prévention des RPS nécessite leur mobilisation ainsi qu’une action coordonnée.

Le nouveau comité social et économique (CSE) est à ce titre l’antonomase de la prévention dans l’entreprise ; instance généraliste et stratégique il se déploie grâce au dytique Responsables de proximité à l’écoute du terrain et Commission santé, sécurité et conditions de travail (SSCT) source d’analyse et d’expertise technique.

Enfin et au centre des préoccupations de chacun, l’intelligence artificielle qui révolutionne les distances et la temporalité doit être un outil d’aide à la décision pour améliorer la santé et la sécurité au travail et non une fin en soi qui verrait l’Homme sacrifié sur le terrain de la productivité.

Il s’agit en définitive pour les DRH d’inscrire leur démarche dans la nouvelle Ere inaugurée par le troisième Plan Santé au Travail 2016/2020 : « À rebours d’une vision centrée sur la réparation et donc d’un travail avant tout potentiellement pathogène, le PST remet le travail au centre des préoccu- pations et la culture de prévention au cœur de toutes les actions.(…) Mettre en œuvre une démarche de préven- tion, ce n’est pas seulement prévenir les risques mais, plus en amont encore de la survenance des accidents ou maladies, concevoir de manière plus ambitieuse un travail qui prenne en compte les enjeux de santé. »

Patricia Gomez-Talimi, Docteur en Droit,
Chevalier de la Légion d’honneur,
Conseiller Prud’homal,
Présidente d’audience Juge-assesseur au Tribunal des affaires de sécurité sociale.

Article initialement publié dans le Journal du Management Juridique n°62.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Sources : Santé travail : Enjeux et actions 2018 affections psychiques travail de l’Assurance maladie janvier 2018