Entraide familiale : Attention à la requalification en travail dissimulé.

Il n’est pas rare qu’un employeur fasse appel à un membre de sa famille pour venir lui apporter de l’aide au sein de son entreprise. Si cette aide occasionnelle échappe normalement à l’appréhension du droit du travail, elle peut toutefois être requalifiée en situation de travail dissimulé si elle excède le cadre de l’entraide familiale, pour être assimilable à une véritable relation de salariat. D’où l’importance, pour tout employeur, de savoir dessiner au mieux les contours de la notion d’entraide familiale.

Par Elodie Nesa

Pour commencer, qu’est-ce que l’entraide familiale ?

La lettre circulaire n°2003-121 du 24 juillet 2003 de l’ACCOSS (Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale) définit l’entraide familiale comme étant « une aide ou une assistance apportée à une personne proche de manière occasionnelle et spontanée, en dehors de toute rémunération et de toute contrainte ».

Selon cette définition, l’entraide familiale est une aide bénévole, ponctuelle, trouvant sa source dans l’obligation naturelle d’assistance.

A l’opposé, l’existence d’une situation de salariat, et donc d’un contrat de travail, nécessite la réunion de trois critères dégagés par la jurisprudence, à savoir :
- Une prestation de travail ;
- Une rémunération, qu’elle soit versée en argent ou en nature ;
- Un lien de subordination, caractérisé par « l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné » [1].

Qui peut être concerné par une situation d’entraide familiale ?

La lettre circulaire de l’ACOSS n’envisage l’entraide familiale qu’entre parents du 1er degré. Peuvent ainsi en bénéficier :
- Les ascendants (père/mère) et descendants (fils/fille) directs travaillant l’un pour l’autre ;
- Les collatéraux directs (frère/sœur) travaillant l’un pour l’autre ;
- Les conjoints, sous réserve d’adoption d’un des trois statuts particuliers.

Sur ce dernier point, la loi n°2005-882 du 2 août 2005 impose au conjoint travaillant dans l’entreprise de son époux d’opter pour l’un des trois statuts suivants : conjoint associé, conjoint collaborateur ou conjoint salarié. L’entraide familiale ne peut donc être retenue que si le conjoint apporte son aide sans avoir choisi un de ces statuts au préalable.

Par ailleurs, la jurisprudence a pris soin d’étendre le champ d’application de cette notion aux parents collatéraux, comme les neveux et nièces.

A noter : Le statut particulier des époux.

La reconnaissance de l’entraide familiale est plus facilement admise lorsqu’elle intervient entre deux conjoints. En effet, l’entraide peut alors trouver comme fondement légal les articles 212 et suivants du Code civil, qui prévoient un devoir d’assistance et de secours entre époux, ainsi qu’une contribution aux charges du mariage.

Comment distinguer l’entraide familiale d’une relation de salariat ?

Tout d’abord, la caractérisation de l’entraide familiale exige une aide occasionnelle, par opposition à la prestation de travail durable exercée dans le cadre d’un contrat de travail.

Ensuite, l’aide apportée doit être spontanée, ce qui signifie qu’elle ne doit pas impliquer la mise en place d’une véritable organisation au sein de l’activité de l’entreprise. En ce sens, le travail effectué par le membre de la famille ne doit, en aucun cas, correspondre à un poste indispensable au fonctionnement normal de l’entreprise.

De plus, cette aide ne doit pas donner lieu à l’attribution d’une rémunération.

Enfin, l’entraide suppose l’indépendance de la personne qui apporte son aide à l’entreprise familiale. Les membres de la famille sont placés sur un pied d’égalité, en dehors de tout rapport hiérarchique ou de subordination.

Le plus souvent, l’entraide familiale se différencie d’une relation de salariat par l’absence de tout lien de subordination, et donc par l’absence de tout pouvoir de contrôle et de sanction [2].

Quels risques peuvent découler d’une situation d’entraide familiale ?

Au regard de ces éléments précités, il appartient aux juges de déterminer dans quel cas il s’agit d’une simple entraide familiale, ou d’une relation de salariat. A cette fin, ils utilisent la technique du faisceau d’indices, notamment en évaluant l’importance de la tâche accomplie et/ou sa régularité.

L’employeur qui entend se prévaloir d’une entraide familiale doit donc prendre garde à ce que cette aide ne dépasse pas le stade de l’obligation naturelle, sous peine de se voir reconnaître coupable de travail dissimulé.

Ce risque de requalification découle le plus souvent :
- Soit, d’un contrôle initié par l’URSSAF au sein de l’entreprise. En effet, l’URSSAF fait de la lutte contre le travail dissimulé l’une de ses principales missions ;
- Soit, d’une volonté de la personne qui a effectué le travail de rechercher la reconnaissance d’un véritable contrat de travail.

Dans ces deux hypothèses, l’employeur devra se défendre en démontrant que l’aide apportée par le membre de sa famille répond à la définition de l’entraide familiale. Si tel n’est pas le cas ou si l’employeur n’est pas en mesure de rapporter cette preuve, il s’expose à une condamnation pour travail dissimulé.

Quelles sanctions encourt l’employeur en cas de condamnation pour travail dissimulé ?

L’article L. 8221-1 du Code du travail interdit le travail totalement ou partiellement dissimulé ». Plus précisément, l’article L. 8221-5 du Code du travail vise l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié.

L’employeur reconnu coupable de travail dissimulé s’expose à de nombreuses sanctions, qu’elles soient pénales, administratives, ou relatives au paiement des cotisations et contributions sociales :
- Sur le plan pénal, l’article L. 8224-1 du Code du travail prévoit que la personne ayant eu recours au travail dissimulé, directement ou par personne interposée, encourt jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende ;
- S’agissant des sanctions administratives, l’employeur encourt notamment la suppression d’aides publiques [3], le remboursement d’aides publiques déjà perçues [4], l’exclusion de contrats publics, voire la fermeture administrative provisoire de son entreprise [5] ;
- En ce qui concerne le paiement des cotisations et contributions sociales, l’employeur fait l’objet d’une régularisation, évaluée « au réel », sur la base des éléments obtenus par investigations menées par l’inspecteur de l’URSSAF.

Plus précisément, sur le paiement des cotisations et contributions sociales.

Bien souvent, la régularisation « au réel » est impossible à mettre en œuvre, en raison d’un défaut d’éléments probants permettant d’établir le montant exact des rémunérations dissimulées. Alors, l’URSSAF procède à une taxation forfaitaire, établie à partir des conventions collectives en vigueur, ou encore des salaires pratiqués dans la profession.

Aussi, en cas de transmission au Procureur de la République d’un Procès-verbal constatant une situation de travail dissimulé, et en l’absence d’éléments permettant de connaître la durée réelle d’emploi et le montant des rémunérations versées, l’URSSAF applique un redressement forfaitaire. Ce redressement est prévu à l’article L242-1-2 du Code de la Sécurité sociale.

Enfin, l’employeur s’expose à l’annulation de certaines mesures de réduction ou d’exonération, totale ou partielle, de cotisations et contributions sociales, dans les conditions fixées à l’article L133-4-2 du Code de la Sécurité sociale.

En conclusion…

L’entraide familiale est très répandue au sein des petites entreprises, surtout si elles sont en cours de création ou empreintes d’un caractère familial. Pour autant, tout employeur doit prendre conscience de la limite existante entre cette aide et la relation de salariat. Si une telle aide a vocation à contribuer au développement économique d’une entreprise, il serait regrettable qu’elle procure l’effet inverse en cas de condamnation de l’employeur pour travail dissimulé.

Quelques jurisprudences…

Excède l’entraide familiale et le devoir de secours entre époux, l’aide apportée de façon durable et permanente, par une épouse, à l’entreprise de restauration de son conjoint, durant deux à quatre heures par jour [6].

Relève de la relation de salariat l’aide apportée par une fille à l’entreprise de sa mère, dans les mêmes conditions que l’activité salariée précédemment exercée [7].

Relève de l’entraide familiale, l’aide apportée par un père qui, après avoir fait donation de son salon de coiffure à son fils, continue d’y travailler selon un horaire réduit, en contrepartie d’un salaire très minime sans rapport avec sa qualification professionnelle [8].

De même que l’aide apportée par un père, qui s’occupe du ménage et du marché de sa fille selon ses directives, sans qu’il soit déterminé que cette aide sorte du cadre des obligations légales d’aliment et d’assistance [9].

Constitue aussi une entraide familiale, l’aide apportée par deux époux retraités, et anciens salariés d’une société familiale, s’il n’est pas établi l’existence d’une rémunération versée en contrepartie de leur travail, ni l’existence d’ordres et de directives de nature à caractériser un lien de subordination [10].

Elodie Nesa,
Élève-avocat,
Droit du travail/Droit de la sécurité sociale.

NDLR : Article initialement publier sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Cass. Soc. 13 novembre 1996, pourvoi n° 94-13.187

[2Cass. Soc. 24 octobre 2018, pourvoi n°17-21.141

[3articles D. 8272-3 et D. 8272-4 du Code du travail

[4articles D. 8272-5 et D. 8272-6 du Code du travail

[5articles L. 8272-4, R. 8272-10 et R. 8272-11 du Code du travail

[6Cass. Crim. 22 octobre 2002, pourvoi n°02-81.859.

[7Cass. Soc. 17 mars 1994, pourvoi n°91-16.463.

[8Cass. Soc. 21 janvier 1972, pourvoi n°70-13.060.

[9Cass. Soc. 15 mars 1973, pourvoi n°71-13.262.

[10Cass. 2ème civ., 3 février 2011, pourvoi n°10-12.219.