Création de sites internet et applications : obligations contractuelles du prestataire et du client.

A l’heure du plein essor des nouvelles technologies et du e-commerce, la création d’un site internet ou d’une application mobile est devenue indispensable pour la quasi-majorité des entreprises.
Certaines sociétés ont d’ailleurs un modèle économique qui repose essentiellement par l’exploitation de leur site internet ou de leur application, ce qui entraîne de facto, une dépendance de leur valorisation à la qualité et à la sécurisation de ces actifs immatériels.
Nous le rappelons régulièrement, le choix du prestataire de développement informatique est crucial pour ces sociétés, que ce soit lors de la création du site internet ou de l’application mais aussi en cours d’utilisation.

Par Camille Cimenta.

Ainsi, Jean-Charles Kurdarli, co-fondateur de la start-up Fetch, témoignait en juillet 2018 que le choix d’un « partenaire low-cost » avait été une grave erreur qui avait mené la société dans une situation économique difficile.

Les contentieux entre clients et prestataires se multiplient et la jurisprudence commence à être étoffée en la matière.

Ainsi, il nous parait essentiel de rappeler les obligations principales tant à la charge du prestataire que du client.

1. La qualification juridique du contrat de développement d’un site internet ou d’une application.

Il s’agit d’un contrat d’entreprise plus communément appelé contrat de prestations de services.

Un contrat doit être qualifié d’entreprise lorsqu’une partie offre, à titre principal, à son cocontractant un service réalisé par elle-même ou son propre personnel qui reste placé sous sa direction et sous sa responsabilité.

L’exécution de la tâche visée au contrat doit constituer l’obligation essentielle du contrat ; c’est le cas lorsque celui-ci comporte à la fois une prestation de services et la fourniture d’un bien dès lors que cette prestation est plus importante que la fourniture, ou qu’elle a pour objet un travail spécifique répondant à des besoins particuliers exprimés par le donneur d’ordre devant caractériser la spécificité du travail demandé.

2. Les obligations principales à la charge du prestataire.

Le devoir de conseil.

Le prestataire est tenu d’une obligation générale de conseil. Il doit mettre en garde et informer le client.

Dans le cas d’un client profane en la matière, la jurisprudence a tendance à étendre le champs d’application du devoir de conseil du prestataire.

Le prestataire a l’obligation de recueillir auprès du client, toutes les informations qui sont nécessaires pour la bonne réalisation de la prestation. Cette obligation est naturellement renforcée dès lors que le client n’est pas un professionnel de l’informatique [1].

Par exemple, la jurisprudence a déjà jugé que le prestataire est tenu notamment :
– De mettre en garde le client sur les choix qu’il serait amené à faire [2] ;
– De lui prescrire des logiciels adaptés et une formation adéquate [3] ;
– D’évaluer les besoins réels auxquels le client doit satisfaire pour éviter de lui proposer un équipement insuffisant ou trop puissant et inutilement coûteux [4].

L’obligation de délivrance conforme.

Le prestataire doit livrer la prestation commandée par le client en conformité avec le cahier des charges.

Pour cela, le prestataire doit préalablement avoir suffisamment analysé le projet et formalisé les spécifications nécessaires à la compréhension de celui-ci. Il doit également imposer une méthode de travail en début de projet, afin d’organiser la collaboration avec le client [5].

S’agissant de produits informatiques complexes, la jurisprudence impose une obligation de délivrance renforcée à la charge du prestataire. Elle considère que l’obligation de délivrance de produits complexes n’est pleinement exécutée qu’une fois réalisée la mise au point effective de la chose vendue [6].

Ainsi, s’il a conseillé le client dans le choix de la solution commandée, le prestataire est aussi tenu de surveiller le bon déroulement de l’installation technique chez son client [7].

Le prestataire manque à son obligation de délivrance s’il omet de s’assurer de la mise au point du matériel et de sa conformité avec le réseau informatique du client [8].

En pratique, le prestataire devra non seulement fournir une solution (site internet ou application) conforme avec les spécifications techniques commandées par le client, mais également assurer son effectivité chez celui-ci. Le site internet ou l’application livré doit donc être fonctionnelle. A défaut, le prestataire engagera sa responsabilité contractuelle pour défaut de délivrance conforme.

Peu importe que le client ait signé un procès-verbal de réception de la solution sans émettre de réserves, si celui-ci constate et informe le prestataire de dysfonctionnement après son installation [9].

3. Les obligations à la charge du client.

Le client est tenu d’acquitter le montant des prestations fournies dès lors que ces dernières sont exécutées correctement.

Le client, considéré comme un maître d’ouvrage, doit exécuter en toute bonne foi la convention en collaborant, de manière loyale et confiante, à la mission du prestataire [10].

Il est ainsi tenu de collaborer à la définition de ses besoins, au choix d’un matériel adapté, à l’élaboration et à la mise en place du système informatique [11].

En matière de contrats informatiques, surtout s’ils sont complexes, les juges mettent à la charge du client une obligation générale de collaborer avec le prestataire choisi.

Ainsi, la jurisprudence vient de rappeler que le client qui demande la création ou la refonte d’un site internet doit fournir les informations nécessaires au prestataire, même si le contrat ne le prévoit pas.

La chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle en effet, qu’en dépit de l’absence de signature des conditions générales de vente dans lesquelles était stipulée une obligation de collaboration à la charge du client, la conception ou la refonte d’un site internet exige la participation active de celui-ci. Le client est donc tenu de fournir au prestataire les informations sans lesquelles il ne peut pas mener à bien sa mission, ce dont il résulte que cette collaboration fait nécessairement partie du périmètre contractuel [12].

Cette décision est parfaitement conforme avec la jurisprudence antérieure :

Une entreprise ayant commandé un CRM pour gérer son activité, a été déclarée pour moitié responsable de l’échec de l’installation du module, dès lors qu’elle n’avait pas informé le prestataire de ses spécificités de fonctionnement ni exprimé clairement ses besoins [13].

De même, il a pu être reproché à une entreprise qui avait conclu plusieurs contrats avec un prestataire pour renouveler ses sites internet professionnels et grand public de ne lui avoir fourni aucun cahier des charges ni, une fois le premier site opérationnel, transmis les logos et codes couleur nécessaires pour sa duplication pour l’autre site [14].

Enfin, il appartient au client, même non professionnel de l’informatique, de se renseigner préalablement sur le marché et de mettre les prestataires en concurrence, afin de choisir un prestataire qui apparaît adapté à la prestation qu’il souhaite faire développer.

Ainsi dans le cas d’une résolution judiciaire d’un contrat de développement d’une application aux torts du prestataire, les juges ont déjà pu prendre en considération le fait que le client avait fait le choix de prendre un risque important en retenant un prestataire qui proposait un prix pour ses prestations cinq fois moins élevé environ que celui de ses concurrents, afin de limiter l’indemnisation de son préjudice économique [15].

Conclusion.

Le client doit veiller non seulement à faire le bon choix quant au prestataire choisi pour développer son site internet ou son application, mais aussi à assurer son étroite collaboration avec celui-ci, afin de mener le projet à bien, sous peine de n’avoir aucun recours en cas de défaillance du prestataire, voire d’engager sa responsabilité contractuelle.

Camille Cimenta,
Avocat associé.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.


Notes

[1Cass. com. 20-6-2018 n° 17-14.742 F-D : RJDA 11/18 n° 819.

[2CA Paris 2-11-1981 : Expertises 1982 n° 36-13.

[3CA Paris 24-1-1989 : D. 1989.IR.68 ; CA Orléans 11-1-1995 : JCP G 1995.IV.1217.

[4CA Paris 6-3-1981 : Expertise 1981 n° 28-14.

[5TI Bordeaux, 21-11-2016.

[6Cass.com. 26 -11-2013, 12-25.191, Inédit.

[7Cass. com. 3-5-1995 : RJDA 12/95 n° 1353.

[8Cass. com. 31-1-2018 n° 16-16.634 F-D : RJDA 5/18 n° 410.

[9Cass.com. 26 -11-2013, 12-25.191, Inédit.

[10CA Paris 10-7-1980 : Expertises 1980 n° 22-3.

[11CA Paris 7-5-1986 : GP 1987.som.24.

[12Cass. com. 5-6-2019 n° 17-26.360 F-D.

[13Cass. com. 10-1-2018.

[14CA Aix-en-Provence 5-10-2017 no 2017/296.

[15TI Bordeaux, 21-11-2016.