Création de NFTs : faut-il constituer une société ?

Les NFTs (Non-Fongibles Tokens) sont le plus souvent des jetons représentatifs d’une œuvre d’art qui ont vocation à être déployés sur une Blockchain (Ethereum, Polygon, Solana, Klaytn, Elrond…). Les NFTs d’un même projet sont regroupés au sein d’une "collection". Ils présentent des finalités diverses. Celles-ci vont de l’intérêt purement spéculatif à l’octroi de contreparties dans le monde réel et/ou dans un Metaverse.

Un NFT peut être acquis en l’échange de crypto-monnaies. Si les NFTs sont connus pour des collections comme "CryptoPunks" ou "BoredApeYachtClub", de nouvelles collections mobilisent quotidiennement des centaines de milliers d’euros. Face à cela, les créateurs ou futurs créateurs de collections se retrouvent souvent dans le flou juridique et fiscal. La plupart de leurs interrogations peuvent être centralisées au sein d’une seule et même question : doivent-ils constituer une société, et si oui à quel stade de développement du projet ?

I. Ne pas constituer une société et se limiter a la rédaction de contrats ?

La vente de NFTs s’effectue en deux phases :
- Les ventes initiales qui sont effectuées par l’équipe créatrice. Celle-ci touchera donc 100% des bénéfices tirés de ces ventes. C’est ce qu’on appelle le "Mint" ;
- Les reventes successives qui octroieront des "royalties" à l’équipe créatrice et qui sont généralement comprises entre 5% et 10% du prix des reventes.
 
Il peut être compréhensible qu’une équipe développant un projet NFT ne désire pas se lancer dans la création d’une société à un stade où elle ne sait pas si sa collection sera ou non " sold out ", c’est à dire intégralement vendue. Il paraît cependant pertinent que a minima, soit prévue la rédaction d’un ou plusieurs contrats afin de protéger les porteurs du projet NFT.

Il pourra ainsi par exemple s’agir d’un contrat de collaboration entre un artiste et un développeur blockchain (avec ou sans cession de droits d’auteurs), d’un contrat de cession des droits d’un artiste au profit d’un porteur de projet NFT, de contrats de prestations de services entre une équipe ne comportant pas de développeurs et un développeur etc

Mais attention, la question de la cession des droits patrimoniaux d’un artiste n’est pas simple car les NFTs ne semblent pouvoir, en l’état du droit, recevoir la qualification d’œuvres d’art. Pourtant, est-on bien certain qu’aucune intervention législative ne viendra jamais conférer le statut d’œuvres d’art aux NFTs ? Face à une telle éventualité, il sera nécessaire d’anticiper au sein du contrat cette éventuelle évolution du droit. La rédaction d’avenants réguliers sera également possible, d’autant plus que le droit de la propriété intellectuelle interdit la cession d’œuvres futures.

II. Constituer une société afin de faciliter la détention des droits de propriété intellectuelle par toute l’équipe ?

Même si on considère que les NFTs ne sont et ne seront jamais des œuvres d’art au sens du droit (ce qui reste difficile à affirmer de façon certaine), l’équipe émettrice des NFTs peut trouver un intérêt à détenir les droits patrimoniaux des œuvres qui donneront par la suite naissance à des NFTs.

En effet, elle peut prévoir d’exploiter commercialement les visuels des NFTs sous diverses formes si la collection devient célèbre. Elle peut également, comme cela a déjà été fait par certaines collections, choisir de céder les droits patrimoniaux des œuvres originelles aux différents acquéreurs des NFTs de leur collection, et ce afin de favoriser l’engouement autour de cette dernière.

Il est généralement prévu dans le smart contract, ou du moins cela devrait a minima l’être, que ces droits patrimoniaux se transmettront de façon automatique à chaque fois que les NFTs seront cédés. Le smart contract est un programme informatique qui permet l’exécution automatique d’événements, d’actions, de décisions… si les conditions d’exécution qu’il prévoit sont remplies (une autre étude devrait toutefois se questionner sur la possibilité d’assimiler un smart contract à un véritable contrat).

Mais si l’équipe émettrice de NFTs peut disposer d’un intérêt à détenir les droits patrimoniaux des œuvres, la situation se complique en l’absence de société qui réunirait l’artiste et les autres membres de l’équipe. En effet, l’article L131-1 du Code de propriété intellectuelle dispose que « la cession globale des œuvres futures est nulle ».

En l’absence de société unissant l’artiste et les autres membres de l’équipe, la cession des droits sur les œuvres devra donc intervenir une fois tous les futurs NFTs créés. Dans le cas contraire, des avenants au contrat initial de cession des droits de l’artiste devront être prévus.

A l’inverse, en cas de création de société, les œuvres pourraient être considérées comme des œuvres collectives au sens de l’article L113-2 alinéa 3 du Code de propriété intellectuelle :

« Est dite collective l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

Les droits attachés aux œuvres collectives seraient alors détenus par la société en tant que personne morale et non par l’artiste seul dès lors que l’article L113-5 du Code de propriété intellectuelle dispose que

« l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée [et que] cette personne est investie des droits de l’auteur ».

III. Constituer une société pour encadrer les droits et obligations des associés ?

En particulier en matière de création d’une collection de NFTs, officialiser la collaboration entre les différents membres de l’équipe (artiste, développeur blockchain, communicant etc…) au travers de la constitution d’une société peut se montrer pertinent. En effet, les crypto-monnaies récoltées suite à une vente publique (Mint) le sont la plupart du temps sur un seul et unique portefeuille électronique, un seul "Wallet" (Metamask, Phantom…). Le risque de trahison ou de divergences d’opinions n’est pas nul.

La constitution de société et la rédaction d’un pacte d’associés permettent d’encadrer le fonctionnement de la société ainsi que de déterminer les obligations qui vont régir les rapports entre associés. De cette façon, le portefeuille électronique récepteur des crypto-fonds tirés de la vente initiale (Mint) et/ou des royalties (perçus sur les reventes successives) sera identifié avant la date du Mint. Aucun transfert de crypto-fonds ne pourra être effectué sans le respect des conditions qui auront été fixées dans le pacte d’associés.

Le pacte d’associés pourra aussi par exemple permettre de prévoir à l’avance comment devront être gérées les crypto-monnaies récoltées, évitant ainsi tout conflit une fois la collection "sold out", c’est à dire une fois entièrement vendue par les créateurs.

IV. Constituer une société pour se protéger des revendications des acheteurs ?

 
La constitution d’une société permet la création d’une entité juridique nouvelle : une personne morale. Celle-ci disposera d’un patrimoine propre mais aura aussi des responsabilités propres. Cela permettra de protéger le patrimoine personnel des personnes qui composeront cette société.

Bien qu’il soit rare de trouver des Conditions Générales de Vente (CGV) sur les sites des créateurs de collection de NFTs, leur rédaction permettra de renforcer la protection de la société. En achetant les NFTs, le public consentira aux termes des CGV. Il est cependant indispensable de ne pas se limiter à la rédaction de CGV classiques. Elles devront impérativement présenter des mentions relatives à la blockchain, aux NFTs, aux portefeuilles électroniques (Wallets), aux frais de transaction (gas fees), aux éventuelles erreurs de transaction etc

Prévoir la rédaction de CGV sera d’autant plus pertinent si l’objectif est de constituer un projet à long terme et que les profits tirés de la vente d’une collection sont une forme de levée de fonds, un tremplin vers de nouveaux projets.

V. Constituer une société pour optimiser la fiscalité applicable ?

 

Les règles de fiscalité ne sont en effet pas les mêmes pour un particulier et pour une société.

A) La Flat tax.

Le particulier est imposé selon les règles de la désormais célèbre “flat tax” (30%) s’il réalise une plus-value. Une plus-value suppose un achat et une revente. La Flat tax concerne donc les particuliers qui font de l’achat-revente de NFTs, et non pas les particuliers qui créent des NFTs. De plus, la Flat tax s’applique uniquement si l’activité de trading de NFTs est réalisée à titre occasionnel.

Si elle dépasse le cadre occasionnel, le particulier sera imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu, dans la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC). Le particulier aura aussi dans ce cas la possibilité de créer une micro-entreprise (micro-BIC) afin de bénéficier d’une fiscalité plus avantageuse. A ce stade, il s’agit cependant d’une entreprise individuelle, donc composée d’une seule personne, et non d’une société regroupant une équipe entière.

B) Les créateurs de NFTs particuliers.

Les créateurs de collections de NFTs émettent/vendent des NFTs sans les avoir acheté préalablement. Les particuliers créateurs de NFTs ne réalisent donc pas de plus-value au sens fiscal du terme et ne peuvent donc être soumis à la Flat tax. Tout comme les particuliers effectuant du trading de NFTs à titre habituel, les créateurs particuliers seront :
- Soit imposés au barème progressif de l’impôt sur le revenu (IR), dans la catégorie des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) ;
- Soit imposés selon la fiscalité applicable en matière de micro-entreprise en fonction de l’option choisie par eux (barème progressif de l’impôt sur le revenu ou prélèvement forfaitaire libératoire).

Si l’équipe créatrice de NFTs ne constituent pas une société avant la vente publique (Mint), chaque membre de l’équipe sera imposé selon les règles qui viennent d’être évoquées.

C) Les créateurs de NFTs réunis au sein d’une société.

Le régime d’imposition applicable ne sera là non plus pas celui de la Flat tax. La plupart des sociétés sont imposées selon les règles de l’impôt sur les sociétés (IS). Mais il peut arriver que certaines sociétés (comme les SARL de famille) soient imposées à l’impôt sur le revenu (IR).

Si la société est à l’IS, les bénéfices tirés du Mint seront donc imposés selon les règles de l’impôt sur les sociétés si la société a été constituée avant la date de la vente publique (Mint). Cela peut être intéressant dans la mesure où le bénéfice imposable est obtenu après avoir soustrait du chiffre d’affaires notamment les rémunérations et charges sociales qui y sont afférentes ainsi que les charges déductibles liées à l’activité de la société.

Jonathan Pouget, Avocat,
Barreau d’Aix-en-Provence.

Article initialement publié sur Le Village de la Justice.

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.