Commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises : interview de Corinne Lefranc.

Alors que depuis plusieurs mois le secteur entrepreneurial et économique français fait face à des difficultés financières et de développement, il semble intéressant de mettre en lumière une fonction peu connue des dirigeants d’entreprise celle de Commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises.
La rédaction des Experts de l’entreprise vous propose l’interview de Corinne Lefranc, Commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises pour la région Ile-de-France.

Corinne Lefranc, quelles sont vos missions en tant que Commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises ?

« Les commissaires aux restructurations et à la prévention (CRP) des difficultés des entreprises sont nommés par le ministre de l’Economie et des Finances sur proposition des Préfets de région. Il y a au moins un commissaire par région , rattaché au Préfet et qui s’appuie sur les équipes des directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE).

Dans le cadre de la réorganisation territoriale de l’Etat, il a été décidé de conserver au niveau de l’Etat la mission d’accompagnement des entreprises en difficulté (circulaire du 12 juin 2019 relative à la mise en œuvre de la réforme de l’organisation territoriale de l’Etat). Dans chaque région, un CRP a donc été désigné et peut être joint facilement.

Le CRP est à la disposition des chefs d’entreprise et des administrateurs judiciaires dans le cadre d’une procédure amiable, pour les aider à trouver une solution aux difficultés de financement. Le travail débute par une analyse de la situation financière de l’entreprise (plan de trésorerie sur l’année, état des dettes, relations avec les banques et actionnaires, etc.) mais aussi par celle du plan d’affaires de l’entreprise. Dans toutes les hypothèses, c’est la stratégie définie par le chef d’entreprise qui permettra de construire les solutions d’avenir. Le CRP ne fait que l’aider à redéfinir ou préciser sa stratégie afin de pouvoir la porter auprès de ses financeurs avec pertinence. Les missions du CRP sont donc schématiquement de deux ordres : l’nalyse de la situation, et l’accompagnement dans la recherche de solutions, notamment par la coordination de l’action des acteurs publics.

En Île-de-France, le CRP s’appuie sur une équipe de 5 personnes en charge du suivi des mutations économiques, qui peuvent rencontrer les chefs d’entreprise et les orienter vers les dispositifs pertinents. L’équipe est rattachée à la DIRECCTE.

Il est important de préciser que toutes les informations données au CRP sont confidentielles. La première règle de fonctionnement du commissaire est de travailler en toute transparence avec le chef d’entreprise et son administrateur judiciaire mais de ne jamais dévoiler une information que l’entreprise ne souhaite pas rendre publique. J’insiste sur ce point, car les chefs d’entreprise, trop souvent, saisissent tardivement le CRP ou les différents organismes qui sont à leur disposition pour les aider. Or, l’action du CRP est gratuite et confidentielle. Elle peut permettre au chef d’entreprise de faire un point de stratégie et de réfléchir en amont aux différents leviers utilisables. »

Quelles actions concrètes menez-vous auprès des entreprises que vous accompagnez ? 

Le travail du commissaire commence toujours par un entretien avec le chef d’entreprise, sur la base de documents financiers et comptables (prévisionnel de trésorerie, plan d’affaires à trois ans, dernier compte de résultat et dernier bilan). Il s’agit dans un premier temps d’établir un diagnostic partagé.

Les interventions varient ensuite en fonction des problèmes rencontrés : négociation bancaire, prise de contact avec les créanciers publics pour l’obtention d’un moratoire sur les dettes publiques, recommandations pour l’utilisation d’un outil de financement sur le marché (affacturage, crédit bailleur, recours à des spécialistes du financement du stock ou des équipements professionnels, etc.), orientation vers la Banque de France pour une médiation du crédit ou un contact avec le correspondant TPE, orientation vers la médiation des entreprises qui propose un service rapide, gratuit et confidentiel de résolution amiable des différends, qu’il s’agisse d’un litige entre entreprises (de la TPE au grand groupe) ou d’un litige entre une entreprise et une entité publique.

Les dossiers peuvent également être évoqués au sein des comités départementaux d’examen des problèmes de financement des entreprises (CODEFI), présidés par les Préfets de département et réunissant le CRP, la direction départementale des finances publiques, l’URSSAF, la Banque de France, la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation du travail et de l’emploi. Ce comité permet une évaluation de la situation avec des regards croisés.

Le CRP est un facilitateur, un ensemblier de solutions devant permettre au chef d’entreprise de mettre en œuvre son plan de redressement. Le CRP peut proposer des solutions, il peut coordonner l’action des administrations publiques, mais le redressement d’une entité économique résulte de l’action du chef d’entreprise et de son équipe. Le CRP ne fait que veiller à ce qu’un cadre favorable à la poursuite d’activité se mette en place.

Constatez-vous des tendances ou des problématiques récurrentes chez les entreprises en difficulté ? Et le juridique occupe-t-il une place dans les difficultés rencontrées ?

Les difficultés les plus récurrentes sont liées aux secteurs d’activités et aux mutations économiques. Les pertes de chiffre d’affaires peuvent être liées à une absence d’anticipation de l’évolution de la demande et de l’offre technologique. Pour les entreprises en croissance, la charge des investissements peut également être trop lourde par rapport aux capitaux propres de l’entreprise. Beaucoup de petites et moyennes entreprises restent sous-capitalisées, ce qui freine leur développement.

Au-delà, la forte dépendance à un client (plus de 50 % du chiffre d’affaires) et des délais de paiement à plus de 60 jours sont des facteurs de fragilité.

Les facteurs de fragilité d’une entreprise tiennent souvent à des problématiques de financement. Cependant, des difficultés juridiques, des contentieux, notamment avec le donneur d’ordre, des questions liées aux brevets et à a propriété intellectuelle, des acquisitions mal finalisées juridiquement, sont bien évidemment aussi des facteurs de fragilité des entreprises. Pour ces dossiers, le CRP est cependant moins souvent saisi que l’avocat !

Quels conseils donneriez-vous aux entreprises - et à leurs équipes juridiques - pour prévenir d’éventuelles difficultés ?

Je n’émettrais qu’un souhait : que les acteurs économiques n’hésitent pas à saisir le CRP ou un organisme public dont la mission est de conseiller et de lever les freins au développement économique. Plus nous sommes saisis en amont des difficultés, plus nous avons collectivement le temps de construire les solutions adaptées. Notre ambition est de soutenir le potentiel des entreprises.

Quelle incidence a plus précisément eu la loi PACTE sur votre mission de prévention ? S’agissait-il d’une évolution nécessaire ?

La loi 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises vient d’être publiée. Elle comprend une section 3 particulièrement importante pour les CRP, dans laquelle sont inscrites des mesures pour faciliter le rebond des entrepreneurs et des entreprises.

Au-delà des mesures législatives, la question du rebond et de l’acceptation d’un « échec » est un levier fondamental pour développer l’esprit d’entreprise en France. Lors de l’élaboration de la loi PACTE, cette question a été centrale dans les réflexions. L’un des points forts de la loi PACTE est ainsi de faciliter l’acceptation de « l’échec » pour mieux réussir ensuite. Certaines dispositions de la loi ont pour vocation de faciliter le rebond des entrepreneurs. A titre d’illustration, la mise en œuvre du rétablissement professionnel sera étudiée dans toutes les situations, les délais des procédures de liquidation sont réduits, la rémunération du dirigeant en procédure collective est maintenue en l’état sauf décision contraire du juge commissaire, et il n’y a pas d’inscription de privilège par les créanciers publics si les moratoires sont respectés.

La loi va également renforcer la coordination des acteurs publics qui peuvent intervenir en prévention des difficultés. L’article 70 est ainsi particulièrement important pour l’action des CRP, car il prévoit qu’ « aux seules fins de la détection et de la prévention des difficultés des entreprises, (…) l’administration fiscale peut communiquer au représentant de l’Etat dans le département, au commissaire aux restructurations et à la prévention des difficultés des entreprises et aux responsables territoriaux de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi, des unions de recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales et de la Banque de France la liste des entreprises susceptibles de connaître des difficultés de financement ainsi que la cotation du niveau de risque ».

Je dois souligner que la prévention des difficultés est réellement l’une des préoccupations des pouvoirs publics , et en particulier du ministre de l’Economie et des Finances. Ainsi, la direction générale des entreprises (DGE), la Banque de France, la Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP), l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) et la Direction interministérielle du numérique et du système d’information et de communication de l’Etat (DINSIC) ont développé l’application « Signaux Faibles ». Concrètement, elle repose sur le traitement, par le biais d’algorithmes basés sur des mécanismes d’apprentissage, des données relatives aux entreprises dont disposent les différents services de l’Etat et organismes de sécurité sociale. Les résultats seront par la suite partagés dans la plus stricte confidentialité et aux seules fins de détection des éventuelles fragilités des entreprises, au sein d’une plateforme numérique collaborative uniquement ouverte aux différents partenaires publics.

Les CRP, en s’appuyant sur les équipes des DIRECCTE, pourront ainsi cibler leur offre de services d’accompagnement vers les entreprises qui peuvent l’utiliser, sans attendre nécessairement d’être saisi par le chef d’entreprise. Intervenir le plus en amont possible doit permettre d’avoir le temps de travailler les différentes options pour la pérennité de l’entreprise.

Interview initialement publiée dans le Journal du Management n°71 (dossier spécial restructuring et procédures collectives).

Rédaction du site des Experts de l’entreprise.