Biens professionnels : la limite d’exonération d’ISF prévue pour les droits sociaux ne s’étend pas aux actifs des filiales.

Étant donné que les biens dits « professionnels » sont indispensables à l’exercice de l’activité d’une société ou de tous professionnels, le législateur a prévu certaines dispositions au sein du Code général des impôts (CGI) afin de faire échapper ces biens à l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Encore convient-il de définir précisément ce qu’est un bien professionnel en se référant aux articles 885 N et suivants du CGI. Pour pouvoir prétendre au bénéfice de l’exonération de taxation, les critères et conditions posés par ces articles doivent être remplis.

Or, il n’est pas toujours si aisé de déterminer la nature du bien (professionnel, donc exonéré ; ou non professionnel taxable). Dans un arrêt en date du 20 octobre 2015 (n°14-19598), la Chambre commerciale de la Cour de cassation a apporté des précisions quant à la qualification des biens immobiliers détenus par des filiales et sous-filiales. Ces biens ne sont pas entendus comme des biens professionnels pouvant bénéficier de l’exonération, quand bien même leur capital appartenait à la société mère, à la tête de laquelle se trouvait un couple d’époux, contribuables, qui souhaitait échapper au paiement de l’ISF ; en l’espèce, le patrimoine immobilier détenu par les filiales ou sous-filiales n’apparaissait pas nécessaire à l’exploitation. Cette solution correspond parfaitement à l’esprit d’instaurer en droit français le patrimoine d’affectation (depuis la création de l’EURL par une loi de 1985).

Par ailleurs, en cas d’erreur de déclaration, le contribuable risque d’être rappelé à l’ordre par l’administration par le biais d’une procédure de rectification (II).

I – La qualification de biens professionnels.

Les articles 885 N à 885 R du CGI donnent une définition précise de ces biens qui peuvent être regroupés en trois catégories : les biens dépendant d’une exploitation individuelle, les parts ou actions de sociétés et certains biens ruraux.
Sont des biens professionnels, selon les articles 885 O à 885 O quinquies du CGI, notamment les parts de sociétés de personnes soumises à l’impôt sur le revenu (IR) ou les parts ou actions de sociétés soumises à l’impôt sur les sociétés (IS), détenues par les dirigeants.

Cependant, ces parts ou actions précitées ne sont pas d’office désignées comme étant des biens professionnels, puisque des conditions cumulatives visant la personne du propriétaire (A) et le bien lui-même (B) viennent y faire obstacle.

A – Les conditions relatives au propriétaire du bien.

Le propriétaire doit détenir l’une des qualités suivantes : gérant d’une société à responsabilité limitée ou d’une société en commandite par actions, associé d’une société en nom collectif, « le président, le directeur général ou le président du conseil de surveillance ou membre du directoire d’une société par actions  ».

Par ailleurs, le contribuable propriétaire doit avoir été nommé à ces fonctions selon les règles propres à chaque société, exercer personnellement les fonctions, bénéficier d’une rémunération normale (appréciée au regard des revenus des autres membres de la société) devant représenter plus de la moitié de ses revenus professionnels. Le contribuable devra personnellement remplir les fonctions prévues par cet article 885 O bis du CGI.

En plus d’exercer l’une de ces fonctions, le contribuable doit détenir, directement ou par l’intermédiaire d’un proche, au moins 25% des droits de vote attachés aux titres émis par la société soumise à l’IS ou dans une société qui participe au capital de la société dans laquelle il exerce ses fonctions. Ces dirigeants sont toutefois dispensés de respecter ce seuil minimum de détention lorsque la valeur brute de leur participation excède 50 % de la valeur brute de leurs biens imposables.

Pour les parts de sociétés de personnes soumises à l’IR, quel que soit le pourcentage de participation détenu, elles seront considérées comme des biens professionnels exonérés dès lors que leur détenteur exerce dans la société son activité professionnelle à titre principal et de manière effective. Dans l’hypothèse où le propriétaire exerce la fonction de direction dans plusieurs sociétés, les parts et actions détenues seront considérées comme des biens professionnels si les participations répondent aux conditions prévues. Ainsi, le contribuable ne pourra prétendre faire qualifier de bien professionnel sa simple participation au capital de la société dans laquelle il exercerait la fonction de gérant ou aurait le titre d’associé.

De même, en l’absence de personnalité morale des fonds communs de placement, la Cour de cassation a pu décider que ces derniers étaient soumis à l’ISF, car non assimilables à des biens professionnels (Cass. Com. 18/01/2011 n°10-11941).

B – Le bien nécessaire à l’activité de la société.

Quand bien même le contribuable respecterait les conditions posées aux 1° et 2° de l’article 885 O bis du CGI, pour être considéré comme professionnel, le bien doit être nécessaire à l’activité de la société. Les biens professionnels s’entendent de ceux qui, ayant un lien de causalité directe suffisant avec l’exploitation, sont effectivement utilisés pour les besoins de l’activité professionnelle ou ne pourraient être utilisés à un autre usage, qu’ils soient situés en France ou à l’Étranger. Le contribuable pourra faire échapper un bien se trouvant dans son patrimoine privé à l’assiette de l’ISF en le mettant en location ou à disposition au profit de l’activité d’une société dans laquelle il détient des droits sociaux.

Néanmoins, selon l’article 885 O ter du CGI, l’exonération n’est limitée qu’à la valeur « des parts ou actions correspondant aux éléments du patrimoine social nécessaires à l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale de la société » considérée comme un bien professionnel.

Alors que la Cour de cassation avait refusé de porter atteinte à la règle de l’unicité des patrimoines (Cass. Com. 3/06/1998 n°96-16470), cette réticence a disparu lorsqu’elle a décidé d’opérer une scission entre les patrimoines des filiales et sous-filiales quant aux éléments d’actifs à prendre en compte dans l’assiette de l’ISF (Cass. Com. 20/10/2015).

II – La scission des patrimoines au sein des groupes de sociétés.

Par une célèbre affaire dite « Elias c/ Directeur des services fiscaux de la Côte d’Or » (Cass. Com. 08/02/2005), la Cour de cassation a décidé que les parts d’une holding animatrice peuvent être qualifiées de biens professionnels. Cette solution n’a toutefois pas fait l’objet d’une transposition aux actifs des filiales et sous-filiales dans le cadre d’un groupe de sociétés à en croire l’arrêt du 20 octobre 2015. En effet, dans ce cadre, pour faire intégrer les actifs détenus (biens immobiliers) par les filiales et sous-filiales dans le patrimoine du couple des dirigeants de la société mère en tant que biens non professionnels, et donc dans l’assiette de l’ISF, les finances publiques ont relevé que ces biens utilisés par la société mère dans le cadre de son activité ne lui étaient pas nécessaires.

La Cour de cassation a déclaré que les actifs des filiales et sous-filiales n’avaient pas à être retenus dans l’assiette de l’ISF et que la question de la qualification de biens professionnels ne se posait pas, précisant ainsi le champ d’application de l’article 885 O ter du CGI. Les époux ont pu s’exonérer du paiement de l’ISF au motif que les biens immobiliers ne se trouvaient pas dans leur patrimoine, mais dans la propriété des filiales et sous-filiales dont ils détenaient le capital.

Cet arrêt marque en quelque sorte la fin de la théorie civiliste de l’unicité du patrimoine, déjà remise en cause par l’institution en droit français de l’EURL (loi de 1985) ou encore de la SASU (loi de 1999). L’instauration de la fiducie en 2007 et l’EIRL en 2010 lui ont porté un coup de grâce en créant le patrimoine d’affectation. Dorénavant, le dirigeant pourra protéger son patrimoine personnel ou s’exonérer du paiement de l’ISF, notamment en transférant certains biens dans des patrimoines d’affectation, comme dans l’arrêt d’espèce, dans des filiales ou sous-filiales d’un groupe de sociétés.

Dans le cas d’une déclaration erronée, l’administration fiscale ne manquera pas de rappeler le contribuable à l’ordre. Dans un premier temps, elle pourra lui demander des éclaircissements et des justifications. Par la suite, en cas de réponse insuffisante ou insatisfaisante, elle aura la possibilité de procéder à des rectifications. Elle peut également adresser au contribuable directement une proposition de rectification dans le cadre d’un Contrôle Sur Pièces. Dans tous les cas il est préférable de faire appel aux conseils avisés d’un professionnel du droit des affaires et du droit fiscal.

Source : bofip.impots.gouv.fr

Nathalie CHOUR, Juriste,
sous la direction de Maître Steve JAKUBOWSKI, Avocat
Avocats PICOVSCHI
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